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FRANÇOIS GRASSET

CHAPITRE QUATRE : DIFFUSION ET RÉCEPTION DE LA REPÚBLICA LITERARIA

4.1. Le destin de l’œuvre en Espagne et en Europe

Dans cette partie quelque peu introductive, nous examinerons les publications successives de l’œuvre en Espagne et en Europe pour comprendre la circulation et la réception de la República

Literaria. Nous nous appuierons sur les données de la Biblioteca Saavedra Fajardo de pensamiento político hispánico et du Centro de documentación Gonzalo Díaz y Ma Dolores Abad186, que nous

avons sélectionnées, triées, enrichies par confrontation avec les préfaces, et mises en forme afin d’offrir un panorama de la question éditoriale.

a-En Espagne : un enthousiasme éditorial

La publication posthume en 1655 d’un Juicio de Artes y Ciencias, sous le nom de Don Claudio Antonio de Cabrera, est le point de départ de l’aventure éditoriale de notre texte. En 1670 apparaît le titre tel qu’on le connaît, tout comme le nom de Diego de Saavedra Fajardo. La question

186 saavedrafajardo.com, page consultée le 19/04/2018. Cette bibliothèque en ligne est notamment soutenue par la Faculté

de Philosophie de Madrid. Le site héberge la base de données du Centro de documentación Gonzalo Díaz y Ma Dolores Abad qui fournit en ligne les ressources sur les auteurs hispaniques (biographies, études critiques, œuvres et éditions).

de l’attribution du nom de l’auteur, si elle n’est pas tout à fait résolue aujourd’hui, a été rapidement évacuée après la publication de 1670 : la República Literaria devient le seul titre admis et le diplomate espagnol est rapidement considéré comme le véritable auteur. Nous proposons ci-dessous un tableau récapitulatif des éditions espagnoles publiées aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Date Lieu Imprimeur

1655 Madrid Julian Paredes 1670 Alcala Maria Fernandez

1677 Alcala (?)

1735 Madrid Juan de Zúñiga 1735 (?) Barcelone (?)

1739 Valencia Antonio Baile 1759 Madrid Angela de Aponte 1768 Valencia Salvador Faulí 1772 Valencia Benito Monfort 1788 Madrid Benito Cano

1790 (?) Benito Cano

On constate tout d’abord que l’Espagne connaît un véritable enthousiasme éditorial : les éditions se succèdent et se diffusent187. Par ailleurs, en nous intéressant aux préfaces des éditions, on constate

que le texte est apprécié pour deux traits majeurs. D’une part, la vaste érudition de l’auteur est saluée ; Gregorio de Mayans y Ciscar, bibliothécaire du roi, et préfacier de l’édition de 1735 de Juan de Zúñiga, vante les « ciments profond de solide érudition188 » de l’œuvre189. D’autre part, la maîtrise de

la langue espagnole de l’auteur est louée pour sa clarté et sa virtuosité. Mayans y Ciscar déclare que Saavedra Fajardo est « l’Espagnol qui, avec la plume la plus gracieuse, et avec la plus grande adresse, a réussi à illustrer cette idée parfaite de la pureté et majesté de cette langue si

187 C’est en partie à cause de cet engouement et des nombreuses éditions non concertées que les philologues ont encore

des difficultés à établir une version précise des textes. Voir Dowling, op. cit. et Blecua, op. cit. Pour une vision synthétique, voir l’arbre philologie proposé par García López dans son introduction, p. 115.

188 « profundos cimientos de solida erudición », édition de Mayans y Ciscar, « Oración en alabanza de las obras de Don

Diego Saavedra Fajardo », Madrid, Juan de Zúñiga, 1735 p. 42.

93 noble190 ». En fin de compte, on apprécie la vaste érudition de l’auteur conjuguée à un refus du

pédantisme néo-gréco-latin, le tout s’intégrant dans une sorte de défense et illustration de la langue et de la littérature espagnoles.

b-En Europe : une diffusion relativement importante mais contrastée

Déjà connu en Europe pour ses Empresas políticas, le nom de Diego de Saavedra Fajardo n’est pas tout à fait étranger au lecteur qui découvre la República Literaria. Nous proposons ci- dessous un tableau récapitulatif des éditions publiées entre le XVIIe et le début du XIXe siècle en

Europe pour mieux comprendre la diffusion et la réception de l’œuvre en dehors de l’Espagne.

Date Lieu Editeur / Imprimeur Titre

1677 Bruxelles (?) República literaria 1678 (1677?) Anvers Juan Bautista Vedussen Republica literaria 1700 Palerme Josef Gramiñani República Literaria 1705 Londres Richard Janeway (?) The commonwealth of

learning : or, a censure on learned men and sciences

1727 Londres Austen Republica literaria or the Republik of letters : being

a vision

1728 Londres, Dublin Samuel Fuller Respublica literaria : or, the republick of letters ;

being a vision

1739 Anvers Juan Bautista Vedussen Republica literaria 1744 Londres (?) Republica Literaria 1748 Leipzig Gleditsch Die gelehrte Republic 1767 Pise Pompeo Polloni La republica Letteraria 1770 Lausanne François Grasset La République Littéraire,

ou description allégorique et critique des arts et des

sciences

1771 Prague (?) Die Republic der Gelehrten

1807 Jena, Leipzig Gabler Die Republic der Gelehrten

190 « el Español que con plumas más airosa, y con mayor destreza ha procurado copiar muy vivamente aquella idea perfecta

de la pureza i majestad de esta Lengua nobilísima ». Saavedra Fajardo, La República Literaria, éd. Gregorio Mayans y Ciscar, « Oración en alabanza de las obras de Don Diego Saavedra Fajardo », Madrid, Juan de Zúñiga, 1735, p. 11.

Plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord, si le texte a été régulièrement édité, on constate qu’il n’existe finalement qu’un certain nombre de traductions : deux anglaises, une allemande, une française et une italienne191. En réalité, de nombreuses éditions sont des versions espagnoles publiées

à l’étranger, notamment celles d’Anvers : l’espagnol est lu couramment dans les milieux lettrés et intellectuels européens, et la non-traduction témoigne donc probablement d’une réception limitée aux cercles des connaisseurs de la littérature hispanique. Or, dès 1705 avec la parution de The

Commonwealth of learning : or, a censure on learned men and sciences, la traduction de l’espagnol

vers l’anglais marque un tournant dans l’histoire de la réception de la República Literaria. En effet, la publication dans une autre langue vernaculaire permet à un public plus élargi d’accéder au texte. Si les éditeurs prennent le pari de faire traduire et de publier le texte, c’est bien parce qu’ils supposent une réception positive de l’œuvre et de ses enjeux dans les divers contextes culturels nationaux. Les multiples rééditions en Angleterre et dans les provinces protestantes posent question : si elles témoignent du succès de l’œuvre, elles doivent nous alerter sur la réception du texte. Peut-être faudrait-il y voir une des conséquences de l’hétérodoxie de l’auteur, de même qu’une adhésion à ses préoccupations philosophiques et politiques. Saavedra Fajardo est en effet connu pour ses écrits politiques, en témoignent les éditions de ses Empresas políticas et des Locuras de Europa. Cette renommée est d’ailleurs exploitée dans les éditions de la República Literaria à l’étranger : on insiste sur le rôle politique de l’auteur, alors présenté comme diplomate au service du roi d’Espagne192. Plus

simplement, au-delà du caractère littéraire de l’œuvre, on peut aisément supposer qu’il existe un certain intérêt pour les problématiques politiques et philosophiques soulevées et que nous avons abordées précédemment, et notamment pour la question de la censure.

Finalement, si l’œuvre est fréquemment rééditée au XXe siècle en Espagne, force est de

constater qu’elle sombre dans l’oubli dans le reste de l’Europe après le XVIIIe. Son succès est donc

191 Nous aurions tendance à remettre en question cette liste établie par Francisco Javier Diéz de Revenga Torres dans une

note « Más sobre la República Literaria de Saavedra Fajardo », colloque de Monteagudo, Universidad de Murcia, 1983. En ligne sur le site de l’Université de Murcia : https://digitum.um.es/j spui/bitstream/ 10201/15289/1/08%20Mas%20sobre%20la%20Republica%20Literaria%20de%20Saavedra%20Fajardo.pdf , page consultée le 24/04/2018. En effet, en ce qui concerne la traduction allemande de 1771, le titre mentionne que la traduction s’est faite à partir du français, donc de l’édition de François Grasset. Il y aurait alors deux traductions allemandes : l’une de 1748 faite à partir de l’original, l’autre plus tardive et traduite depuis le français.

192 L’édition italienne de 1767 présente par exemple l’auteur comme « Ministro di Filippo IV, Re di Spagna » dans le

95 temporaire et ne lui permet pas de s’imposer comme une œuvre majeure en dehors de la péninsule ibérique. Peut-être faut-il voir dans cette mode passagère une réception liée à un contexte particulier qui est celui de l’Europe des Lumières.