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Chapitre 2. Maîtrise et partage de l’eau dans les communautés d’irrigation

3. L’entretien en commun des structures hydrauliques

3.2 Des charges proportionnées à l’accès à l’eau

La responsabilité de la gestion et de l’entretien du réseau incombe à la collectivité. Comme dans la plupart des aspects de la vie de la communauté d’Agón, les décisions, prises collectivement, doivent être appliquées par les magistrats élus et exécutées par tous les pagani, chacun pour la part qui lui revient.

Lex Riu. Hib., § Ia, I.1-8. [---] riuom Hiberiensem [---] molem riui Hibe [riensis ---]e ad aliam rem a- (?)[--- i]mperauerint siue quid [---] in eam rem fieri iusserint denuntiauerintue (...) ex maioris partis paganorum sententia (…)

[Les tâches ou toute autre opération qu’ils devraient exécuter] pour (l’entretien) du canal de l’Ebre ou de la digue du canal de l’Èb[re, qu’ils doivent les exécuter, de même que les] autres prestations [relatives à (l’usage) de l’eau de ce canal que donc les magistrats du pagus auront i]mposées ou quoi que ce soit d’autre qu’à ce sujet ils auront ordonné ou notifié (…) conformément à l’avis de la majorité des pagani (…)

1 Ce phénomène est d’ailleurs accentué par la croissance plus importante de la végétation en aval d’un barrage (R.J.

BATALLA et D. VERICAT, « Hydrology and Sediment Transport », in D. BARCELO et M. PETROVIC (dir.), The Ebro

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Lex Riu. Hib., § 2b, I.21-26. Ad riuom Hiberiensem Capitonianum purgandum reficiendumue ab summo usque ad molem imam quae est ad Recti centurionis omnes pagani pro parte [---] sua quisque praestare debeant.

Pour le curage ou la réparation du tronçon (dit) Capitonianus du canal de l’Èbre, depuis le secteur en amont jusqu’à la digue terminale qui est près (de la propriété) du centurion Rectus, que tous les pagani doivent y procéder chacun pour la part qui lui revient.

Lex Riu. Hib., § 3a, I.27-29. Riuos quibus utentur communiter, purgent re feciant, ita ut qua fine quisque aquam habet,usque eo operas praestet (…)

Les canaux dont ils ont l’usage en commun, qu’ils les curent et les réparent de façon que chacun effectue les travaux qui lui incombent, dans la limite d’accès à l’eau (…)

La responsabilité collective est assumée par tous les pagani (omnes pagani). La part de chacun est cependant calculée en fonction des bénéfices qu’il retire de sa participation à la communauté, autrement dit de la quantité d’eau qui lui est allouée (pro parte sua). Le règlement instaure donc une règle de proportionnalité entre investissements et bénéfices.

Les magistrats sont chargés de veiller à l’application du règlement et des décisions prises par le concilium. Ils étaient secondés dans cette mission par des curateurs.

Lex Riu. Hib., § 2a, I.16-18. Cuius eorum qui operas aliutue quid praestare debebit magistri pagi curatoresue praesentiam habere non potueri<n>t (…)

Celui d’entre eux, dont les magistrats du pagus ou les curateurs n’auront pas pu obtenir qu’il soit présent (...)

Lex Riu. Hib., § Ib, I.9-10. Et si qui, arbitratu eorum aut eius qui operis praeerit, operas non praestiterit (…)

Et si quelqu’un, au gré de celui ou de ceux qui dirigeront les travaux, ne remplit pas ses obligations (…)

Ces curateurs exercent une charge (cura) qui consiste à diriger des travaux (qui operis praeerit), c’est-à-dire d’en assurer le financement et la réalisation effective. Dieter Nörr a avancé l’idée d’une cura aquarum et Patrick Le Roux a proposé une cura riui1. Ces deux

hypothèses se fondent sur la régularité de la fonction, ce que le texte ne permet pas d’affirmer. Il est possible aussi qu’il s’agisse d’une charge similaire aux munera municipaux, assurés par les évergètes.

L’investissement personnel des membres était également requis lors de travaux concernant sans doute les dérivations individuelles.

Lex Riu. Hib., § 3a, I.29-32. (...) perfectis riuis, [a]b ea mole qua quisque aquam deriuat, ad proxuma[m] molem, purgare anno bis cum ei magistri pagi diem dixerint denuntiauerint.

(...) après avoir achevé les travaux d’entretien des canaux, à partir de la digue d’où il fait dériver l’eau chacun (devra) nettoyer (le cours) jusqu’à la digue suivante deux fois par an, au jour que les magistrats du pagus auront dit et notifié.

Chaque irrigateur était responsable de l’entretien de sa propre canalisation (ab ea mole qua quisque aquam deriuat, ad proxumam molem). Là encore, la communauté montre, dans son règlement, un grand souci du maintien en bon état de l’ensemble du réseau, puisque ces tâches devaient être accomplies deux fois par an (anno bis). Un défaut d’entretien, même des canalisations individuelles, pouvait entraîner des dysfonctionnements affectant

1 D. NÖRR, « Prozessuales (und mehr) in der lex rivi Hiberiensis », op. cit.., p. 122‑123 ; P. LE ROUX, « Le pagus dans la

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le canal principal duquel tous les autres étaient tributaires (élévation du niveau de l’eau, mauvais écoulement).

Les charges d’entretien du réseau, pesant sur tous, devaient souvent être difficiles à faire exécuter, en particulier parce que la communauté de la Lex rassemblait des habitants de plusieurs circonscriptions administratives. L’Èbre charrie une quantité importante d’alluvions ce qui ne pouvait qu’accroître le problème1. La mise en commun d’une force

de travail, d’une capacité d’investissement, mais aussi la mutualisation des efforts et la répartition des charges différencient la « communauté d’irrigation » d’une bourgade utilisant l’eau d’une même source par le biais d’un système de concessions octroyées par une autorité supérieure2.

Conclusion

Les campagnes d’Afrique et d’Hispanie étaient, sans conteste, peuplées de très nombreuses communautés d’irrigation. Dans la majorité des cas, une organisation traditionnelle efficace les a dispensées de rédiger des documents tels que ceux que nous venons d’étudier. Il est possible aussi que le remploi des matériaux, en particulier du bronze, nous ait privés d’autres documents du même type. Les conclusions tirées dans ce chapitre, à partir du peu de textes dont nous disposons, sont donc représentatives mais ne peuvent s’appliquer exactement à l’ensemble des communautés d’irrigation. Elles nous permettent toutefois de déterminer des caractéristiques récurrentes dans ce type d’association rurale.

Il faut, tout d’abord, souligner que l’expression de « communautés » d’irrigation peut parfois être abusivement utilisée pour évoquer de simples groupes d’agriculteurs, voisins, qui irriguent leurs cultures à partir d’une même source, concédée par une autorité tierce, propriétaire de la source. Dans ce cas, l’eau ne constitue pas un patrimoine commun3. Ce type de communautés de voisinage, peut-être à Tusculum et à Rome, n’était

certainement pas doté d’institutions politiques comme à Agón. Les communautés d’irrigation se définissent donc par leur objet, le partage d’une ressource hydrique détenue par la communauté elle-même, et présentent de nombreux points communs. La nécessité

1 Il est vrai que le très fort alluvionnement actuel du fleuve, qui a conduit à l’impossibilité d’y naviguer, est dû en

grande partie au déboisement et aux retenues d’eau opérées par les barrages et les canaux d’irrigation, dont la systématisation ne date que du XVIe siècle. Á une échelle certes réduite, les retenues d’eau et les structures liées à

l’exploitation du fleuve, existaient néanmoins dès la période antique (N. DUPRE, « La place de la Vallée de l’Èbre

dans l’Espagne romaine. Recherches de géographie historique », Mélanges de la Casa de Velázquez, 1973, p. 136 et 138).

2 Dieter Nörr parle d’une « association de forces » (natürliche Zwangsverband) et même d’une « communauté de destin »

(Schicksalsgemeinschaft). Il souligne la forme communautaire et relève les similitudes entre la Lex Riui Hiberiensis et une lex collegii. L’auteur développe enfin des arguments juridiques et procéduraux pour montrer l’influence du droit d’association sur la constitution de la communauté du canal de l’Èbre (D. NÖRR, « Prozessuales (und mehr) in der lex rivi Hiberiensis », op. cit.., p. 117‑118).

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de partager l’eau y détermine l’organisation sociale et institutionnelle et un investissement collectif est certainement nécessaire à la constitution de la communauté, de même que l’existence d’une caisse commune garantissant sa stabilité. Du partage de l’eau, ainsi que des conditions topographiques et climatiques, dépend l’organisation générale de la communauté, mais aussi les modalités de la répartition, en temps ou en volume, et les modalités techniques de mise en place du réseau d’adduction et de répartition.

Les communautés d’irrigation, quel que soit leur degré d’autonomie, s’inscrivent dans le cadre institutionnel des cités dont elles dépendent. L’aristocratie municipale, fondée sur la propriété foncière, y occupe donc une place essentielle, comme on peut le constater à Lamasba. Mais on observe aussi des instances qui permettent, a priori, à l’ensemble de la communauté de s’exprimer, comme le concilium d’Agón. Nous traiterons, dans la deuxième partie de cette étude, de la place à accorder à cette assemblée dans le processus de prise de décision.

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Chapitre 3. La gestion de l’eau dans les communautés