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Des quartiers plus mixtes au plan social ?

A. LE PROGRAMME NATIONAL DE RENOVATION URBAINE

2. Des quartiers plus mixtes au plan social ?

Si l’ANRU fait l’hypothèse que la diversification des statuts au sein du parc de logements est un vecteur d’attraction d’une population « différente », les données sur le peuplement des quartiers rénovés disponibles à l’échelon national et local–ne permettent pas d’en vérifier la validité. Quand des outils d’observation existent, ils ne concernent que le parc social, alors que c’est l’habitat privé qui a été pensé comme le levier essentiel d’une diversification de la population. Force est de constater, plus largement, le caractère lacunaire des travaux relatifs aux effets de la rénovation urbaine sur l’attractivité des quartiers, ou sur l’évolution du peuplement du parc social existant, réhabilité ou non (Act consultants et al., 2009).

Les données disponibles ne concernent pas les territoires, mais les ménages relogés dans le cadre des démolitions. Différentes études ont ainsi cherché à exploiter les statistiques tirées des dispositifs de suivi des relogements, mais il subsiste sur ce plan d’importants biais méthodologiques. Les statistiques sur le relogement sont « bricolées » par chaque bailleur social et chaque commune à partir de leurs sources propres, sans effort national d’homogénéisation de ces données. Un autre aspect problématique tient à la « déperdition » d’une partie des résidents des immeubles démolis qui n’ont pas recours aux procédures de relogement et qui échappent ainsi à l’observation (Lelévrier, 2005b, 2008).

a) Le scénario de la mixité « exogène » en échec

La diversification de l’habitat est au cœur de la stratégie de mixité de l’ANRU, mais comme l’a relevé le Comité d'évaluation et de suivi, les enquêtes annuelles de l’agence auprès des porteurs de projet et des maîtres d’ouvrage souffrent d’un manque de fiabilité : ces enquêtes restent facultatives et déclaratives, et c’est seulement en 2009 que l’ANRU y a intégré des indicateurs sur la diversification de l’habitat (CES de l'ANRU, 2010). À ces réserves près, les données de l’ANRU, retraitées par le CES et l’ONZUS, montrent qu’au 31 décembre 2008, 9 712 logements « non sociaux » participaient à l’effort de diversification ; ils représentaient environ le tiers de l’ensemble des logements reconstruits, sachant qu’une partie de ceux-ci sont reconstitués hors site (CES de l'ANRU, 2010). Une enquête spécifique conduite en 2008 en Île-de-France a analysé la programmation des logements dans 72 conventions de rénovation urbaine. Il en ressort un taux de renouvellement (parc privé neuf plus parc social neuf/total des logements du quartier) moyen de 16,9 %. Les variations sont importantes d’un site à l’autre. Ainsi, le taux de renouvellement est-il inférieur à 10 % dans près de la moitié des sites et n’atteint plus de 30 % que dans un cas sur six ; encore cette diversification est-elle, dans près de la moitié des cas, le fait de logements sociaux « haut de gamme » et non de logements privés. Sur la base des conventions, il apparaît donc que le parc de logements des quartiers ANRU connaîtra une évolution modeste, faisant passer la part du parc privé de 35 à 40 %, un chiffre qui apparaît néanmoins supérieur (+20 % de logements privés) à la lumière d’une investigation plus ciblée sur 22 sites franciliens qui prend en compte les programmations effectives au- delà des conventions initiales (Noyé, 2009). Dans une autre étude réalisée sur 12 sites, à l’échelle nationale, la tendance est aussi à la modification, à la hausse (mais dans certains sites à la baisse), du nombre de logements contribuant à la diversification de l’habitat. Mais l’étude conclut, là aussi, à un effet modeste, puisque le taux de diversification moyen du parc de logement s’établit à 9,1 %, y compris les programmes semi-publics (accession sociale et PLS) (Act consultants et al., 2009).

Les explications fournies renvoient à la baisse du nombre de démolitions programmées, qui a réduit d’autant le foncier mobilisable pour diversifier le parc existant (CES de l'ANRU, 2010). Des annulations de programmes privés interviennent aussi, justifiées par l’impossibilité, pour les promoteurs privés, d’équilibrer financièrement ces opérations (Act consultants et al., 2009). Pourtant, les équipes municipales ne ménagent pas leurs efforts pour attirer ces promoteurs, en leur offrant les terrains les plus intéressants, en cédant le foncier à des prix avantageux, etc. Malgré cela, « dire que la promotion privée ne

s'est pas pleinement emparée de l'opportunité que constitue l'intervention en territoire de rénovation urbaine est un euphémisme », lit-on dans une étude portant sur cinq sites de

province, dont le marché de l’habitat est, il est vrai, détendu (Avide et al., 2009). Cette étude invoque la crise immobilière, tout comme une autre conduite dans trois villes de la Marne (Fatmi et al., 2009) et comme celle menée en Île-de-France (Noyé, 2009). Mais la première étude ajoute qu’« il serait toutefois erroné de rendre le contexte économique actuel seul

responsable du faible enthousiasme des promoteurs à investir dans ces quartiers dits sensibles », et se montre pessimiste quant à la capacité du processus de diversification à

attirer une population plus aisée et extérieure au quartier. Il ressort de ces différents travaux que les promoteurs privés sont également peu enclins à investir dans les « zones tampons » situées dans un périmètre de 500 mètres autour des zones ANRU et bénéficiant, depuis la loi du 13 juillet 2006, d’une TVA à taux réduit (5,5 %) pour les opérations d’accession à la propriété.

La principale déconvenue vient en fait de l’engagement plus que timoré de l’Association foncière logement. L’AFL était considérée par l’ANRU comme l’outil majeur de la diversification. Elle devait avoir un rôle précurseur et entraîner derrière elle des opérateurs privés (Act consultants et al., 2009). En pratique, l’AFL se révèle être un acteur marginal de la diversification, n’y contribuant qu’à hauteur de 1,4 %, contre 53 % pour les promoteurs privés ou les bailleurs sociaux proposant une accession libre ou sociale à la propriété1. Le retrait de l’AFL peut s’expliquer par des facteurs de nature juridique ou technique. Mais il tient plus fondamentalement au fait que le pari initial des promoteurs nationaux de la rénovation urbaine –faire reposer la diversification du peuplement sur l’arrivée de ménages extérieurs très différents, par leur profil, des populations locales– apparaît rétrospectivement comme irréaliste. La Foncière propose en effet des produits locatifs plutôt haut de gamme, à des prix proches de ceux du marché, qui sont le plus souvent inaccessibles pour les résidents des ZUS. Elle ne peut donc puiser dans le potentiel de clientèle locale (Act consultants et al., 2009 ; Avide et al., 2009). D’où la position attentiste de la Foncière qui attend de voir s’engager d’autres investisseurs privés, avant de s’engager en première ligne. En outre, il faut souligner que l’AFL, qui intervient sans lien avec les Comités interprofessionnels du logement (qui gèrent localement le 1 % logement), est souvent considérée comme ayant été « imposée » aux acteurs locaux par le niveau national, sans débat ni prise en compte des enjeux propres à chaque site (Epstein, 2007 ; Avide et al., 2009 ; Fatmi et al., 2009).

À l’inverse de la Foncière, certains promoteurs privés jouent la carte de la primo-accession et d’une offre à prix maîtrisés susceptibles d’intéresser la population des quartiers (Act consultants et al., 2009), même si, en pratique, et contrairement aux attentes de l’ANRU, ce sont surtout les bailleurs sociaux qui se positionnent en véritables moteurs de la diversification de l’habitat. D’autant plus que le Plan de relance a conduit des promoteurs à céder aux bailleurs sociaux, sous forme de « Ventes en l'état futur d'achèvement » (VEFA),

des programmes dont la commercialisation apparaissait compromise (Lagnaoui, 2009 ; Avide et al., 2009 ; Fatmi et al., 2009 ; CES de l'ANRU, 2010). Les bailleurs sociaux rencontrent eux-mêmes des difficultés pour commercialiser leurs programmes sociaux haut de gamme. C’est le cas des logements sociaux intermédiaires (prêt locatif intermédiaire, prêt locatif social), réservés à des ménages aux revenus moyens, qui participent à 13 % à l’effort de diversification (CES de l'ANRU, 2010), mais qui apparaissent, tout comme les logements locatifs libres de l’AFL, inadaptés au contexte local (Avide et al., 2009 ; Noyé, 2009).

En définitive, ce sont bien les habitants des quartiers, ou d’autres quartiers similaires, et non des ménages extérieurs dont le profil se distinguerait de celui des ménages des ZUS, qui apparaissent comme les premiers clients des produits de la diversification, et notamment de l’accession à la propriété. À l’encontre d’une lecture parfois misérabiliste de ces quartiers, il ressort en effet des différentes enquêtes précitées l’existence d’« un potentiel

souvent insoupçonné et parfois important de ménages logés dans les quartiers, (qui) souhaitent accéder à la propriété et disposent d’un apport personnel significatif » (Noyé,

2009). Certains promoteurs privés l’ont d’ailleurs bien compris, qui partent à la conquête de cette clientèle qui n'a pas les moyens d'acheter dans des quartiers banals (Avide et al., 2009). Dans le même ordre d’idée, les opérations d’accession sociale, qui représentent 8 % des opérations livrées en diversification (ONZUS 2009), attirent de nombreuses familles locales, souvent en nombre supérieur à l’offre proposée (Noyé, 2009). C’est que les bailleurs sociaux –notamment les offices d’HLM– manquent souvent de savoir-faire pour monter et commercialiser ce type d’opérations, même s’ils sont de plus en plus nombreux à s’y engager (Act consultants et al., 2009). Leur réticence vient aussi d’une appréciation des risques de surendettement (Noyé, 2009), aiguisée par l’observation de ce qui se produit dans les copropriétés dégradées sur lesquelles l’ANRU intervient en complément des interventions de l’ANAH (CES de l'ANRU, 2010).

Le principal enseignement de ces travaux est donc le suivant : l’équation posée dans le PNRU entre logements privés et attraction de ménages extérieurs ne se vérifie pas, ou doit être fortement nuancée (Avide et al., 2009 ; CES de l'ANRU, 2010). L’hypothèse selon laquelle une offre privée allait attirer des ménages plus fortunés de l’extérieur serait le signe d’une vision « mécaniciste » qui envisage l’introduction de produits logements différents comme un gage suffisant du rééquilibrage social attendu (Act consultants et al., 2009). Elle se fonde sur un diagnostic en partie erroné car les quartiers ANRU comportent déjà une part importante de parc privé (Noyé, 2009).

Si les opérations de rénovation urbaine ne sont pas parvenues à susciter une mixité « exogène », elle ont pu contribuer à maintenir une mixité « endogène »1. Dans cette optique, et même si « cela n'est pas ce qu'escomptaient l’ANRU et certains maires », les opérations en accession peuvent être regardées comme des outils « de diversification sociale interne », permettant de garder des populations « plutôt que de les voir s'envoler pour les sphères

souvent attirantes du pavillon périurbain » (Avide et al., 2009). Il s’agit dès lors de les

« fixer » dans le quartier (Fatmi et al., 2009) en leur ouvrant « la possibilité de parcours

résidentiels ascendants (...) qui peuvent à terme engendrer une mixité socioprofessionnelle endogène » (CES de l'ANRU, 2010). Devant « l'incapacité chronique de la plupart des projets à faire venir des populations extérieures », certains acteurs locaux en arrivent à

reformuler la stratégie locale, non plus comme une politique de mixité sociale, mais de mixité du statut des logements, « remettant les populations du quartier sur les rails d'un

parcours résidentiel classique » et contribuant « à une forme de banalisation du quartier impensée par l'ANRU » (Avide et al., 2009). Ainsi, la notion de mixité céderait le pas, dans

certains sites, à celle de « parcours ascendant », et « si certains porteurs de projets partent

d’une conception initiale plus ou moins fantasmatique (l’éternel retour des classes moyennes), ils en arrivent finalement, au cours du projet et de sa programmation, à des positions nettement plus pragmatiques, qui reposent en somme sur le constat que ces quartiers sont tout de même des quartiers populaires, et le resteront pour partie ou en majorité » (Act consultants et al., 2009).

Il faut toutefois nuancer l’ampleur de ce revirement stratégique et ses effets réels. Si certains avancent l’hypothèse d’une rénovation urbaine qui parviendrait à enrayer le processus de précarisation des quartiers grâce à des opérations d’accession qui enracineraient des ménages qui, sans elles, auraient quitté leur quartier, les mêmes reconnaissent que l’évolution du peuplement du quartier est également tributaire du profil des « entrants », que ce soit dans le parc social neuf ou réhabilité (Act consultants et al., 2009). Or, les stratégies volontaristes de réservations de logements sociaux neufs ou récemment réhabilités au profit de ménages extérieurs apparaissent fortement mises à mal par les nécessités du relogement (Kirszbaum, 2010), notamment dans les marchés tendus, comme celui de l’Île-de-France, où la vacance du parc n’est pas suffisante pour absorber l’ensemble de ces relogements (Acadie, 2005). S’ajoute la contrainte nouvelle que représente la loi DALO, qui aboutit dans certains sites à mobiliser une partie substantielle des logements neufs au profit de cette nouvelle catégorie de ménages prioritaires venant côtoyer l’autre catégorie prioritaire que sont les ménages à reloger (Kirszbaum, 2010).

Dans l’attente d’analyses statistiques de l’évolution du peuplement des quartiers en rénovation urbaine, on peut aussi faire l’hypothèse que le processus de relogement aboutit à l’effet inverse du résultat recherché puisqu’à l’annonce des démolitions et, au fur et à mesure de l’avancement des relogement, ce sont les ménages les plus mobiles et solvables qui partent les premiers, tandis que les difficultés à reloger les ménages les moins solvables contribue au contraire à fixer ces derniers dans le quartier. Comme l’avait remarqué Christine Lelévrier, « le risque est de favoriser, sans le vouloir, le départ des ménages les

plus mobiles, ceux qu’on souhaiterait précisément maintenir sur place. En revanche, tout dans le processus de relogement conduit au maintien sur place des ménages les plus défavorisés et les moins mobiles » (Lelévrier, 2005b). Dans un article paru récemment, la

même auteure infléchit cette lecture, considérant qu’« en France comme ailleurs, la

rénovation associe (pour éviter le départ des habitants ayant un peu de revenus) mixité et amélioration de la "qualité des parcours résidentiels" ». Elle en veut pour preuve le fait que

« la moitié des ménages déplacés par les démolitions devrait être relogée dans les logements

sociaux neufs, condition posée par l’Agence de rénovation urbaine pour l’obtention de financements avantageux pour la construction neuve (PLUS-CD). Ainsi, la rénovation urbaine

concrétise et facilite la mise en oeuvre de stratégies d’ancrage, de fidélisation résidentielle et territoriale des habitants qui ont un peu plus de revenus » (Lelévrier, 2010).

Une autre lecture de la rénovation urbaine a été proposée à partir d’enquêtes menées dans une douzaine de sites (Kirszbaum 2007, 2010). S’agissant tout d'abord de la règle de l’ANRU sur le financement des PLUS-CD, Thomas Kirszbaum montre, comme le CES de l'ANRU (2010), que seule une minorité d’habitants relogés, très faible dans certains sites, tire ou tirera un bénéfice effectif d’une offre neuve ou récemment réhabilitée. La règle de l’ANRU n’impose pas que la moitié des ménages déplacés soient relogés dans des logements neufs ou récemment réhabilités. Elle exige seulement que la moitié de ces logements soient attribués à des ménages relogés. Aussi, pour que la moitié des ménages relogés en bénéficie faudrait-il que la reconstitution du parc social détruit se fasse intégralement en PLUS-CD et que la moitié de ces nouveaux logements soient effectivement attribués à des ménages relogés, ce qui est très loin d’être le cas dans la pratique. Et même quand des villes

reconstituent très majoritairement le parc social détruit avec des PLUS-CD, elles sont confrontées à diverses contraintes opérationnelles (montant des loyers, décalage temporel entre les relogements et la livraison des programmes neufs, difficulté de proposer deux relogements successifs à des dates très éloignées aux mêmes ménages) pour les attribuer à des ménages issus des bâtiments démolis.

L’idée selon laquelle la politique française de rénovation urbaine pourrait mise sur le même plan que d’autres expériences étrangères qui valorisent une mixité « endogène » peut être également discutée. D’autant qu’il existerait une spécificité française tenant à la réticence des élus à assumer l’existence durable de quartiers de minorités, fussent-ils des quartiers où se fixent des classes moyennes appartenant aux minorités visibles (Kirszbaum, 2008c). Bien que la stratégie de mixité « exogène » rencontre un succès des plus mitigé, on ne voit pas se dessiner de démarche complémentaire – voire alternative – à une stratégie qui accorde la primauté à l’attraction de ménages susceptibles de tirer la composition sociale de quartiers « vers le haut », et dont le profil ethnique permettait aussi un rééquilibrage du peuplement sous cet angle (Kirszbaum 2007, 2010). Sans forcément renoncer à l’idée d’attirer de nouveaux habitants, il s’agirait d’inverser l’ordre des priorités en s’attachant, sinon d’abord, du moins de façon concomitante, à stabiliser dans le quartier les ménages les mieux dotés en capital social, économique ou éducatif. Cela supposerait de les impliquer beaucoup plus fortement dans le processus de décision, au lieu de rabattre la « participation des habitants » sur de simples opérations de pédagogie et de communication (Donzelot, Epstein, 2006). Si la plupart des villes sont en voie d’abandonner pragmatiquement – ou de remettre à un futur hypothétique– leurs objectifs de mixité exogène (Act consultants et al. 2009), très rares sont celles qui ont développé des stratégies hétérodoxes au regard de celle que continue de préconiser l’ANRU (Epstein, 2008a) et qui reste fondée sur le couple « dispersion-attractivité ». Pourtant, nombre de praticiens locaux – et certains élus eux- mêmes – expriment individuellement leur scepticisme vis-à-vis de cette stratégie nationale. Mais la manière d’articuler mixités exogène et endogène n’est nulle part discutée collectivement dans les sphères politico-techniques, et encore moins avec les habitants (Kirszbaum, 2007). En amont, aucun diagnostic ne s’attache par exemple à comprendre les stratégies résidentielles des ménages présents au lancement des opérations afin de mieux calibrer les produits de diversification et les programmes sociaux en fonction de leur projet résidentiel. En aval, la pression exercée par l’ANRU sur le respect du calendrier des démolitions annihile d’éventuelles stratégies locales d’enracinement des ménages dits « structurants », en particulier les ménages les plus jeunes et les mieux insérés professionnellement, dont les démolitions précipitent au contraire le départ (Kirszbaum, 2010).

b) Un déplacement des zones de « concentration », des interactions limitées entre anciens et nouveaux habitants

Toutes les études appuyées sur les données, même fragiles, concernant les quartiers de destination des ménages relogés convergent pour décrire un processus de reformation des « concentrations » que la rénovation urbaine entendait dissoudre. Ainsi, 75 % des ménages seraient relogés en Zone urbaine sensible (USH, 2009) ou dans des environnements sociaux équivalents (Harzo et al., 2007) ; à partir de chiffres partiels de l’ANRU, le Comité d'évaluation et de suivi avance pour sa part le pourcentage de 68 % de ménages relogés en ZUS ou dans des quartiers équivalents (CES de l'ANRU, 2010). La tendance la plus marquante est la re-concentration des ménages les plus défavorisés dans les immeubles, là où se trouve une offre encore disponible de grands logements et/ou de logements à bas loyers (Lelévrier, 2010), que ce soit dans des secteurs du quartier d’origine, ou dans d’autres quartiers de la ville, non traités par la rénovation. Si les relogements sur place prédominent à

peu près partout, dans une fourchette généralement comprise entre 50 à 90 % des ménages relogés (Lelévrier, 2008 ; USH, 2009 ; Lelévrier, 2010), une part également significative (25 %) des relogements hors site se font en ZUS ou dans des quartiers équivalents, aboutissant à « un effet de transfert des difficultés », de sorte que, au moins dans certains cas, « l’amélioration de la situation sociale du quartier en rénovation urbaine engendre la

détérioration de cet autre quartier » (CES de l'ANRU, 2010). Ce phénomène de

déplacement des poches de concentration a été relevé aussi à l’étranger (Atkinson, Kintrea, 2000 ;Hiscock, 2002 ; Kingsley et al. 2003).

Les effets de la rénovation urbaine en termes de mixité sociale doivent par conséquent être appréciés à différentes échelles. Les premiers résultats observés en France tendent à montrer qu’elle favorise la constitution d’«isolats » de mixité dans un environnement largement inchangé, au prix d’une accentuation de la ségrégation au sein même des ZUS. Ces résultats rejoignent ici aussi des constats effectués à l’étranger, par exemple en Grande-Bretagne, d’où il ressort une segmentation sociale et territoriale accrue par la diversification très localisée de l’habitat. Dans le cas britannique, de nouveaux clivages spatiaux apparaissent, qui recoupent la distinction entre des micro-secteurs dédiés à l’accession à la propriété et d’autres réservés au logement locatif social (Vamplew, Wood, 1999 ; Silverman et al., 2005). Côté français, la diversification de l’habitat semble davantage préoccupée par la mixité des statuts d’occupation privé-social, mais elle prend effet à des échelles trop réduites pour produire un rééquilibrage d’ensemble de la composition sociale