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2.4 Emissions X produites lors des éruptions solaires

2.4.2 Des photons aux électrons : modèles non-thermiques

Le but de cette section est d’établir le lien entre le spectre de photons non-thermiques observé lors des éruptions solaires, et le spectre d’électrons non-thermiques produisant cette émission, dans

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le cadre de deux approximations appelées approximations de cible mince et de cible épaisse. Le flux de photons de freinage émis avec une énergie , I() (en photons.s−1.cm−2.keV−1), produit par une distribution de densité de flux d’électrons énergétiques F (E, ~r) (électrons/cm2/s/keV) dans une source (cible) de densité de plasma n et de volume V , est donné par :

I() = 4πR1 2Z

V

Z



n(~r)F (E, ~r)Q(, E)dEdV (2.14)

où Q(, E) est la section efficace différentielle du rayonnement de freinage ; l’intégration est réalisée sur le volume de la cible et à toutes les énergies des électrons qui contribuent, c’est-à-dire à toutes les énergies d’électrons au-dessus de l’énergie du photon .

On voit donc que le spectre de photons I() est lié à la fois à la distribution d’électrons énergé-tiques et aux propriétés du plasma ambiant (densité et volume de la source).

Les observations spectroscopiques (menées par exemple avec RHESSI) donnent accès au spectre intégré sur le volume de la source X, on a donc une forme intégrée de l’équation 2.14 :

I() = 4πR1 2 Z  h ¯nV ¯F(E)i Q(, E)dE (2.15) avec ¯n = (1/V )R

V n(~r)dV et ¯F(E) (électrons/cm2/s/keV) la distribution moyenne du flux d’élec-trons, c’est-à-dire la distribution de la densité de flux d’élecd’élec-trons, moyennée sur la cible et pondérée par la densité du plasma (Brown et al., 2003, Kontar et al., 2011a, Holman et al., 2011), définie par :

¯

F(E) = ¯nV1 Z

V

n(~r)F (E, ~r)dV (2.16)

Puisque la quantité ¯nV est sans dimension, les unités deh

¯nV ¯F(E)i

sont les mêmes que les unités du flux d’électrons énergétiques (électrons/cm2/s/keV). h

¯nV ¯F(E)i

est une quantité que l’on peut dériver à partir du spectre de photons I() sans faire aucune hypothèse sur le modèle d’émission du rayonnement X ; c’est pourquoi c’est la quantité calculée lors des diagnostics spectroscopiques des émissions X. Pour calculer le produit ¯nV ¯F, en principe, nous avons juste besoin de connaître la section efficace du rayonnement de freinage Q(, E).

Section efficace de rayonnement

Dans le cas du rayonnement de freinage dû à l’interaction des électrons énergétiques avec les ions ambiants, une approximation répandue de la section efficace du rayonnement de freinage est la section efficace de Bethe-Heitler non-relativiste (Koch & Motz, 1959) :

QBH(, E) = Z2Q0 E ln 1 + p 1 − /E 1 −p 1 − /E ! (2.17)

où QK(, E) est exprimée en cm2.keV−1, Q0 = (8α/3)(mec2)r2

0 = 7.90 × 10−25 cm2.keV−1 et Z21.4. Ici α ≈ 1/137 est la constante de structure fine, me est la masse de l’électron et r0 = e2/mec2

est le rayon classique de l’électron.

L’approximation dite de Kramers consiste en la même équation, sans le terme logarithme :

QK(, E) = Z2Q0

Emissions X en cible mince et cible épaisse Par la suite, nous décrivons comment le produith

¯nV ¯Fi est exprimé dans le cadre des approxi-mations de cible mince et de cible épaisse. La comparaison entre le temps d’interaction avec le milieu (ici, le temps de collision) et le temps d’échappement des particules hors de la cible permet de définir les notions de cible mince et cible épaisse. Lorsque le temps d’interaction est beaucoup plus long que le temps d’échappement, les particules vont peu interagir dans la cible avant de la quitter : on parle d’une cible mince. Au contraire, lorsque le temps d’interaction est beaucoup plus court que le temps d’échappement, les particules vont interagir avec le milieu de la cible et perdre leur énergie dans la cible. La perte d’énergie est complète ; on parle de cible épaisse.

Etant donné que le temps de collision dépend de la densité du milieu (mais pas seulement), les régions peu denses (régions coronales) sont généralement considérées comme des cibles minces, tandis que les régions plus denses (pieds de boucle chromosphériques) sont des cibles épaisses. Notons que la densité « limite » à partir de laquelle une région est considérée comme une cible épaisse dépend de l’énergie des particules (plus l’énergie des particules est importante, plus la densité doit être importante pour les stopper).

On peut également comprendre ces notions en fonction du temps caractéristique sur lequel on est capable de réaliser des observations. On compare alors le temps de collision des électrons avec la cadence temporelle de l’instrument. Si le temps de collision est important comparé à cette cadence, on a une cible mince car on n’aura que peu d’interaction pendant une observation ; alors qu’au contraire, lors que le nombre de collisions est suffisant pour que la perte d’énergie soit totale pendant le temps d’observation, on parle de cible épaisse.

Les modèles de cible mince et cible épaisse sont des approximations utilisées pour l’analyse du rayonnement de freinage des particules dans le domaine X. Notons que ce sont des approximations et qu’il existe un état intermédiaire que nous ne traitons pas ici : le cas où le temps d’interaction est comparable au temps d’échappement.

Modèle de cible mince

Dans une cible mince, les électrons énergétiques ne perdent qu’une petite fraction de leur énergie en traversant la cible où ils produisent le rayonnement. Ce type de modèle convient notamment aux sources d’émission X coronales.

Nous faisons l’hypothèse d’une distribution d’électrons en énergie ayant la forme d’une loi de puissance : ¯F(E) ∝ E−δ. Dans l’approximation de la cible mince, le spectre intégré des électrons h

¯nV ¯F(E)i

(en électrons.s−1.cm−2.keV−1) s’écrit de la manière suivante :

h ¯nV ¯F(E)i = CE E0 −δ , E > E0 (2.19)

où δ et C sont l’indice spectral et une constante de normalisation du spectre.

En utilisant l’approximation de Kramers pour la section efficace (équation 2.18), il est possible de montrer que le spectre de photons produit par cette population dans une cible mince est également une loi de puissance :

Ithin() ∝ −(δ+1) (2.20)

avec un indice spectral γthin= δ + 1

On note que cette relation est valide si on s’intéresse à la distribution de densité de flux d’élec-trons énergétiques F (~r, E), en élecd’élec-trons/cm2/s/keV. Dans certains cas cependant, on peut s’intéres-ser à la distribution de densité d’électrons énergétiques f(~r, E), en électrons/cm3/keV. La relation

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entre ces deux quantités est F (~r, E) = f(~r, E)v(E) où v(E) est la vitesse des électrons d’énergie E. Dans le cas où l’on suppose que la distribution de densité d’électrons énergétiques suit une loi de puissance f(~r, E) ∝ E−δ0

, la relation entre l’indice spectral de cette distribution et l’indice spectral de la distribution de photons devient γthin= δ0+ 0.5.

Modèle de cible épaisse

Dans le modèle de cible épaisse, les électrons énergétiques perdent toute leur énergie suprather-mique dans la cible où ils produisent le rayonnement, et finissent par être thermalisés. Le spectre d’électrons énergétiques ¯F produisant le rayonnement est donc différent du spectre d’électrons in-jecté F0.

Au cours de sa perte d’énergie dans le milieu, le nombre de photons d’énergie comprise entre  et  + δ produit par un électron d’énergie initiale E0 est :

ν(, E0) =Z tF

t=0

n(~r)Q(, E(t))v(t)dt (2.21)

avec tF le temps après lequel tous les électrons d’énergie E0 sont thermalisés.

Les électrons énergétiques perdent leur énergie avec un taux de perte dE/dt, et l’intégration en temps peut être remplacée par une intégration en énergie :

ν(, E0) =Z E0



n(~r)Q(, E)v(E)

|dE/dt| dE (2.22)

Dans le cas où les électrons énergétiques perdent leur énergie par collisions coulombiennes avec les électrons du plasma ambiant, et le taux de perte d’énergie s’exprime :

dE/dt= −(K/E)n(~r)v(E) (2.23)

avec K = 2πe4Λ, et Λ, le logarithme de Coulomb, e la charge de l’électron, n la densité du plasma, et v la vitesse de l’électron énergétique. Cette expression est valide dans un cadre non-relativiste et en faisant l’hypothèse d’un plasma totalement ionisé (Holman et al., 2011).

Si on considère le spectre d’électrons injecté F0(E0), le spectre d’émissions X peut s’exprimer comme :

I() = 4πRA 2 Z

E0=

F0(E0)ν(, E0)dE0 (2.24)

où A est l’aire de la cible épaisse.

En utilisant l’équation 2.23 dans l’équation 2.22, on peut réécrire l’équation 2.24 de la manière suivante : I() = 4πRA 2 1 K Z E0= F0(E0)Z E= EQ(, E)dEdE0 (2.25)

et en changeant l’ordre de l’intégration, et en comparant avec l’équation 2.15 : h ¯nV ¯F(E)i = AE K Z E0=E F0(E0)dE0 (2.26)

Encore une fois, nous faisons l’hypothèse d’un spectre d’électrons en loi de puissance, F0∝ E−δ0 . Prenons un spectre injecté F0(E) (électrons/sec/cm2/keV), qui a la forme suivante :

F0(E) = N˙ A δ −1 E0 E E0 −δ , E > E0 (2.27)

où ˙N est le flux d’électrons injectés dans la cible (en électrons.s−1), et δ est l’indice spectral. Après l’intégration de l’équation 2.26, le spectre moyen, intégré sur le volume et pondéré par la densité, est : h ¯nV ¯F(E)i = N˙ KE0 E E0 −δ+2 (2.28) En utilisant l’approximation de Kramers pour la section efficace (équation 2.18), il est possible de montrer que le spectre de photons produit par cette population dans une cible mince est également une loi de puissance :

Ithick() ∝ −(δ−1) (2.29)

avec un indice spectral γthick= δ − 1

Dans le cas où l’on considère que la distribution de densité d’électrons énergétiques f(~r, E) suit une loi de puissance avec un indice δ0, la relation devient γthick= δ01.5.

Raffinements supplémentaires : l’exemple de l’albédo solaire

Des modifications subtiles du spectre de photon produit par une même population d’électrons peuvent être introduites par la prise en compte de certains éléments supplémentaires, comme l’effet de l’albédo solaire, les variations des abondances des éléments lourds, un milieu partiellement ionisé. Au cours de cette thèse, j’ai été amenée à prendre en compte l’effet de l’albédo solaire, que je décris donc dans ce qui suit.

Prendre en compte l’albédo solaire revient à prendre en compte la réflexion des photons X sur la surface solaire. Si on fait l’hypothèse que les photons émis par les électrons énergétiques sont émis dans toutes les directions, une certaine quantité de photons va donc se propager vers la surface solaire. Une fraction d’entre eux sera alors déviée par effet Compton avec les particules du milieu ambiant, sur les couches plus denses au niveau de la photosphère. Certains de ces photons déviés peuvent éventuellement être détectés s’ils sont déviés dans la direction de l’instrument X : le flux de photons détecté est donc composé de photons directs (issus directement de la source X) et de photons indirects, qui ont été diffusés (« réfléchis ») au niveau de la photosphère. Prendre en compte cette diffusion revient à prendre en compte l’albédo de la surface solaire. La composante de photons due à l’albédo peut être non négligeable, et avoir pour conséquence un aplatissement du spectre de photons observé ; cela peut donc causer une légère sous-estimation de l’indice spectral (Bai & Ramaty, 1978). Un exemple de spectre est visible en figure 2.30.

Figure 2.30 – Spectre initial (ligne pleine), spectre ré-fléchi (ligne pointillée) et somme des deux (ligne en ti-rets) calculés pour un spectre initial I() ∝ −3 et pour un angle héliocentrique de 45° (figure tiré de Kontar et al., 2006).

On note que l’albédo a aussi un effet potentiellement visible sur les images X. La composante due à l’albédo dépend de l’énergie de la source X (Kontar & Jeffrey, 2010, Kontar et al., 2011a), de sa position et de son altitude. A priori, l’image due à l’albédo est plus étendue que la source primaire, et d’autant plus étalée que l’altitude de la source primaire est importante. Observationnellement,

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de telles sources sont difficiles à observer puisque l’intensité de la source albédo ne représente que quelques pourcents de l’intensité de la source primaire (Kontar et al., 2011a).