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La gestion commune de l'eau dans le droit romain : l'exemple de l'Afrique romaine et de l'Hispanie (1er siècle avant - Ve siècle après J.-C.)

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(1)

I

La gestion commune de l’eau dans le droit romain. L’exemple de

l’Afrique romaine et de l’Hispanie (Ier siècle avant – V

e

siècle après

J.-C.)

Thèse en cotutelle

Doctorat en histoire

Marguerite RONIN

Université Laval

Québec, Canada

Philosophiae Doctor (Ph. D.)

et

Université de Nantes

Nantes, France

Docteur

© Marguerite Ronin, 2015

(2)
(3)

III

R

ESUME

Ce travail porte sur la gestion de l’eau dans les communautés urbaines et rurales des provinces romaines d’Afrique et d’Hispanie, régions caractérisées par une importante sécheresse estivale et des précipitations hivernales irrégulières. La période retenue (Ier siècle avant-Ve siècle après J.-C) permet de

s’intéresser aux structures politiques, institutionnelles et juridiques romaines, à travers les compilations de droit de la fin de l’Antiquité tardive, mais aussi des sources littéraires et épigraphiques. L’éclairage spécifique qu’offrent les sources juridiques sur les institutions locales permet de détailler comment l’eau est administrée à l’échelle de la cité et des communautés rurales, mais aussi les liens que ces dernières entretiennent avec les autorités provinciales et centrales. Cette étude porte tout d’abord sur les différentes règles administratives, institutionnelles et juridiques déterminant le partage de responsabilités élaboré par les communautés provinciales, tant en ville qu’en campagne, pour se prémunir des risques de pénurie et d’inondation. On analyse, dans un second temps, les fondements politiques de la maîtrise commune des ressources hydriques. La notion de consensus se révèle alors déterminante pour comprendre les raisons qui poussent les membres de différentes communautés étudiées à collaborer, mais également à surmonter les épisodes de crise et de conflits. L’ensemble de ces questionnements s’inscrit enfin dans une réflexion plus générale sur les interactions institutionnelles entre centre et périphérie, autour de l’administration d’une ressource naturelle partagée, recherchée et nécessaire à tous, et sur l’autonomie des communautés locales.

Mots-clefs : droit romain – gestion de l’eau – institutions provinciales – rapports centre/périphérie – irrigation – Espagne romaine – Afrique romaine -

(4)
(5)

V

A

BSTRACT

This study is about the water management in rural and urban communities of the roman provinces of Africa and Spain. Those regions can be described as dry to semi-arid in summer, when very irregular and unpredictable rain is typical in winter. During the period between first century BC and fifth century AD, those provinces remain under institutional, administrative and judicial authority of Rome. A particular attention will be focused on the local institutions, in cities as well as in the countryside, through Roman law. It will allow describing how those institutions manage to take the water administration in charge, and how they handle it in their relationship with provincial and central roman authorities. Roman law sheds a specific light on local institutions from the city and from rural communities. It allows describing how is water managed at this level and through the relationships between centre and periphery. This study deals with the various rules settling how is responsibility shared amongst those communities’ institutions, their main purpose being protecting from flood or water shortage. In a second time will be analyzed on what is based such a collective management, which can be defined as a consensus. This notion is relevant as it allows our understanding of collaboration, and of overcoming conflicts and crises. All those questions have to be understood as part of a more general understanding about institutional relationships between roman provinces and imperial government, and about local self-government.

Key words: Roman law – water management – provincial institutions – centre and periphery – irrigation – Roman Spain – Roman Africa -

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(7)

VII

T

ABLE DES MATIÈRES

Résumé ... III Abstract ... V Table des matières ...VII Liste des abréviations utilisées ... XIII Remerciements ... XVII

Introduction générale ... 1

1. La gestion de l’eau : histoire et historiographie ... 2

2. La pertinence d’une étude de la Péninsule ibérique et de l’Afrique du nord ... 9

3. La gestion commune de l’eau en Afrique et en Hispanie, cadre d’interactions institutionnelles ...18

4. Sources et méthode ...19

Première Partie – La maîtrise de l’eau dans les communautés d’Espagne et d’Afrique ....29

Préambule à la première partie : le principe de liberté d’accès à l’aqua publica ...31

Chapitre 1. La gestion commune de l’eau dans les villes ...33

Introduction ...33

1. Adduction et stockage publics dans les villes d’Afrique et d’Hispanie ...35

1.1. Les autorités en charge des adductions publiques dans les cités ...35

1.2 Les citernes et le stockage de l’eau publique ...48

2. La distribution de l’eau dans les villes ...52

2.1. Les réseaux urbains de distribution de l’eau ...52

2.2. Une eau accessible aux citadins ...58

3. L’évacuation des eaux ...73

3.1 Sources et historiographie sur les systèmes d’évacuation des eaux des villes romaines ...74

3.2 Fonctionnement des systèmes d’évacuation ...75

3.3 Aménagement et entretien des égouts : responsabilité collective ou individuelle ? ....79

3. 4 Importance du raccordement des habitations privées au réseau public d’assainissement ...82

3.5 Réflexions sur le cadre spatio-temporel et conclusions sur l’évacuation des eaux ...84

Conclusion ...85

Chapitre 2. Maîtrise et partage de l’eau dans les communautés d’irrigation ...87

Introduction ...87

(8)

VIII

1.1 Un calendrier agricole dépendant de l’accès au réseau hydraulique ...90

1.2 Mise en place d’un réseau hydraulique propre à conduire et répartir l’eau ...92

1.3 Le paysage des communautés d’irrigation ... 106

2. Les modalités institutionnelles et pratiques du partage de l’eau ... 111

2.1 Les autorités habilitées à fixer la répartition de l’eau ... 111

2.2 Le choix entre partage en temps ou en volume ... 119

3. L’entretien en commun des structures hydrauliques ... 127

3.1 Un entretien assuré par les contributions financières et les corvées ... 127

3.2 Des charges proportionnées à l’accès à l’eau ... 129

Conclusion ... 131

Chapitre 3. La gestion de l’eau dans les communautés de voisinage ... 133

Introduction ... 133

1. Des relations d’interdépendance organisées par le droit des servitudes prédiales ... 137

1.1 De nécessaires aménagements au droit de la propriété ... 137

1.2 Le droit des servitudes, cadre juridique des relations de voisinage ... 138

1.3 Diversité des modes d’établissement des servitudes d’eau ... 142

2. L’accès à l’eau assuré par le droit des servitudes ... 147

2.1 Un partage de l’eau autorisé par les servitudes ... 147

2.2 Des constructions hydrauliques protégées par le droit des servitudes ... 153

2.3 L’usage des servitudes d’eau, condition de leur existence ... 159

3. La nécessaire collaboration en matière d’évacuation des eaux ... 163

3.1 La salubrité et la sécurité, enjeux de l’évacuation des eaux en milieu urbain ... 163

3.2 Maîtrise de l’eau et gestion des risques par l’actio aquae pluuiae arcendae ... 167

Conclusion ... 177

Deuxième Partie – Le consensus au cœur de la gestion commune de l’eau ... 181

Chapitre 4. La recherche du consensus ... 183

Introduction ... 183

1. Le consensus, fruit d’un équilibre entre intérêts particuliers et intérêt général ... 184

1.1 L’intérêt général d’une gestion commune de l’eau ... 185

1.2 Un accès à l’eau caractérisé par sa valeur sociale et économique ... 189

1.3 L’exigence d’une évacuation des eaux efficace ... 200

2. Le consensus autour de la gestion commune de l’eau, une aspiration sociale juridiquement garantie ... 208

2.1 Un consensus tributaire des rapports de force pour l’accès à l’eau ... 209

2.2 Les conditions juridiques du dépassement des intérêts particuliers ... 217

Conclusion ... 229

(9)

IX

Introduction ... 231

1. De multiples atteintes aux fondements du consensus ... 233

1.1 Différentes stratégies d’appropriation des ressources ... 234

1.2 La mise en cause de règles d’intérêt général... 240

2. Les crises de la gestion de l’eau, au cœur des dynamiques socio-institutionnelles ... 251

2.1 Des crises révélatrices des faiblesses institutionnelles ... 252

2.2 Le rôle des crises dans la structuration du tisus socio-institutionnel ... 265

Conclusion ... 274

Chapitre 6. L’autonomie des communautés locales au sein du consensus entre centre et périphérie ... 277

Introduction ... 277

1. Autonomie locale et détermination des règles de la gestion de l’eau... 278

1.1 Termes du consensus et évolution de l’autonomie des cités ... 279

1.2 L’autonomie des communautés d’irrigation dans la gestion de leurs ressources ... 285

1.3 Évolution doctrinale sur l’autonomie des communautés de voisinage ... 290

2. Les interventions des autorités romaines dans la mise en place des équipements hydrauliques ... 292

2.1 L’empereur et les travaux hydrauliques dans les provinces ... 292

2.2 L’action des gouverneurs de province : du consentement à l’initiative ... 301

Conclusion ... 305

Conclusion générale ... 309

Bibliographie... 315

Annexes ... 355

Annexe 1 - Corpus de textes ... 357

Sources juridiques ... 359

Code Théodosien ... 360

Corpvs Theodosiani Novellae ... 371

Digeste du Corpvs Ivris Civilis ... 375

Codex du Corpvs Ivris Civilis ... 463

Institvtiones du Corpvs Ivris Civilis ... 475

Épigraphie juridique Afrique ... 481

Stèle de Nonius Datus à Lambèse / Aqueduc de Saldae ... 483

Table de Lamasba ... 487

Inscriptions classées par cités ... 501

Afrique Proconsulaire et Tripolitaine ... 501

(10)

X

Numidie et Maurétanie... 542

Epigraphie juridique Hispanie ... 561

Tabvla Contrebiensis ... 563

Lex Coloniae Genetivae sev Vrsonensis / Loi municipale d’Urso ... 567

Lex Flavia Irnitana / Tabvlae Irnitanae ... 570

Lex rivi Hiberiensis / Bronze d’Agón ... 575

Inscriptions classées par cités ... 585

Tarraconaise ... 585

Inscriptions classées par cités ... 597

Bétique ... 597

Inscriptions classées par cités ... 613

Lusitanie ... 613

Source littéraire ... 615

Description de l’oasis de Tacape par Pline l’Ancien ... 616

Exemple de fiche de la base de sources juridiques ... 619

Annexe 2 - Tableau synthétique des Juristes romains ... 621

Annexe 3 - Notices de textes ... 627

Stèle de Nonius Datus / Aqueduc de Saldae ... 629

Localisation et contexte ... 629

Description et contenu du texte ... 629

Éditions du texte et études ... 631

Texte et traduction ... 631

Table de Lamasba ... 633

Découverte du texte ... 633

Localisation et contexte ... 633

Description et contenu de la Table de Lamasba ... 634

Éditions et études du texte ... 635

Texte et traduction ... 637

Tabula Contrebiensis ... 639

Découverte et description du texte ... 639

Localisation et contexte ... 639

Description et contenu de la Tabula Contrebiensis ... 640

Historiographie, texte et traduction ... 640

Lex Coloniae Iuliae Genetiuae seu Vrsonensis ou Loi municipale d’Vrso ... 643

Découverte et description du texte ... 643

Localisation et contexte ... 643

Contenu de la Lex Coloniae Iuliae Genetiuae ... 644

Historiographie de la lex ... 644

Texte et traduction ... 645

(11)

XI

Découverte et description du texte ... 647

Localisation et contexte ... 647

Contenu desTabulae Irnitanae ... 647

Texte et traduction ... 648

La Lex riui Hiberiensis ou Bronze d’Agón ... 649

Découverte du texte ... 649

Localisation et contexte ... 649

Contenu de la Lex Riui Hiberiensis ... 651

Historiographie ... 652

Texte et traduction ... 653

(12)
(13)

XIII

L

ISTE DES ABREVIATIONS UTILISEES

Sources littéraires

Les sources littéraires citées sont toutes issues des textes de référence publiés à la CUF. Les abréviations utilisées sont celles de l’Oxford Classical Dictionary.

Sources juridiques et épigraphiques

C. Th. Code Théodosien

Cod. Codex du Corpus Iuris Ciuilis Dig. Digeste du Corpus Iuris Ciuilis Inst. Institutiones du Corpus Iuris Ciuilis Lex Col. Gen. Lex Coloniae Genetiuae Vrsonensis Lex Fl. Irn. Lex Flauia Irnitana

Lex Tar. Lex Tarentina Lex Riu. Hib. Lex Riui Hiberiensis Nov. Theod. Novelles de Théodosien

Tab. Contreb. Table de Contrebia Belaisca (Tabula Contrebiensis) Tab. Lam. Table de Lamasba

Editions de textes

HÄNEL G. Hänel (dir.), Corpus legum ab imperatoribus romanis ante Iustinianum

latarum quae extra constitutionum codices supersunt. Accedunt res ab imperatoribus gestae, quibus romani iuris historia et imperii status illustratur, Leipzig, Hinrichs, 1857.

RITTER J.D. Ritter (dir.), Codex Theodosianus. Praemittuntur chronologia accuratior,

chronicon historicum et prolegomena, Leipzig, Weidmann, 1745.

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XIV

Corpora

épigraphiques

AE L’Année Épigraphique, Paris, 1888

Auctarium Á. Alonso Ávila et S. Crespo Ortiz de Zarate, Auctarium a los corpora de epigrafía romana del territorio de Castilla y León, Valladolid, 2000

BCTH Bulletin Archéologique du Comité des Travaux Historiques BRUNS C. G. Bruns, Fontes iuris Romani antiqui, Tübingen, 1909

CIBalear C. Veny, Corpus de las Inscripciones Balearicas hasta la dominación arabe, Madrid, 1965

CIIAEmerita J.L. Ramírez Sádaba, Catálogo de las inscripciones imperiales de Augusta Emerita, Mérida, 2002

CIL Th. Mommsen, et al., Corpus Inscriptionum Latinarum

CILA J. González Fernández, C. González Román, J. Mangas Manjarrés, M. Pastor Muñoz, Corpus de Inscripciones Latinas de Andalucia, Séville, 1989-2002

CRAWFORD M.H. Crawford et J.D. Cloud, Roman Statutes, Londres, Institute of Classical Studies, 1996.

D. H. Dessau, Inscriptiones Latinae Selectae, Berlin, 1892-1916

DFH M. KHANOUSSI et L. MAURIN (dir.), Dougga, Fragments d’histoire :

choix d’inscriptions latines éditées, traduites et commentées, Ier - IVe

siècles, op. cit.

EAOR G. L. Gregori, et al., Epigrafia anfiteatrale dell’Occidente Romano, Rome, 1988-2011

Ebusus J. Juan Castelló, Epigrafía romana de Ebusus, Eivissa, 1988

EE Ephemeris Epigraphica

ERSegovia J. Santos Yanguas, Epigrafía romana de Segovia y su provincia, Segovie, 2005 Espectaculos A. Ceballos Hornero, Los espectáculos en la Hispania romana. La documentación

epigráfica, Merida, 2004

HEp Hispania Epigraphica, Madrid, 1989 (base de données consultable à l’adresse suivante : http://www.manfredclauss.de/fr/index.html )

ICERV J. Vives, Incripciones cristianas de la España romana y visigoda, Barcelone, 1969 IDRE C.C. Petolescu, Inscriptiones Daciae Romanae. Inscriptiones extra fines Daciae

repertae, Bucarest 1996

ILAfr R. Cagnat, A. Merlin, et H.-G. Pflaum, Inscriptions latines d’Afrique (Tripolitaine, Tunisie, Maroc), Paris, 1923

ILAlg S. Gsell, Inscriptions latines de l’Algérie, Paris, 1922

ILPBardo Z. Benzina ben Abdallah, Catalogue des Inscriptions Latines Païennes du musée du Bardo, Rome, 1986

ILTun A. Merlin (dir.), Inscriptions Latines de la Tunisie, Paris, 1944

InsBaliares R. Zucca, Insulae Baliares. Le isole Baleari sotto il dominio romano, Rome, 1998 IRAT D. Gorostidi Pi, Ager Tarraconensis 3. Les inscripcions romaines. The Roman

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XV inscriptions, Tarragone, 2010

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territoris, Valence, 1999

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IRT J.M. Reynolds et J.B. Ward-Perkins, The Inscriptions of Roman Tripolitania, 1952

IRVT-01 J. Corell, Inscripcions romanes de Valentia i el seu territori, Valence, 1997

IRVT-02 J. Corell, Inscripcions romanes de Valentia i el seu territori, 2e édition, Valence,

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1975

SEBarc R. M. Comes, A. Guzmán Almagro, et X. Espluga (dir.), Sylloge Epigraphica Barcinonensis, Barcelone, 1994

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XVII

R

EMERCIEMENTS

Tous mes remerciements vont en premier lieu à mes directeurs pour leur soutien, leur compréhension et leurs précieux conseils tout au long de ces années de recherche. Frédéric Hurlet a suivi mes travaux avec bienveillance et confiance depuis le master. Sous sa direction, je me suis initiée à l’épigraphie, et je n’aurais jamais songé à m’engager dans l’étude du droit romain sans ses conseils. Ella Hermon m’a chaleureusement accueillie au sein de son équipe de recherche, à l’Université Laval, et m’a permis de bénéficier d’une bourse de sa Chaire de recherche sur les interactions société/environnement dans l’Empire romain, sans laquelle je n’aurais pas pu entreprendre ce travail en cotutelle.

À titre moins officiel mais tout aussi profitable et amical, Martial Monteil, a suivi mon travail depuis la licence et m’a judicieusement orientée vers l’étude des sources écrites. Je tiens également à adresser mes plus vifs remerciements à Jean Peyras qui s’est rendu disponible pour relire une grande partie des pages qui suivent. Sa connaissance des textes et du terrain m’ont évité bien des erreurs. Au cours de l’année 2011, j’ai pu profiter des conseils de Claudia Moatti et de Catherine Saliou au séminaire de Paris VIII. L’ambiance érudite de ces séances de travail m’a poussée à approfondir mes recherches dans le domaine juridique. Je n’oublie pas les personnes qui m’ont fait bénéficier de leurs suggestions, lors de rencontres scientifiques, par échange de courrier ou au détour d’une conversation amicale : Christer Bruun, qui avait gracieusement accepté une invitation à nous faire partager sa vaste connaissance de la gestion de l’eau, Pierre Jaillette qui a suivi mes recherches depuis le début de cette thèse, Samir Aounallah qui m’a très aimablement accueillie à Tunis ; les enseignants d’histoire grecque et romaine de Nantes, en particulier Nathalie Barrandon, Jérôme Wilgaux et Thierry Piel qui m’ont laissé m’installer dans leur bureau, comme monitrice puis comme ATER.

Le bureau mis à ma disposition par la Maison des Sciences de l’Homme de Nantes, au cours de l’année 2012-2013 m’a permis de disposer des excellents moyens que cette institution offre aux jeunes chercheurs. J’ai ensuite bénéficié du soutien du CRHIA et d’un excellent environnement de travail dans le bureau des doctorants du département d’histoire. Je suis donc heureuse d’adresser mes remerciements au directeur du laboratoire, Michel Catala, ainsi qu’à Thomas Burel et Aurélie Cloarec pour leur soutien logistique et à mes collègues doctorants, Thomas Préveraud, Marion Tanguy et Maud Villeret.

Enfin, c’est avec un plaisir sans mélange que j’exprime toute ma gratitude à mes proches, mes amis et ma famille, qui m’ont à un moment ou un autre apporté leur soutien, en particulier mes parents. Bien sûr, rien n’aurait été possible sans la confiance de mon courageux époux.

(18)
(19)

1

I

NTRODUCTION GENERALE

La question de la gestion de l’eau se situe à la croisée de multiples enjeux, économiques, sociaux, politiques, environnementaux. Son étude contribue, de ce fait, autant à l’histoire des relations entre l’homme et son milieu qu’à l’histoire juridique, administrative et institutionnelle de l’Empire romain1. La compréhension des modalités de

l’administration des ressources hydriques passe par une étude des normes de la gestion commune et des institutions qui les édictent, qu’il s’agisse de l’Empereur et de sa chancellerie, des gouverneurs de province ou des magistrats de la cité. Les différents acteurs impliqués dans la prise de décision peuvent agir dans un cadre local, celui de la province, de la communauté urbaine ou rurale, et dans un cadre global, celui de l’Empire. Les multiples interactions entre ces institutions justifient la prise en compte de sources à valeur normative, mais aussi de sources plus circonstanciées qui permettent d’évaluer dans quelle mesure, de quelle façon, et dans quel contexte environnemental, ces normes sont appliquées ou transgressées. Dans cette perspective, on doit exploiter en priorité les sources juridiques, sans pour autant négliger les témoignages épigraphiques, littéraires ou archéologiques qui permettent d’évaluer, autant que possible, l’application de ces normes, dont à l’évidence nous ne possédons qu’une partie.

Notre objectif est donc de mettre en évidence les interactions entre différentes institutions dans l’élaboration et l’application de règles de droit relatives à la gestion de ressources hydriques communes et de comprendre à quel niveau ces interactions ont lieu entre les provinciaux et l’administration, ou au sein de l’appareil administratif. Pour cela, il est nécessaire de déterminer un cadre régional. Les provinces retenues pour cette étude présentent un certain nombre de similitudes géographiques et environnementales, de même qu’une proximité culturelle et politique. La Péninsule ibérique et l’Afrique du nord ont en commun, de présenter des zones très sèches, voire semi-arides, des périodes estivales d’épuisement des cours d’eau et des ressources hydriques en grande partie concentrées dans les vallées fluviales. Dans les deux régions, la mise en place de techniques d’irrigation est donc cruciale pour le développement de l’agriculture. Toutes deux se distinguent également par l’ancienneté de leur appartenance au monde des provinces républicaines. Les sources disponibles légitiment enfin l’attention portée à l’Afrique et à l’Espagne. La province de Bétique a livré plusieurs règlements municipaux, comme à Irni et à Urso, qui éclairent notre compréhension de la gestion de l’eau dans un cadre urbain, tandis que la Tarraconnaise, en particulier la vallée de l’Èbre, offre des témoignages essentiels sur l’organisation collective de l’irrigation sur le territoire de Contrebia et de Caesaraugusta. De nombreux textes législatifs adressés par la chancellerie impériale aux gouverneurs ou à d’autres magistrats romains des provinces d’Afrique ont

1 Sur les différentes approches conceptuelles qui sous-tendent la notion de milieu naturel, voir E. HERMON, « Les

interactions société-environnement : l’évolution diachronique des concepts », in R. BEDON et E. HERMON (dir.), Concepts, pratiques et enjeux environnementaux dans l’Empire romain. Actes du colloque organisé en 2004 à l’université Laval de Québec, Caesarodunum, 39, Limoges, PULIM, 2005, p. 23‑40.

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2

été conservés, mais c’est surtout par son abondante documentation épigraphique que cette région se distingue. Bien qu’on en trouve aussi en Espagne, le nombre des inscriptions rédigées dans le cadre de l’évergétisme municipal est singulièrement élevé en Proconsulaire et en Numidie, où il autorise une lecture assez fine de la construction urbaine, qui compte de nombreux édifices hydrauliques, et donc de l’implication des institutions locales dans l’approvisionnement en eau1.

1. La gestion de l’eau : histoire et historiographie

1.1 L’approvisionnement en eau des villes romaines

Malgré l’existence d’un ensemble de moyens propres à se procurer de l’eau dans les villes romaines, l’hydraulique monumentale caractérisée par l’édification d’ouvrages d’art de grande taille, les aqueducs à arches, a plus particulièrement retenu l’attention des chercheurs. Si la Ville de Rome constitue évidemment un sujet d’étude privilégié dans ce domaine, aucune région de Méditerranée ne semble avoir été complètement délaissée2.

Les aqueducs du monde grec ont, en effet, été étudiés dans le cadre de l’urbanisme antique par Roland Martin3. Et Dora Crouch a livré une synthèse qui embrasse à la fois

les thèmes de l’urbanisme dans les structures karstiques méditerranéennes, et du contrôle urbain de l’eau, dans les phases d’approvisionnement, de distribution et d’évacuation4.

Trevor Hodge a réalisé une étude thématique des modalités d’approvisionnement en eau dans l’ensemble du monde romain, dans laquelle les aqueducs occupent une place privilégiée5. Cet intérêt pour l’hydraulique monumentale procède souvent de raisons à la

fois historiques et politiques.

En Espagne, la période romaine fut l’objet d’un profond intérêt après la Guerre Civile, car elle était considérée comme la première étape de l’unification d’une Espagne chrétienne dans sa marche vers la constitution d’un empire6. Les aqueducs étaient alors

étudiés comme les témoins de cette grandeur passée, et les garants d’une grandeur à venir7. En Afrique du nord, Paul-Albert Février a montré les liens étroits entretenus entre

1 Claude Lepelley a montré quelle finesse de lecture permettait l’épigraphie africaine (C. LEPELLEY, Les Cités de

l’Afrique romaine au Bas-Empire. Tome I, La permanence d’une civilisation municipale. Tome II, Notices d’histoire municipale, Paris, Études Augustiniennes, 1979-1981).

2 Les travaux anciens d’Esther Van Deman et de Thomas Ashby, par exemple, concernent la seule cité de Rome

(E.B. VAN DEMAN, The Building of the Roman Aqueducts, Washington, Carnegie Institution of Washington, 1934 ; T. ASHBY, The Aqueducts of Ancient Rome, Oxford, Clarendon Press, 1935).

3 R. MARTIN, L’urbanisme dans la Grèce antique, Paris, Picard, 1956.

4 D.P. CROUCH, Water Management in Ancient Greek Cities, New York, Oxford University Press, 1993. 5 A.T. HODGE, Roman Aqueducts and Water Supply, 2e éd., Londres, G. Duckworth, 2002.

6 M. DIAZ-ANDREU, « Archaeology and Nationalism in Spain », in P.L. KOHL et C. FAWCETT (dir.), Nationalism,

Politics and the Practice of Archaeology, Cambridge University Press, 1995, p. 46.

7 L’existence de vestiges d’aqueducs, toujours en partie en élévation à Tarragone, à Mérida ou à Ségovie, a d’ailleurs

sans doute stimulé l’intérêt des archéologues espagnols. C. FERNANDEZ CASADO, Acueductos romanos en España, 2e éd.,

Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 2008 [1ère édition : 1972] ; M.A. PARRA, « Obras hidráulicas

romanas en Hispania », Io Congreso sobre las Obras Públicas Romanas. Mérida, 14, 15 y 16 de noviembre de 2002, Badajoz,

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3

la colonisation et les progrès de la connaissance historique de la région. Il a particulièrement mis en évidence l’implication des militaires, puis des administrateurs civils, dans les sociétés savantes, et le rôle des religieux1. Les colons français se voyaient

comme les successeurs des romains, « civilisant un pays barbare ». Dans cette perspective, la connaissance et la restauration du système hydraulique antique avait pour but de permettre le retour d’une agriculture prospère, sans doute largement fantasmée2.

L’administration française encouragea donc des enquêtes archéologiques et topographiques aujourd’hui fondamentales dans la mesure où une bonne partie des sites décrits n’existent plus3. Du fait de cette orientation ancienne de la recherche,

l’approvisionnement en eau des villes romaines est assez bien connu du point de vue de l’hydraulique monumentale. Il demeure en revanche assez obscur en ce qui concerne des modes d’alimentation moins spectaculaires, mais certainement aussi répandus : les puits et les citernes d’eau de pluie. Ces deux types de dispositif appartiennent souvent à la sphère domestique de l’approvisionnement en eau, qui a récemment fait l’objet d’une étude attentive4. Bien que nous consacrions ce travail à la gestion commune, il faut cependant

souligner qu’aspects privés et publics entrent en constante interaction dans ce domaine. C’est pourquoi il y a lieu de se demander dans quelle mesure puits et citernes pouvaient faire l’objet d’une gestion commune, notamment dans le cadre d’une collaboration de voisinage, source éventuelle de conflits.

En réaction aux préjugés d’une recherche historique et archéologique orientée vers la justification d’une politique nationaliste, les chercheurs de la période post-coloniale furent désireux d’éclairer « une autre face de la réalité »5. Les infrastructures d’adduction

furent alors perçues, complètement à l’inverse, comme des outils de domination de la ville

BLAZQUEZ MARTINEZ, « Los acueductos romanos en Hispania », in L. LAGÓSTENA BARRIOS, J. CAÑIZAR PALACIOS

et L. PONS PUJOL (dir.), AQVAM PERDVCENDAM CVRAVIT: captación, uso y administración del agua en las ciudades de la

Bética y el Occidente romano, Cádiz, Universidad de Cádiz, 2010, p. 95‑126.

1 P.-A. FEVRIER, Approches du Maghreb romain : pouvoirs, différences et conflits I, Aix-en-Provence, Édisud, 1989, p. 21‑66,

en particulier p. 40 sqq. sur les sociétés savantes et p. 57 sqq. sur les religieux.

2 Andrew Wilson donne des exemples de l’état d’esprit des colons français, et fournit de très éloquentes citations

tirées de publications anciennes : A. WILSON, Water Management and Usage in Roman North Africa. A Social and Technological Study,Doctoral Thesis, Magdalen College, Oxford, 1997, p. 4‑6. Voir aussi, avec une visée plus épistémologique, M. DONDIN-PAYRE, « La découverte de l’Afrique antique : l’influence des acteurs et de l’idéologie sur l’élaboration de l’histoire », L’Afrique romaine. Ier siècle avant J.-C. - début Ve siècle après J.-C. Actes du colloque de la

SOPHAU, Pallas, 68, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2005, p. 35‑48.

3 R. du COUDRAY DE LA BLANCHERE, L’aménagement de l’eau et l’installation rurale dans l’Afrique ancienne, Paris,

Imprimerie nationale, 1895 ; S. GSELL, Recherches archéologiques en Algérie, Paris, E. Leroux, 1893 ; S. GSELL, Atlas

archéologique de l’Algérie : Édition spéciale des cartes au 200 000e du Service géographique de l’Armée, Osnabrück, O. Zeller, 1973

[réimpression de l’édition de 1911] ; P. GAUCKLER (dir.), Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie,

Tunis, Impr. Louis Nicolas, 1897.

4 H. DESSALES, Le partage de l’eau : fontaines et distribution hydraulique dans l’habitat urbain de l’Italie romaine, Bibliothèque

des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome, 351, Rome, École française de Rome, 2013, en particulier p. 181 à 192.

5 La citation est tirée d’un article de Philippe Leveau, écrit dans le cadre de la controverse suscitée par l’ouvrage de

Marcel Bénabou sur la résistance africaine (P. LEVEAU, « La situation coloniale de l’Afrique romaine », AESC, 1978, p. 89‑92 ; M. BENABOU, La résistance africaine à la romanisation, Paris, F. Maspero, 1976).

(22)

4

romaine sur les campagnes indigènes1. La recherche actuelle est d’ailleurs, dans une très

large mesure, tributaire de ces positions dogmatiques2. C’est pourquoi il nous semble que

les relations entre les villes et les campagnes méritent aujourd’hui d’être abordées différemment, et qu’il faut à ce titre s’intéresser sans doute davantage aux éléments de collaboration et de complémentarité qu’aux facteurs d’antagonisme. Les liens entre le centre urbain et sa campagne sont étroits. Aux rapports économiques, s’ajoutent des relations sociales et politiques. L’élite urbaine fait, en effet, aussi partie de l’élite rurale. S’interroger sur les rapports qu’entretiennent, au sein de leur environnement, la cité et son territoire, implique donc d’étudier les lieux de la prise de décision, les autorités qui en sont responsables, les destinataires et les conditions d’élaboration des normes contraignantes. Dans cette perspective, la gestion de l’eau nous semble constituer un exemple pertinent d’interdépendance entre milieu urbain et rural.

Nous avons montré que l’approvisionnement en eau des villes a, de façon générale, bénéficié de l’intérêt des archéologues. Les aspects administratifs, institutionnels, voire juridiques ont en revanche suscité des recherches beaucoup moins nombreuses et, à notre connaissance, pas à l’échelle d’une province3. Grâce au témoignage de Frontin, curateur

des eaux de Trajan, ces modalités sont relativement bien connues à Rome. Le document unique que constitue le Traité des aqueducs de la Ville de Rome permet en effet de connaître les règles selon lesquelles étaient gérées l’adduction et la distribution des eaux. Chister Bruun a, en outre, montré tout l’intérêt des particularités sociales et politiques de la gestion de l’eau à Rome, et mis en évidence les enjeux sociaux liés à la distribution de l’eau4. Il faut relever que l’ouvrage de Kirsten Geissler sur l’approvisionnement public de

l’eau envisage le sujet à travers les sources juridiques, mais sans définir de cadre géographique5. Par défaut, son étude porte donc sur la ville de Rome qui fournit la

documentation la plus riche. Or, prenant appui sur des sources en provenance de diverses régions de l’Empire, Werner Eck a montré que la gestion de l’eau n’était pas un phénomène uniforme (kein einheitliches Phänomen) et a, au contraire, souligné l’importance du rôle joué par les conditions géographiques et politiques6. Il a, en outre, insisté sur les

aspects locaux, comme la structure sociopolitique de la ville ou les besoins en eau. C’est

1 P. LEVEAU et J.-L. PAILLET, L’alimentation en eau de Caesarea de Maurétanie et l’aqueduc de Cherchell, Paris, L’Harmattan,

1976, p. 167.

2 “Une vision décolonisée” is desperatly needed in North African archaeology, but it may not yet have been achieved : (A. WILSON,

Water Management and Usage in Roman North Africa. A Social and Technological Study, op. cit.., p. 7).

3 Il faut toutefois mentionner deux très larges et indispensables synthèses sur ces aspects : W. ECK, « Die

Wasserversorgung im römischen Reich. Sozio-politische Bedigungen, Recht und Administration », in FRONTINUS -GESELLSCHAFT (dir.), Die Wasserversorgung antiker Städte, Mayence, P. von Zabern, 1987, p. 49‑101 ; C. BRUUN, « Water Legislation in the Ancient World (c. 2200 BC - c. AD 500) », in Ö. WIKANDER (dir.), Handbook of Ancient Water Technology, Boston, Brill, 2000, p. 539‑604. Christer Bruun fournit des éléments essentiels, non seulement pour le monde romain, mais aussi pour la Mésopotamie, l’Égypte et la Grèce.

4 Voir les chapitres III (A study of the privileged few. Private water conduit owners) et IV (Social conditions and urbanistic aspects)

(C. BRUUN, The Water Supply of Ancient Rome: a Study of Roman Imperial Administration, Helsinki, The Finnish Society of

Sciences and Letters, 1991). Voir aussi H.B. EVANS, Water Distribution in Ancient Rome: the Evidence of Frontinus, Ann

Arbor, University of Michigan Press, 1994. Pour les villes d’Afrique, voir A. WILSON, « Running Water and Social Status in North Africa », in M. HORTON et T. WIEDEMANN (dir.), North Africa from Antiquity to Islam, Bristol, Centre for Mediterranean Studies, Centre for the Study of the Reception of Classical Antiquity, 1995, p. 52‑56.

5 K. GEISSLER, Die öffentliche Wasserversorgung im römischen Recht, Berlin, Duncker & Humblot, 1998. 6 W. ECK, « Die Wasserversorgung im römischen Reich », op. cit., p. 51.

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5

pourquoi il semble nécessaire de déterminer une zone d’étude où mener une enquête sur les modalités institutionnelles et juridiques de la gestion de l’eau. Il est manifeste que les thèmes dégagés par Werner Eck, et qui portent sur le financement, l’évergétisme, la concurrence entre droit locaux et droit romain, méritent d’être étudiés en tenant compte des situations locales, c’est-à-dire des interactions entre l’homme et son environnement, qui ne se limitent pas au cadre urbain.

1.2 L’eau dans les campagnes antiques

Si les recherches anciennes ont privilégié l’étude des villes, c’est aussi parce que les sources disponibles pour les campagnes font en grande partie défaut, ce qui en rend notre connaissance très incomplète. L’étude du travail agricole a concentré une bonne part de l’attention sur le sujet. Les cultures typiquement méditerranéennes que sont la vigne et l’olivier ont été l’objet de nombreuses enquêtes, qui se penchent sur leurs conditions matérielles et techniques de production, mais aussi sur les réseaux économiques dans lesquelles elles s’inscrivent, autour des centres de production que constituent les villae1.

Denis Kehoe a adopté une position originale en étudiant la politique économique de l’État romain, et les modalités de son implication dans la détermination de choix agricoles2. Les résultats de ses recherches montrent d’ailleurs l’importance du droit romain

comme instrument de définition de cette politique. Le travail agricole s’inscrit dans le champ d’étude plus vaste de l’environnement naturel et de son exploitation par l’homme. Ce paléoenvironnement constituait l’une des grandes questions posées par Alain Ferdière, dans sa synthèse, déjà ancienne sur les campagnes de la Gaule romaine3. Philippe Leveau,

Pierre Sillières et Jean-Pierre Vallat ont été attentifs à ce même enjeu dans l’ouvrage qu’ils ont consacré aux campagnes de l’Occident romain, et particulièrement à la façon dont l’espace agraire s’inscrit dans l’environnement naturel4.

1 L. FOXHALL, Olive Cultivation in Ancient Greece: Seeking the Ancient Economy, Oxford, Oxford University Press, 2007 ;

M. POUX, J.-P. BRUN, et M.-L. HERVÉ-MONTEIL (dir.), La vigne et le vin dans les trois Gaules, Gallia, 68, Paris, CNRS, 2011 ; A. MARZANO, « Agricultural Production in the Hinterland of Rome: Wine and Olive Oil », in A.K. BOWMAN

et A. WILSON (dir.), The Roman Agricultural Economy: Organisation, Investment, and Production, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 85‑106. Pour les réseaux économiques, les recherches de Fanette Laubenheimer sur la Gaule sont fondamentales (voir, en dernier lieu, F. LAUBENHEIMER et E. MARLIERE, Échanges et vie économique dans le Nord-Ouest

des Gaules : Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie. Le témoignage des amphores du IIe s. av J.-C au IVe s. ap. J.-C.,

Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010).

2 D. KEHOE, Investment, Profit, and Tenancy: the Jurists and the Roman Agrarian Economy, Ann Arbor, University of

Michigan Press, 1997 ; D. KEHOE, « Economics and the Law of Water Rights in the Roman Empire », in E. HERMON (dir.), Vers une gestion intégrée de l’eau dans l’Empire romain. Actes du colloque international, Université Laval, octobre 2006, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2008, p. 243‑264 ; D. KEHOE, « The State and Production in the Roman Agrarian Economy », Oxford, Oxford University Press, 2013.

3 A. FERDIERE, Les campagnes en Gaule romaine, Paris, Errance, 1988. Cet ouvrage était sans doute d’ailleurs le premier

à tenir aussi largement compte des progrès de la recherche paléoenvironnementale (J. ANDREAU, « Compte-rendu de “Les campagnes en Gaule romaine (52 av. J. C.-486 ap. J. C.)”, d’Alain Ferdière », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1990, p. 108‑111).

4 P. LEVEAU, P. SILLIERES, et J.-P. VALLAT, Campagnes de la Méditerranée romaine  : Occident, Paris, Hachette, 1993, en

particulier p. 25 st. sur l’archéologie des espaces ruraux. Voir plus récemment I. ARRAYAS MORALES et M.J. LOPEZ

MEDINA, « Paysage et climats de la péninsule ibérique pendant l’Antiquité. Quelques exemples : la côte centrale catalane et le littoral almérien », in E. HERMON (dir.), Société et climats dans l’Empire romain : pour une perspective historique et systémique de la gestion des ressources en eau dans l’Empire romain. Actes d’une confrérence tenue à l’université Laval, Canada, 18-20 novembre 2008, Naples, Editoriale Scientifica, 2009, p. 281‑308 ; S. RIERA MORA, A. CURARS, J.-M. PALET, A.

(24)

6

Production agricole, organisation du travail, relation avec le milieu sont les trois grandes orientations des recherches sur les campagnes antiques. Il est, en revanche, surprenant que la gestion de l’eau n’y tienne pas une plus grande place, malgré le rôle que joue l’irrigation dans la production agricole des régions méditerranéennes, et donc l’importance économique des ressources hydriques. Les aspects environnementaux sont, en effet, davantages abordés du point de vue de la reconstitution des paysages ou du climat que de celui des moyens de l’exploitation des ressources naturelles. L’importance de l’irrigation a d’ailleurs été, pendant longtemps, largement sous-estimée dans les études sur l’agriculture en milieu méditerranéen1. Dans les Campagnes de la Méditerranée romaine,

Philippe Leveau évoque assez rapidement les questions générales relatives à l’irrigation, même s’il s’attarde plus longuement sur l’irrigation en Afrique2. Mais il faut reconnaître

que l’hydraulique rurale (souvent désignée sous le terme de « petite hydraulique ») est mal connue car difficile à discerner, utilisant sans doute fréquemment des matériaux périssables et laissant donc peu de traces dans le paysage. Les équipements utilisés dans le cadre de l’irrigation des cultures, repérés en prospection au sol, sont en outre difficiles à dater avec précision. De ce fait, de nombreuses structures ont, à tort, été attribuées à l’époque romaine, alors qu’elles pouvaient être antérieures, postérieures, ou encore restaurées et réutilisées sur de longues périodes3. Ces difficultés expliquent en grande

partie la méconnaissance de la gestion rurale de l’eau, malgré de notables exceptions comme l’étude, par une équipe britannique, des techniques agricoles employées dans le désert libyen4. Or le droit prétorien, que nous connaissons en grande partie à travers la

compilation de textes de juristes du Digeste (VIe siècle) et qui, entre autres, régit des

situations liées à l’irrigation rurale peut permettre de mieux comprendre dans quel

EJARQUE, H. ORENGO, R. JULIA, et Y. MIRAS, « Variabilité climatique, occupation du sol et paysage en Espagne, de l’Âge du fer à l’époque médiévale : intégration des données paléoenvironnementales et de l’archéologie du paysage », in E. HERMON (dir.), Société et climats dans l’Empire romain : pour une perspective historique et systémique de la gestion des ressources en eau dans l’Empire romain. Actes d’une confrérence tenue à l’université Laval, Canada, 18-20 novembre 2008, Naples, Editoriale Scientifica, 2009, p. 251‑228.

1 Voir, par exemple, K.D. WHITE, Roman Farming, Thames and Hudson, 1970, p. 168, qui met en exergue les

techniques de dry farming ; J.P. OLESON, « Irrigation and Rural Drainage », in Ö. WIKANDER (dir.), Handbook of Ancient Water Technology, Boston, Brill, 2000, p. 183‑216. Contra : P. HORDEN et N. PURCELL, The Corrupting Sea: a

Study of Mediterranean History, Oxford, Blackwell, 2000, p. 244‑247 ; F. BELTRAN LLORIS, « El agua y las relaciones intercomunitarias en la Tarraconense », in L. LAGÓSTENA BARRIOS, J. CAÑIZAR PALACIOS et L. PONS PUJOL (dir.), AQVAM PERDVCENDAM CVRAVIT : captación, uso y administración del agua en las ciudades de la Bética y el Occidente romano,

Cádiz, Universidad de Cádiz, 2010, p. 23 ; et dernièrement F. BELTRAN LLORIS, « Irrigation Infrastructures in the Roman West: Typology, Financing, Management », in A. KOLB (dir.), Infrastruktur als Herrschaftsorganisation? Interaktion von Staat und Gemeinden im Imperium Romanum. Internationale Tagung 19.-20. Oktober 2012, Zürich, à paraître, p. 121‑122.

2 P. LEVEAU, P. SILLIERES, et J.-P. VALLAT, Campagnes de la Méditerranée romaine  : Occident, op. cit.

3 B.D. SHAW, « Water and Society in the Ancient Maghrib: Technology, Property and Development », Antiquités

Africaines, 20, 1984, p. 121‑173. Voir aussi les remarques d’Andrew Wilson, formulées à l’encontre des datations proposées par Jean Birebent dans le compte-rendu qu’il a livré de ses prospections en Algérie (A. WILSON, Water

Management and Usage in Roman North Africa. A Social and Technological Study, op. cit. ; J. BIREBENT, Aquae romanae :

recherches d’hydraulique romaine dans l’Est algérien, Alger, Service des antiquités de l’Algérie, 1962).

4 G. BARKER, D. GILBERTSON, B. JONES, et D.J. MATTINGLY, Farming the Desert: the UNESCO Libyan Valleys

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7

contexte social et politique, et selon quelles modalités, se développe cette petite hydraulique. Qu’il s’agisse d’utiliser l’eau (droit des servitudes) ou de s’en prémunir (actio aquae pluuiae arcendae ou action en détournement de l’eau de pluie), le Digeste contient en effet un nombre très élevé de dispositions. L’étude de ces textes nous permettra de mieux appréhender les situations de partage et de conflit dans un contexte agricole et rural.

Il est vrai que, de façon générale, les campagnes antiques sont rarement abordées du point de vue du droit, ou quand elles le sont, il s’agit généralement de questions liées à la colonisation ou à la propriété foncière1. Les sources juridiques ont souvent fait l’objet

de minutieux commentaires par des juristes, mais beaucoup plus rarement par des historiens2. Si le statut juridique de l’eau, les procédures et les conditions d’application du

droit, sont connus, ces règles sont toutefois rarement replacées dans un contexte humain et social, ce qu’il nous semble utile de faire dans le cadre de la présente recherche. Une telle étude a été entreprise par Cynthia Bannon, mais son approche, très conceptuelle, se révèle parfois insuffisante précisément sur les aspects juridiques3.

La gestion de l’eau dans le monde rural mérite, en outre, d’être étudiée dans le cadre du phénomène associatif. La vigueur de la vie associative antique a été mise en évidence dans les villes grecques et romaines. Dans un chapitre justement intitulé « Apprendre à vivre ensemble », Marie-Françoise Baslez parle des associations comme d’une caractéristique de la cité héllénistique4. L’étude des moyens financiers dont elles se

dotaient a d’ailleurs permis de montrer que ces regroupements pouvaient fonctionner comme un système d’entraide économique, et à ce titre, pouvaient être considérés comme des vecteurs de régulation sociale5. Les collegia romains, nombreux dans les villes des

provinces occidentales, regroupent des membres qui peuvent avoir en commun une profession, un culte, ou une origine géographique6. Le phénomène semble cependant

avoir été négligé en milieu rural, alors même que plusieurs textes s’y rapportent dans les campagnes d’Afrique et d’Espagne romaine7. L’étude de Campbell Grey

1 C’est notamment le cas dans B. WELLS (dir.), Agriculture in Ancient Greece. Proceedings of the Seventh International

Symposium at the Swedish Institute at Athens, 16-17 May, 1990, Stockholm, [s.n.], 1992 ; P. LEVEAU, P. SILLIÈRES, et J.-P. VALLAT, Campagnes de la Méditerranée romaine  : Occident, op. cit.

2 E. COSTA, Le acque nel diritto romano, Bologne, [s.n.], 1919 ; M. SARGENTI, L’actio aquae pluviae arcendae. Contributo

alla dottrina della responsabilità per danno nel diritto romano, Pubblicazioni dell’Istituto di diritto romano e dei diritti dell’Oriente mediterraneo, 17, Milan, Giuffrè, 1940 ; L. CAPOGROSSI COLOGNESI, Ricerche sulla struttura delle servitù

d’acqua in diritto romano, Milan, Giuffrè, 1966 ; voir, en dernier lieu, C. MÖLLER, Die Servituten: Entwicklungsgeschichte, Funktion und Struktur der grundstückvermittelten Privatrechtsverhältnisse im römischen Recht, Quellen und Forschungen zum Recht und seiner Geschichte, 16, Göttingen, Wallstein, 2010.

3 C.J. BANNON, Gardens and Neighbors : Private Water Rights in Roman Italy, Ann Arbor, University of Michigan Press,

2009 ; C. BRUUN, « A Problematic Interpretation of Roman Water Servitudes », JRA, 24, 2011, p. 567‑576.

4 « Le mouvement associatif est un des traits marquants du cosmopolitisme hellénistique » (M.-F. BASLEZ, L’étranger dans la Grèce

antique, 2e éd., Paris, Les Belles lettres, 2008 [1ère édition : 1984], p. 333).

5 M.-F. BASLEZ, « Entraide et mutualisme dans les associations des cités grecques à l’époque hellénistique », in M.

MOLIN (dir.), Les régulations sociales dans l’Antiquité. Actes du colloque d’Angers, 23 et 24 mai 2003, Rennes, Presses

Universitaires de Rennes, 2006, p. 157‑170. Des questions similaires ont été évoquées par Christel Freu à propos de l’Égypte romaine (C. FREU, « L’identité sociale des membres des collèges professionnels égyptiens (Ier-VIe s. p. C. »,

in M. DONDIN-PAYRE et N. TRAN (dir.), Collegia : le phénomène associatif dans l’Occident romain, Scripta antiqua, 41,

Bordeaux, Ausonius, 2012, p. 229‑246).

6 M. DONDIN-PAYRE et N. TRAN (dir.), Collegia : le phénomène associatif dans l’Occident romain, Scripta antiqua, 41,

Bordeaux, Ausonius, 2012.

7 H. PAVIS D’ESCURAC-DOISY, « Notes sur le phénomène associatif dans le monde paysan », Antiquités Africaines, 1,

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8

intitulée Constructing Communities in the Late Roman Countryside, s’attache à mettre en lumière les liens entre les associations de paysans et la fiscalité tardive, en s’appuyant notamment sur les sources patristiques et papyrologiques1. Le cas des communautés d’irrigation y est

cependant quasiment passé sous silence, alors qu’il mérite, selon nous, d’être réevalué, en particulier à la lumière du Bronze d’Agón, au moins pour la période du Haut-Empire qui fournit les attestations par lesquelles nous avons connaissance de cette modalité de la maîtrise commune de l’eau2. Il est vrai que la récente publication de cette inscription

espagnole a suscité des réflexions sur l’organisation des communautés en milieu rural3.

Toutefois, il semble approprié de replacer le document dans un contexte plus large. Une comparaison avec d’autres sources épigraphiques, comme la Table de Lamasba, et avec des sources juridiques, devrait permettre de mieux comprendre le fonctionnement institutionnel des communautés d’irrigation et de l’insérer dans le phénomène plus large de l’association en milieu rural4.

L’étude de la gestion de l’eau dans les campagnes romaines présente un intérêt majeur, que ce soit sur le plan social, juridique ou institutionnel. Or, malgré leur importance économique, gestion de l’eau et irrigation agricole sont encore mal connues.

1.3 La gestion de l’eau dans l’environnement naturel

Deux grands thèmes développés par l’histoire environnementale sont particulièrement décisifs pour aborder l’étude de la gestion de l’eau : le climat et la gestion des risques. Le climat ancien fait l’objet d’un intérêt qui vise à reconstituer les conditions dans lesquelles évoluent les sociétés antiques5. Leur adaptation à ces conditions passe par

1 C. GREY, Constructing Communities in the Late Roman Countryside, Cambridge, Cambridge University Press, 2011. 2 F. BELTRÁN LLORIS, « An Irrigation Decree from Roman Spain: the Lex Rivi Hiberiensis », JRS, 96, 2006, p. 147‑197

(editio princeps).

3 F. BELTRÁN LLORIS, « Rural Communities and Civic Participation in Hispania during the Principate », in J.

REMESAL RODRÍGUEZ, F. MARCO SIMON et F. PINA POLO (dir.), Repúblicas y ciudadanos: modelos de participación cívica en el mundo antiguo, Edicions Universitat Barcelona, 2006, p. 257‑272 ; R. MENTXAKA, « Lex rivi hiberiensis, derecho de asociacion y gobernador provincial », RIDROM, 3, 2009, p. 1‑46, consulté le 2/05/14 (www.ridrom.uclm.es) ; C. BUZZACHI, Lex Rivi Hiberiensis. Per un’indagine sul processo civile nelle province, Minima Epigraphica et Papyrologica

Separata , 6, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2013.

4 Le terme de « communautés d’irrigation » est tiré de l’article de Brent Shaw sur la Table de Lamasba, en Numidie

(B.D. SHAW, « Lamasba: an Ancient Irrigation Community », Antiquités Africaines, 18, 1982, p. 61‑103). Henriette

Pavis d’Escurac évoque aussi la constitution de l’empereur Constantin destinée aux emphythéotes de Carthage, en 319, et le témoignage de Pline l’Ancien sur l’oasis de Tacape (H. PAVIS D’ESCURAC-DOISY, « Irrigation et vie

paysanne dans l’Afrique du Nord antique », Ktèma, 5, 1980, p. 177‑191).

5 Pour des considérations générales sur les apports et les limites de l’interprétation des données climatologiques,

environnementales et historiques et sur l’évolution du climat dans l’Antiquité romaine, voir C. ALLINNE, « L’évolution du climat à l’époque romaine en Méditerranée occidentale : aperçu historiographique et nouvelles approches », in E. HERMON (dir.), Vers une gestion intégrée de l’eau dans l’Empire romain. Actes du colloque international,

Université Laval, octobre 2006, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2008, p. 89‑98. Dans le même sens, Pierre Jaillette souligne les difficultés qu’il y a à connaître les réalités du climat de l’époque antique (P. JAILLETTE, « “Il n’y a plus de saisons” : lieu commun, climat et décadence dans l’Antiquité tardive », in R. BEDON et E. HERMON (dir.), Concepts, pratiques et enjeux environnementaux dans l’Empire romain. Actes du colloque organisé en 2004 à l’université Laval de Québec, Caesarodunum, 39, Limoges, PULIM, 2005, p. 309‑335).

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9

une gestion des risques climatiques, qui proviennent de l’environnement et pèsent sur l’ensemble des sociétés humaines, les personnes comme les biens1. Ils peuvent être

d’origine purement naturelle. C’est le cas des phénomènes climatiques ou des catastrophes. Mais ils peuvent aussi être provoqués par l’anthropisation du milieu, comme les risques alimentaires et les risques liés à l’économie de subsistance2. En matière de

gestion de l’eau, les inondations, les crues des fleuves et les sécheresses sont les principaux dangers auxquels sont confrontés les villes comme les campagnes3. Le plus souvent

étudiés grâce aux données archéologiques et paléo-environnementales, ou à travers les sources littéraires, les risques qui pèsent sur la gestion de l’eau sont rarement envisagés d’un point de vue juridique. L’existence d’une multitude de dispositions destinées à gérer les écoulements des eaux de pluie et à protéger les cultures, dans le droit prétorien, légitime donc une telle recherche.

2. La pertinence d’une étude de la Péninsule ibérique et de l’Afrique

du nord

En matière de gestion du milieu, la Méditerranée apparaît comme un espace de contraintes. La première est constituée par une forte sécheresse estivale et la dissociation entre des pluies d’hiver parfois abondantes, et de fortes chaleurs l’été. Cela est particulièrement bien observable dans l’ensemble de l’Afrique du nord et dans la moitié sud-est de la Péninsule ibérique. La partie nord-ouest, en revanche, exposée à l’influence océanique, connaît deux saisons humides, au printemps et à l’automne, alors que l’hiver est sec et froid. Il faut encore souligner que les masses montagneuses concentrent des précipitations souvent considérables4. La difficulté que rencontrent les régions

méditerranéennes en matière de gestion des précipitations n’est d’ailleurs pas tant un problème de quantité que d’irrégularité des eaux météoriques. Les régions côtières du Maghreb peuvent recevoir des quantités de pluies très importantes, pendant une courte partie de l’année. Utiliser cette eau nécessite de mettre en place un système de stockage efficace. En milieu urbain, la majeure partie des habitations antiques possèdent ainsi des citernes souterraines, alimentées par l’eau recueillie grâce aux pentes de toit et à l’impluuium. Si l’eau doit être transportée d’un espace à un autre de la domus, il s’agit toujours de très courtes distances et de faibles quantités. En campagne, en revanche, les

1 Sur l’adaptation aux conditions climatiques, voir J.-F. BERGER, « Évolution du climat, forçage agraire et adaptations

des sociétés antiques de la Gaule Narbonnaise aux modifications des systèmes fluviaux », in E. HERMON (dir.), Société et climats dans l’Empire romain : pour une perspective historique et systémique de la gestion des ressources en eau dans l’Empire romain. Actes d’une conférence tenue à l’université Laval, Canada, 18-20 novembre 2008, Naples, Editoriale Scientifica, 2009, p. 207‑234. Sur la prise en compte des risques climatiques et hydriques, voir P. LEVEAU, « Les inondations du Tibre à Rome : politiques publiques et variations climatiques à l’époque romaine », in E. HERMON (dir.), Vers une gestion intégrée de l’eau dans l’Empire romain. Actes du colloque international, Université Laval, octobre 2006, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2008, p. 137‑145.

2 C’est le sujet de l’ouvrage de Thomas Gallant : T.W. GALLANT, Risk and Survival in Ancient Greece: Reconstructing the

Rural Domestic Economy, Stanford, Stanford University Press, 1991.

3 J.-L. BALLAIS, « Les risques naturels dans les Aurès pendant la période antique », Aouras, 5, 2009, p. 89‑108. 4 J. BETHEMONT, Géographie de la Méditerranée. Du mythe unitaire à l’espace fragmenté, 3e éd., Paris, Armand Colin, 2008,

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dispositifs de stockage consistent plutôt en des barrages de retenues permettant de tirer parti du gonflement périodique des rivières par les pluies, et en des canaux qui acheminent l’eau vers les zones à irriguer.

À cette variabilité saisonnière, il faut ajouter l’imprévisibilité des précipitations. Après un été nécessairement aride, en Afrique du nord et en Espagne méridionale, il n’est en effet pas certain que l’hiver procure les quantités d’eau nécessaires à réapprovisionner les citernes. C’est pourquoi l’irrigation à partir des grands fleuves se révèle d’une importance cruciale, comme on le constate dans l’est et le sud-est de la Péninsule ibérique. La trop faible moyenne annuelle de précipitations y est compensée par l’exploitation des cours d’eau pérennes, comme l’Èbre et le Guadalquivir1.

En raison de pluies aussi torrentielles que soudaines, l’irrégularité du régime pluviométrique entraîne nécessairement une irrégularité des régimes fluviaux, favorisés en outre par des pentes souvent fortes. Les fleuves de Péninsule ibérique et d’Afrique du nord connaissent ainsi des épisodes de crues tout à fait similaires, spectaculaires et souvent dévastateurs2. Les inondations causées par le débordement des cours d’eau, ou

par le simple ruissellement, ne constituent pas la moindre des contraintes que doivent affronter les agriculteurs méditerranéens. La réflexion juridique romaine témoigne d’ailleurs de la fréquence des conflits de voisinage liés à l’évacuation des eaux des parcelles en amont aux parcelles en aval. Mais si les crues sont soudaines, elles peuvent laisser place, l’été, à des étiages très marqués qui vont dans certains cas jusqu’au tarissement saisonnier du cours d’eau, en Afrique, et dans la moitié sud-est de l’Espagne. Toutefois, le relief apporte souvent un correctif à ces périodes d’assèchement. Les affluents pyrénéens de l’Èbre, qui stockent en amont de considérables quantités de neige, pallient ainsi pendant une partie de la saison les déficits du débit.

L’eau en Méditerranée représente pour les agriculteurs, et donc pour la subsistance de l’ensemble de la population antique d’Hispanie et d’Afrique, à la fois une ressource et un risque. Ressource indispensable, elle est toutefois difficile à exploiter en raison de la très grande variabilité et de l’imprévisibilité, tant du régime pluviométrique que des régimes fluviaux. Pour cette raison, les communautés rurales ont donc tout intérêt à en organiser collectivement la gestion en mutualisant leurs efforts selon des modalités qu’il nous appartient d’éclairer. Enfin malgré un certain nombre de contraintes que présente son utilisation, l’eau est présente à l’envi dans les villes romaines. Or cette culture urbaine de l’eau, si elle est dépendante des conditons environnementale, est aussi le reflet d’un environnement politique et humain particulier à la res publica romaine, fruit d’un ensemble d’influences méditerranéennes, sensibles en Afrique comme en Hispanie.

2.1 Deux régions sous influence hellénistique et punique

1 P. HORDEN et N. PURCELL, The Corrupting Sea, op. cit.., p. 239‑241.

2 M. PARDE, « Les régimes fluviaux de la péninsule ibérique », Revue de géographie de Lyon, 39,3, 1964, p. 160 (toujours

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