Certains métiers hautement qualifiés, considérés également en lien avec leur secteur de main‐ d’œuvre, fonctionnent en quelque sorte pour eux‐mêmes. Il est essentiel que mineurs et géologues, ou tisserands d’expérience, soient en mesure de transmettre leurs savoirs avant leur départ à la retraite. Ils disposent de savoirs, en particulier tacites, qui assurent une efficacité,
une fiabilité et une qualité du travail accompli essentiels au bon fonctionnement de l’organisation du travail des autres employés, ainsi qu’à la rentabilité des activités de l’entreprise. S’il advenait des problèmes de main‐d’œuvre liés au vieillissement, au manque de relève et de transmission des savoirs, le milieu et l’économie en général en souffriraient. Il s’agit de pans de l’économie qui emploient des milliers de personnes. Dans le cas de ces deux secteurs, plusieurs entreprises sont situées en région et contribuent donc de façon importante à des économies régionales fragilisées par les difficultés connues dans le secteur associé au bois et à la forêt. Par exemple, des problèmes au secteur minier affecteraient les économies de régions comme l’Abitibi ou la Côte‐Nord. Globalement, il s’agirait aussi de pans de l’économie qui ne seraient pas aussi fonctionnels et prospères, avec tout ce que cela engendre pour les collectivités locales et cumulativement, pour le Québec.
Cependant, cela n’aurait vraisemblablement pas de répercussions aussi sévères sur d’autres secteurs économiques que si on imagine les mêmes problèmes dans les secteurs des transports. À propos de ces secteurs et des métiers qu’on peut y voir comme étant hautement qualifiés, il est évident qu’ils sont aussi traversés par les exigences de sécurité et d’élimination des risques. Toutefois, le travail prend un sens supplémentaire en considérant le rôle de courroie de transmission joué par les entreprises de ces secteurs pour d’autres pans de l’économie, en particulier pour les trois métiers associés aux transports. Sans en faire en soi un critère de haute qualification, la fonction économique de ces secteurs est telle que leur ralentissement, par exemple en lien avec d’éventuelles pénuries de main‐d’œuvre, aurait des impacts directs sur d’autres secteurs de main‐d’œuvre. Ainsi, le caractère de haute qualification d’un agent de méthodes travaillant à des pièces d’avion, d’un capitaine de navire ou d’un mécanicien de locomotive, prend un sens encore plus aigu lorsqu’on considère la situation « socioéconomique » de leur travail. Par la maîtrise des exigences de leur métier, à un niveau hautement qualifié, ils rendent possible le fonctionnement d’autres secteurs de main‐d’œuvre qui ne peuvent se passer des services de transport. En d’autres termes, il s’agit de trouver un moyen pour considérer, dans notre analyse, ce que leur travail, correctement exécuté, rend possible, voire permet d’éviter (accidents, pertes de vie, de matériel transporté, impact sanitaire et environnemental, etc.). En marge ou en supplément aux éléments que nous avons soulignés dans l’analyse de chacun de ces métiers, comme constitutifs d’une haute qualification, il y a
donc une plus‐value, en quelque sorte, du fait de l’importance stratégique du secteur pour l’économie de la société en général.
Cette position névralgique entraîne aussi des conséquences plus importantes en contexte de rareté. On le voit déjà dans quelques métiers du secteur des services automobiles (débosseleur, mécanicien) et de la fabrication métallique industrielle (mécanicien), ce dont nous ont fait part plusieurs de nos interlocuteurs. La rareté des travailleurs hautement qualifiés dans ces métiers crée une pression à la hausse sur les salaires, les entreprises cherchant à s’assurer la stabilité de leurs ressources fiables, aguerries par l’expérience du métier et leur connaissance du travail de l’entreprise. De plus, tous les interlocuteurs rencontrés en lien avec les services automobiles ont parlé d’une rareté qui sera de plus en plus visible, parmi les mécaniciens, d’ici cinq à dix ans au Québec. Des recherches plus poussées en ce sens dans les domaines du transport ferroviaire pourraient préciser ce qu’il en est dans ce secteur (pour le transport maritime, voir le paragraphe suivant). Quoi qu’il en soit, les métiers examinés dans ces secteurs, en particulier ceux du transport maritime et ferroviaire, ne peuvent être suppléés par une main‐d’œuvre d’appoint, les exigences de sécurité ne pouvant tout simplement pas être modifiées.
Le cas des capitaines hautement qualifiés et ultimement, des pilotes dans la voie maritime du Saint‐Laurent, est particulièrement significatif. Ce sont des emplois dont la formation requise est plutôt longue : à titre d’exemple, la durée de formation d’un pilote équivaut à celle d’un chirurgien. De plus, étant donné l’importance des navires conduits, que ce soit par un capitaine ou encore plus par un pilote, des risques encourus par l’équipage au premier chef, mais également par l’environnement, d’autres équipages en cas de collision, et des risques économiques de par l’importance des cargaisons, il est impossible de confier à quelqu’un n’ayant pas les qualifications nécessaires, la conduite d’un navire. Considérant les propos des travailleurs hautement qualifiés rencontrés, quant à la complexité de la haute qualification acquise avec des années, voire des décennies d’expérience, il s’avère donc d’autant plus important d’assurer une relève plusieurs années d’avance, pour remplacer la cohorte de travailleurs d’expérience, hautement qualifiés, au moment de leur départ à la retraite.