• Aucun résultat trouvé

3. ANALYSE

3.3 Termes employés, images et connotations

3.3.3 Des images pour illustrer la prostitution

Outre la manifestation de débats idéologiques et sémantiques dans le corpus, les images qui accompagnent les textes médiatiques contribuent à produire des significations conflictuelles. Les photos déployent toujours deux contre-discours au niveau des représentations de la prostitution et plus précisément, au niveau du projet de loi. D’un côté, il est question d’images qui mettent de l’avant des sentiments victorieux, des célébrations ou des contextes de militantisme, ce qui alimente un univers sémiotique axé sur la mise en œuvre de revendications et de succès suite au jugement :

Figure 4 : Manifestation en faveur de la décriminalisation complète en décembre 2013

Source : La Presse Canadienne, 21-22 décembre 2013 Figure 5 : Rassemblement à Toronto en décembre 2013

Figure 6: Terri Jean Bedford lors d’un point de presse III

Source : Buzzetti, 21 décembre 2013 Figure 7 : Réactions suite au jugement de la Cour suprême en décembre 2013

Figure 8 : Anna-Aude Caouette de Stella suite au jugement de la Cour suprême

De l’autre côté, un univers beaucoup plus macabre se juxtapose à ces images de joie et de réussite, puisant notamment dans les connotations sociales et les signes qui renvoient au red light. En effet, c’est par l’entremise de la portée symbolique de certains signes dont des jupes courtes, des talons hauts, des voitures, des bas nylon et le déhanchement des femmes qu’il devient possible de représenter des stéréotypes associés à l’industrie du sexe.

Figure 9 : Femme marchant seule dans la rue le soir

Figure 10 : Femme qui marche dans la rue

Source : Buzzetti, 20 décembre 2013 Figure 11 : Femme à côté d’une voiture le soir

Figure 12 : Trois femmes déhanchées en robes courtes

Source : Buzzetti, 9 juillet 2014

Figure 13 : Femme en talons hauts et en jupe courte marchant vers une voiture

Figure 14 : Femme en talons hauts qui sort d’une voiture

Source : Buzzetti, 4 juin 2014

Figure 15 : Femme en talons hauts et en bas nylon sous une lumière rouge

Alors que les images représentant les groupes en faveur de la décriminalisation complète déploient une certaine fierté suite au jugement, les images fournies suite au dépôt du projet de loi C-36 ne misent pas sur les groupes en faveur de celui-ci, mais plutôt sur des stéréotypes liés à l’univers prostitutionnel. Si nous comprenons ces images ainsi, il s’agit en partie d’une image symbolique connotée (Barthes, 1992 : 30) qui existe tel qu’interprétée en fonction de significations sociales. En ce sens, Roland Barthes affirme que « la lecture de la photographie est toujours historique ; elle dépend du « savoir » du lecteur, tout comme s’il s’agissait d’une langue véritable, intelligible seulement si l’on en a appris les signes » (Ibid., p. 21), donc l’interprétation dépend des significations déjà existantes dans un contexte social donné. En plus de se baser sur les connotations sociales, les images elles-mêmes alimentent celles-ci car elles s’accompagnent aussi d’un ancrage du message linguistique, c’est-à-dire que des titres, de textes et de légendes s’ajoutent aux images (Ibid., p. 32). Le rôle de ces textes est de « dirige(r) le lecteur entre les signifiés de l’image, lui en fait éviter certains et en recevoir d’autres » (Ibid.). C’est ainsi que ce renvoi entre significations existantes et perpétuation de celles-ci permet d’homogénéiser l’univers sémiotique de la prostitution, en y attribuant (voire en propageant) l’idée qu’il s’agit d’une activité propre au nightlife et qu’elle repose sur la mise en présentation des femmes, par exemple.

Le sens attribué aux images et la réception de celles-ci est facilité par le « short cut » que permettent les stéréotypes, notamment parce qu’ils engendrent un consensus au niveau des représentations d’un groupe social (Dyer, 2002 : 14). Le consensus, quant à lui, est alimenté par l’usage des stéréotypes qui « express particular definitions of reality » et il devient simultanément une forme de renforcement et de création de stéréotypes (Ibid.) par la simplification, la généralisation et la typification des significations (Ibid., p. 12). Or, les stéréotypes de la femme prostituée et des objets qui l’entourent, par exemple les vêtements moulants, les talons hauts, le bas du corps photographié, mais aussi l’anonymat mis de l’avant par les visages cachés et le dos tourné, puisent dans ces définitions qui existent à priori dans l’imaginaire collectif prostitutionnel. Les signes véhiculés en matière de prostitution deviennent donc des symboles qui se construisent par les idées et les typifications et « renvoi[ent] à son objet en vertu d’une règle, d’une loi, d’une association d’idées générales » (Everaert-Desmedt, 1990 : 65).

Cependant, il y a un certain bris avec les stéréotypes grâce au déploiement d’images de joie et de fierté, où les visages sont clairement photographiés, mais une tendance qui se manifeste (par son absence, ironiquement) est celle de l’invisibilité des clients et des proxénètes. Or, dans toutes les représentations, c’est autour des femmes qu’il est question de perpétuer les stéréotypes, comme si elles existaient seules dans l’univers prostitutionnel. De surcroît, elles incarnent le « short cut » qui permet d’accéder rapidement, ne serait-ce que par les images qui font écho au red light, à l’idée de la prostitution. Le seul moment où il devient possible de sous-entendre l’existence du client ou d’un proxénète se fait par la présence d’une voiture, lorsque des femmes prostituées se dirigent ou s’éloignent de celle-ci, car le véhicule est porteur de sens et incarne à lui seul un symbole dans le contexte prostitutionnel. C’est ainsi que les proxénètes et hommes qui achètent le sexe existent à travers les images tout en restant cachés, absents.

La représentation du double discours qui est celui de la joie et de l’univers davantage nocturne s’inscrit dans la même logique binaire où il existe deux manières opposées de comprendre la prostitution : celle de la fierté et le désir de se faire visible, et celle de l’objectification du corps des femmes. Il est rare, voire impossible de trouver des images accompagnant les articles qui se détachent de cette binarité, et comme il en sera question plus loin dans la discussion, ce double discours est au cœur des débats politiques présents dans les médias.