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Théorie de l'incidence et de la répercussion.

Après avoir déterminé la notion de l'impôt et les prin-cipes directeurs qui doivent inspirer le législateur, il s'agit de voir ici comment les impôts se comportent lorsque le législateur n'a plus de pouvoir sur eux; d'étudier comment ils se répercutent d'eux-mêmes entre les particuliers et quelle est leur incidence définitive. Il n'est plus question de chercher de nouvelles règles qui doivent présider à la ré-partition de l'impôt, mais de constater jusqu'à quel point la réalisation de celles que nous connaissons déjà est im-. possible im-.im-. La mission sociale de l'impôt ne peut pas recevoir

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86-ici une nouvelle justification théorique; nous allons mainte-nant rechercher dans quelle mesure les divers moyens pour la mettre en pratique peuvent atteindre leur but.

Celui qui paie un impôt ne le supporte pas toujours défini-tivement. Il va essayer avec toutes ses forces de le réflé-chir sur d'autres ; chacun, d'un autre côté, se défendra de laisser retomber sur lui les charges d'autrui. Une lutte des intérêts opposés s'engage ainsi, lutte qui ressemble à celle · que se livrent ces mêmes intérêts lorsqu~il s'agit du partage de richesses et de revenus. Dans un cas et dans l'autre, les mêmes tendances se feront valoir, le résultat final pré-sentera ici et là les mêmes particularités caractéristiques.

Les effets de l'impôt, que l'on peut constater d'après le ré-sultat de cette lutte, présentent un caractère définitif; le répartiteur ne peut plus rien y changer, à moins de modifier les conditions dans lesquelles la répercussion s'est parfaite.

Il semble, à premier abord, que pour connaître les effets définitifs d'un impôt, il faille se ·livrer à une enquête sur les conséquences qui ont suivi son établissement. Des re-cherches statistiques pareilles auraient une immense utilité pour le pays et pour le temps dans lesquels elles auraient été poursuivies. Mais elles ne pourraient pas aboutir à des conclusions précises et générales, car on ne saurait jamais dis-tinguer rigoureusement les changements dans la position des particuliers survenus à la suite de l'impôt de ceux qu'on de-vrait attribuer à d'autres influences. Les lois économiques, qui président à la dévolution des richesses, dominent le pro-cès, la diffusion de l'impôt. La théorie générale sur la for-mation des prix, sur les rentes, les profits et les salaires, doit ainsi nous servir de point de départ pour l'étude de la répercussion. Les données statistiques et l'observation des

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-faits auraient une grande utilité pour vérifier l'exactitude des lois générales sur la distribution des ri~hesses et des conclusions qu'on a pu en déduire relativement à la réper-cussion de l'impôt. Mais la méthode déductive ne peut pas pour cela être mise de côté. La théorie de la répercussion est si intimement liée avec celle de la distribution des ri-chesses , que presque tous les économistes de la première moitié de ce siècle ont considéré la première comme une suite du chapitre relatif à la seconde. D'autre part, pour les mêmes auteurs, les effets de l'impôt, qu'ils croyaient pouvoir déterminer par une npplication logique des lois gé-nérales sur la répartition à ces cas particuliers, apparais-saient comme la question la plus importante concernant les revenus publics. Et l'on comprend jusqu'à un certain point cette tendance, car rien ne serait plus utile pour la science des finances et pour l'économie. nationale proprement dite, que de connaître d'avance l'effet exact de chaque impôt.

Ceci une fois fait, rien ne serait plus facile que de fixer et de mettre en pratique les principes qui doivent diriger la distribution des charges publiques. Seulement, est-il pos-sible de déterminer avec précision toutes les conséquences des impôts sur les particuliers et sur l'ensemble du corps social? Les premiers économistes en étaient convaincus.

Ils se faisaient l'illusion d'être en possession des vraies lois naturelles, auxquelles tous les phénomènes économiques étaient soumis, et qui suffisaient pour résoudre tous les problèmes. Ils ne doutaient pas - et en cela ils étaient d'une bonne foi absolue-,--- que toutes les suites d'une taxe ne puissent pas être déduites des lois en vertu desquelles le revenu de la nation se partage entre la rente, les salaires et les profits.

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-Nous verrons comment cette confiance dans la valeur absolue des lois économiques se perdait peu à peu chez les auteurs qui ont continué l'œuvre des fondateurs de la science économique. L'observation la plus superficielle per-mettait de constater le désaccord entre les prévisions de la science et la pratique. De sorte qu'on a dù conclure, à la fin, que les théories de l'économie politique classique, même en tant qu'elles sont justes en elles-mêmes, n'embrassent pas toutes les forces agissantes de nos sociétés. Mais les moments qui ne sont pas contenus dans les lois déjà for-mulées, et qui viennent les modifier, sont tellement variés et multiples, que c'est au plus si nous pouvons, non pas dé-terminer les conséquences produites par chacun d'eux, mais simplement indiquer les modifications générales, qu'ils tendent à provoquer.

Le point de vue des anciens économistes n'était donc pas faux : la théorie de l'incidence est en intime connexion avec celle de la répartition. Cette dernière sert de point de dé-part et de guide pour arriver à un système ordonné et scientifique de la répercussion générale. Un écueil à éviter, c'est l'adoption d'une règle pratique qui serait simplement déduite d'une théorie g·énérale - ·qui peut paraitre très juste en elle-même - sans le contrôle d'une observation minutieuse des complications que son application peut sus-citer. C'est par ce défaut-là que beaucoup de théoriciens ont péché. Mais cette marque de faiblesse est tellement vi-sible, qu'il serait à peine nécessaire de la signaler lorsque nous la rencontrerons chez un auteur, dans l'exposé des principales théories sur la répercussion, que nous allons en-treprendre.

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-C'est justement parce que ces dernières découlent des lois sur la répartition des richesses et parce qu'elles cons-tituaient, chez les premiers économistes, toute la partie générale des études sur l'impôt, que leur évolution est intéressante à suivre. Elle nous fait assister à un progrès des idées économiques, financières et sociales, et aussi à un progrès de la méthode et de la technique scien-tifiques. L'étude de cette évolution parallèle de ques-tions différentes, mais intimement liées entre elles~ présente par elle-même un très grand intérêt scientifique. Elle nous permettra en outre de faire un choix éclairé entre les différentes théories de l'incidence, après avoir apprécié les fondements et les conséquences de chacune d'elles. C'est seulement de cette façon, du reste, qu'on peut arriver à faire la part des vérités et des erreurs que ehacune d'elles peut contenir, et obtenir la vraie solution du problème de la répercussion, si important pour la question que nous . traitons ici.

Les conclusions les plus directes et les plus importantes, qu'il faut déduire d'une théorie de la diffusion de l'impôt, sont relatives à sa juste répartition et au choix à faire entre ses diverses espèces. Et c'est par là que ces théories se rattachent à la question de justice et d'équité de l'iin-pôt, ainsi qu'à son rôle social. Sans vouloir anticiper sur ce qui doit venir, nous pouvons dire que dans une pre-mière époque (Smith, Ricardo) on ne se pose _même pas la question de justice et l'on ne se demande pas de quelles taxes devrait être composé un système pour être équitable dans son ensemble.

Avec la théorie de la répercussion (( à l'infini » (Canard), cette question n'a plus de raison d'être : les impôts se

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-partissent d'eux-mêmes le plus justement possible. Ce n'est que chez une troisième catégorie d'économistes, que la préoccupation de la juste répartition de l'impôt prend une place de plus en plus considérable et deyient dominante chez les auteurs modernes.

Nous n'entendons pas passer en revue toutes les doc-trines qui, depuis plus d'un siècle, ont eu cours dans la seience de tous les pays, ni donner une critique détaillée de chacune de celles que nous aurions exposées. Nous ne voulons pas faire du problème de la répartition l'objet prin-cipal de nos recherches ; cela nous ferait sortir du cadre de ce travail1. Nous nous sommes décidés à étudier les principales tendances, qui se sont produites dans le passé que parce que cette manière nous a paru la meilleure pour arriver à une solution plus précise de la question du but de l'impôt. routes les discussions sur la manière de répar-tir les impôts et de composer un système partent en effet des diverses façons de considérer leur répercussion et leur

1. Nous nous faisons un devoir de signaler deux monographies sur ce sujet, qui nous ont montré l'immense avantage d'une étude histo-rique des principales théories sur la répercussion. Ce sont :

Die Léhre von der Ueberwaeltzung der Steztern, von Dr .J. KAIZL, Leipzig, :1.882, ·et Kritische Rückblicke au{ die Entwickelung der Lehre von de1· Steuerüeberwiiltzung seit Ad. Smith, von FALCK, Dorpat, :1.887. Ce second travail, comme son titre l'indique, est consacré tout entier à une revue historique des principales doctrines, revue dans laquelle une critique très pénétrante de l'ensemble et des détails est menée avec une sagacité et une aisance remarquables; ce qu'il a surtout en vue, c'est moins de critiquer chaque système pris en lui-même, que de saisir les ressemblances et les différences qui les relient et les dis-tinguent les uns des autres. M. v. Falck a brillamment confirmé, par son livre, qu'il est possible de faire une étude très personnelle d'un sujet par le seul examen critique de toutes les théories existantes.

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-incidence. Or, la question du rôle social des contributions réside toute entière dans le principe qui doit présider à leur répartition.

CHAPITRE 1

Les PHYSIOCRATEsi partent, comme Vauban, de l'idée d\m impôt unique général et égal pour tous. D'après Robert Meyer2, ce sont eux qui ont élaboré les premiers une théorie sur l'incidence et la répercussion de l'impôt. La richesse résidant uniquement dans la terre et dans ses produits, les dépenses publiques ne pouvaient avoir leur source que dans la masse des produits agricoles, y compris les produits des mines et des eaux.

Les classes des propriétaires et des cultivateurs, les seuls détenteurs du produit net, supportaient en définitive tous les impôts quelle que fùt leur répartition légale. Les classes stériles ou les <<classes stipendiées», les commerçants, les industriels, les savants et les artistes, n'étaient ré-tribués qu'à raison du travail dépensé; le reste de la part des produits de la terre, qui. revenait à ces classes, était englouti par l'achat des matières premières, l'amortis-sement et le renouvellement des capitaux. Tous ces gens-là ne touchaient donc qu'un salaire ; et ce salaire en vertu de la fameuse <<loi d'airain» développée déjà par Turgot, était

:1.. Marquis DE MIRABEAU, Théorie de l'impôt, :1.760; TURGOT, OEuv1·es.

GUILLAUMIN, t. 1.

L Principien de1· ge1·echten Betwerung, p. :1.2.

juste assez élevé pour permettre à ceux qui en vivaient de subsister. Il ne pouvait par conséquent être abaissé que provisoirement, et devait s'élever du montant de tous les impôts dont on aurait . voulu le grever. Toutes les taxes se trouvaient ainsi réfléchies sur les acheteurs des produits fabriqués, c'est-à-dire les cultivateurs et les propriétaires, les seuls détenteurs du produit net. Les eultivateurs ne pouvaient se proeurer, après l'établissement de l'impôt sur les salaires industriels, qu'une part moins grande d'ob-jets fabriqués.

Les cultivateurs jouissaient en effet d'une partie du pro-duit net, de la partie que les propriétaires leur donnaient en échange des produits agricoles, dont personne ne peut se passer ; et ils employaient cette partie du produit net,

à l'achat des objets fabriqués. Les prix de ces derniers étant en hausse par suite de l'impôt, les cultivateurs ne pouvaient se procurer qu'une quantité moindre des produits industriels, tout en jouissant de la même partie du produit net disponible pour l'achat de ces produits industriels. Les propriétaires ne verraient pas le produit net diminuer par le fait d'un impôt visant les elasses stériles, les produits agrieoles ne leur reviendraient pas plus cher qu'auparavant;

mais en tant qu'acheteurs des produits fabriqués, les

pro-·priétaires supporteraient toutes les taxes qui frappent ces objets.

Les taxes porteraient sur les salaires agricoles, sur les capitaux employés dans la culture ou sur les eultivateurs directement et personnellement et seraient prélevées sur le produit brut ; les propriétaires auraient leur part diminuée d'autant et seraient de nouveau les seuls à supporter le poids de l'impôt.

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-Alors, ne vaudrait-il pas mieux imposer uniquement et directement les propriétaires fonciers, puisque dans toutes les hypothèses imaginables, ce sont eux, qui par des réper-cussions multiples et souvent compliquées, supportent en dernier lieu toutes les charges publiques? La liberté des transactions ne pourra que gagner à cette réforme et les

·frais de perception seront sensiblement réduits.

On voit que les Physiocrates, partant de leur doctrine, fausse, il faut le dire, sur la nature de la richesse, arrivent par une théorie de la répercussion très logique au système d'ün impôt unique, qui est en harmonie avec leurs prin-cipes économiques. Le parallélisme entre leurs idées écono-miques, leurs idées financières générales et leur doctrine sur la répercussion est donc frappant. L'incidence et la répercussion de l'impôt sont la clef de voùte ~e leur système financier.

Pour ADAM SMITH, la répercussion de l'impôt se fait d'après les mêmes principes qui régissent la distribution des produits entre la rente, les profits et les salaires. Le jeu de l'offre et de la demande fixe la part afférente à chacun des trois facteurs de la production. Lorsque les impôts viennent diminuer la rente, les profits et les salaires, la répercussion se manifeste par un changement de prix, ou bien il y a incidence, suivant que le rapport précédent de l'offre et de la demande reste le même ou est modifié.

La rente est due au propriétaire pour l'usage de la terre, sans être la rémunération d'un .travail quelconque ; les propriétaires, par le fait de leur monopole, se font payer aussi cher que pos~ible. Mais leurs prétentions ont une

limite ; en effet, le jeu des ]ois économiques détermine un minimum au-dessous duquel les profits et les salaires ne peuvent tomber~ Et comme c'est par les salaires et les profits que la rente est payée, Ja limite minima du taux de

· ceux-ci est la limite maxima du taux de la rente.

Le salaire est réglé par l'offre et la demande du travail et le prix des subsistances des ouvriers, il doit suffire à entretenir ces derniers et leurs familles. Mais il faut remarquer que si le salaire ne peut pas baisser tant que le prix des subsistances n'a pas diminué, l'augmentation du salaire par suite de l'impôt sera funeste aux ouvriers, car elle diminuera la demande du travail et condamnera nombre de travailleurs à se laisser mourir de faim ou à émigrer.

Le profit se composé de rintérêt du capital employé et de la rétribution dn travail et des risques de l'entrepreneur.

Cette seconde partie équivaut à un salaire; elle est, d'après Smith, toujours à un taux qui permet à peine à l'entrepre-neur de subsister comme entreprel'entrepre-neur : elle ne peut donc pas être diminuée par une taxe. La part du profit qui repré-sente la rétribution pour l'usage du capital - l'amortisse-ment du capital et les risques mis à part - se comporte comme la rente de la terre : elle se perçoit en vertu d'un monopole, et ne connaît pas de limite minima. Les impôts qui tomberaient sur le salaire ou sur la partie de profit qui représente la rémunération du travail et des risques de l'entrepreneur seraient toujours répercutés sur la rente et l'intérêt du capital. La rente et l'intérêt étant toujours au maximum ne peuvent pas hausser par suite de l'établisse-ment de l'impôt ; de même le salaire de l'ouvrier et de l'entrepreneur étant toujours au minimum de ce qu'il peut être, ne peut pas baisser davantage.

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-La rente apparaît_, chez le fondateur de l'économie politi-que, comme l'élément gratuit de la production, et c~est pour cela qu'elle peut être indéfiniment abaissée par l'impôt.

L'intérêt du capital est de même, pour le capitaliste, une source de gain qui n'occasionne ni coùts ni travail; il est aussi susceptible de réduction. Mais le travail, la peine et les risques de la mise en œuvre des capitaux sont des élé-ments coùteux de la production, et leur récompense étant toujours déterminée par les frais qu'ils ont occasionnés, leur taux nécessaire ne peut pas être diminué.

Ces principes déterminent la répercussion des différentes espèces de l'impôt. Voyons, d'abord, ce qui en est des im-pôts qui s'attaquent à une seule source de revenus. Les taxes sur les rentes de la terre, quel que soit le mode de l'assiette, retombent sur le propriétaire, en diminuant d'autant la rente. Ces impôts ne peuvent pas renchérir le prix des produits agricoles, car ils n'en diminuent pas l'offre, ni en augmentent la demande. Le bénéfice du fer-mier ne peut non plus baisser plus bas que le taux moyen des profits, sans cela il se tournerait vers d'autres exploitations plus rémunératrices. Et il en est absolument de même des taxes sur les produits de la terre - la dime - et non directement sur la rente.

Dans la rente des maisons, Ad. Smith distingue la rente du sol et la rente du bâtiment. Ces deux rentes ne sont pas du tout de la même espèce. La seconde est le profit ou l'intérêt du capital employé dans la construction ; elle se comportera, vis-à-vis de l'impôt, comme toute autre branche du capital qui serait seule grevée d'une taxe. Le profit de cette branche ne peut pas être abaissé par rapport aux autres branches, sans quoi les capitaux s'en retireraient à

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-la longue. L'impôt ne pourra donc pas diminuer -la rente du bâtiment. Il sera supporté par la rente du sol, d'une part, et d'autre part par les locataires, sans que la propor-tion de ce partage puisse toujours être fixée d'avance. En tant que l'impôt tombe sur les locataires, il porte sur la source d'où le locataire tire son revenu, que ce soit la rente,-le profit ou le salaire, et se comporte comme tout autre impôt de consommation. Seulement cette taxe est un peu plus lourde pour le riche que pour le pauvre, parce qUe les riches sont logés avec luxe, dépa,ssant largement ce qui est strictement nécessaire en fait d'habitation ; et c'est cette partie là du loyer qui supporte définitivement

-la longue. L'impôt ne pourra donc pas diminuer -la rente du bâtiment. Il sera supporté par la rente du sol, d'une part, et d'autre part par les locataires, sans que la propor-tion de ce partage puisse toujours être fixée d'avance. En tant que l'impôt tombe sur les locataires, il porte sur la source d'où le locataire tire son revenu, que ce soit la rente,-le profit ou le salaire, et se comporte comme tout autre impôt de consommation. Seulement cette taxe est un peu plus lourde pour le riche que pour le pauvre, parce qUe les riches sont logés avec luxe, dépa,ssant largement ce qui est strictement nécessaire en fait d'habitation ; et c'est cette partie là du loyer qui supporte définitivement

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