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langage dominant et scripts corporels

Section 1. L’appropriation du script corporel sexualisant

II. Des attentes du regard aux corps inattendus

La structuration des imaginaires autour du sexage construit un rapport particulier à l’espace, puisque cela implique une partition entre espaces publics et espaces privés, dans laquelle s’enracine le script corporel d’une féminité sexualisée. Je l’ai dit : cette fiction de corps fait jouer une tension entre une sexualité féminine privatisée, appartenant à un seul homme, et une sexualité féminine publicisée, vécue comme un bien commun à tous les hommes. Cette tension va engendrer des attentes dans le regard social à partir desquelles les corps réels doivent se raconter, se montrer ou se faire voir.

Ce que dit Guillaumin sur le confinement dans l’espace146 peut alors être éclairant. Selon elle, le confinement dans l’espace est un des moyens de l’appropriation des corps féminins, en tant que rattachement de ces corps à un domicile. La présence des femmes va alors être circonscrite dans l’espace et dans le temps147. Cela fait écho au propos de M. Perrot dans « le genre de la ville »148. Dans cet article qui s’ouvre sur une remarque intéressante de vocabulaire, à savoir l’opposition entre homme public (l’honneur, l’action) et la femme publique (l’horreur, la « putain » dont le corps apparaît comme « propriété commune »), M. Perrot décrit le fort mouvement d'exclusion des femmes dans l'espace des villes, qui a eu lieu au XIXème siècle, ainsi qu’une division genrée de l’espace urbain parisien – mais on peut élargir à la France et à l’Europe. Elle montre que « disperser et canaliser les foules est un des principes de l’haussmannisation qui touche les classes populaires, et principalement les femmes ». Le commerce de rue disparaît et avec lui, les vendeuses à la toilette, les étalagistes, qui n’ont plus le droit d’occuper la chaussée. Il y a d’autres facteurs comme les politiques hygiénistes, qui font des femmes les garantes de l’ordre moral du foyer, ou l’exode rural, qui pousse les femmes bourgeoises, en ville, à se replier sur la sphère privée. Diverses causes historiques expliquent donc cette délimitation spatiale et temporelle de la présence des femmes dans l’espace urbain, délimitation qui structure le rapport que les acteurs sociaux et les actrices sociales entretiennent avec cet espace.

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ibid., p.40-41

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« "Si tu sors, mes congénères te traqueront jusqu’à ce que tu renonces, te menaceront, te rendront de mille manières la vie impossible, épuisante. Tu as la permission (c’est un ordre) d’aller à l’épicerie, à l’école, au marché, à la mairie, et dans la rue principale où il y a les magasins. Et tu peux y aller entre sept heures du matin et sept heures du soir. C’est tout. […]" » (ibid., p.41)

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PERROT (M.), « Le genre de la ville ». In : Communications, 1997, n°65, p.145-165. URL :

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Corps féminins et voie publique.

La structuration des imaginaires autour du script corporel d’une féminité sexualisée et la délimitation des espaces et des temps où les femmes peuvent être présentes sur la voie publique expliqueraient en partie les interactions propres au harcèlement de rue149. J’avance maintenant l’hypothèse que la présence des femmes dans l’espace public soumet à la fois leur corps à de multiples attentes du regard ; et les fait apparaître comme des exceptions de corps, des corps inattendus, sur lesquels peuvent s’exercer de multiples violences. En d’autres termes, du fait du script corporel d’une féminité sexualisée, les corps féminins sont à la fois attendus et inattendus dans l’espace public.

Je vais mettre en lumière cet apparent paradoxe en m’appuyant sur une partie de deux entretiens que j’ai menés avec Sophia et Eloïse150, deux activistes FEMEN, ainsi que sur une étude151 conduite en 2015, dans la ville de Bordeaux, par J. Dagorn et A. Alessandrin. Ce propos se centrera moins sur le harcèlement de rue en lui-même que sur les stratégies corporelles que développent les femmes face au sexisme, ce qui permettra ainsi d’expliciter les notions d’attentes externes et de nécessités conditionnées. Ces deux notions s’inspirent des analyses que Goffman développe dans Stigmates.

Les femmes développent des stratégies corporelles d’évitement lorsqu’elles sont sur la voie publique. C’est ce qu’a mis en lumière l’enquête de J. Dagorn et A. Alessandrin.

Si les femmes utilisent la ville, c’est à la condition de stratégies nombreuses qui les autorisent à se déplacer quand bien même : mettre les écouteurs sur les oreilles, faire attention à ses vêtements, sortir en groupe, éviter certains quartiers. Elles résistent donc avec les peurs, les écueils et les empêchements réels ou appréhendés, car leur vie est urbaine.

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Selon la définition de Stop Harcèlement de rue, il s’agit des « comportements adressés aux personnes dans les espaces publics et semi-publics, visant à les interpeler verbalement ou non, leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants, insultants en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle. » (URL. : http://www.stopharcelementderue.org/quest-ce-que-le-harcelement-de-rue/)

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Eloïse est partie de FEMEN en 2014.

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DAGORN (J.), ALESSANDRIN (A.). Femmes et espace public : entre épreuves et résistances. Hommes & libertés, Ligue des droits de l’Homme, 2017, FEMMES VIOLENCES ET INEGALITES, pp.46-49. URL. :

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A travers ces stratégies, on voit une certaine tendance qu’ont les femmes à vouloir se montrer d’une façon particulière pour éviter – ou du moins, atténuer – les violences sexistes à l’égard de leurs corps. C’est ce qui ressort de mes échanges avec Sophia :

Est-ce qu'avant FEMEN, tu appréhendais de sortir dans la rue (la journée, le soir, les deux?) ? Et est-ce que FEMEN a changé quelque chose à ton rapport à l'espace public ? Et si oui, en quoi ?

Femen n'a pas impacté sur ma libre circulation dans l'espace public. Je me rappelle d'une discussion avec une activiste autour du harcèlement dans les transports. Je venais d'être agressée une énième fois. Je lui expliquais que je m'habillais en couleurs sombres et de façon asexuée pour éviter d'attirer l'attention. Posément, elle m'a interrogé en me demandant si ça avait changé quelque chose… Je lui ai répondu que non. Alors elle a conclu en me disant de m'habiller comme j'avais envie, si c'était du pareil au même.

Ici encore, l’attention que Sophia portait à sa tenue vestimentaire met en exergue une certaine stratégie des façons de montrer son corps dans l’espace social, pour se préserver au mieux des violences sexistes. Afin de conserver une certaine liberté de déplacement dans l’espace urbain, des femmes comme Sophia pensent nécessaire d’adopter des attitudes corporelles qui tenteront de se conformer aux attentes du regard, propres aux structures imaginaires de l’espace urbain. Les corps féminins sont racontés comme des objets mis à disposition du regard et du désir masculins. Sur ce script corporel d’une féminité sexualisée, se fondent alors des interactions marquées en creux par des attentes parfois contradictoires qui dénotent d’une fiction d’un corps féminin, pris en tension entre les imaginaires femme-dedans et femme-dehors. Deux attentes découlent alors de cette tension : parce que le corps féminin est raconté comme objet à la disposition du désir masculin, certains acteurs sociaux attendront des corps féminins qu’ils se conforment à l’imaginaire femme-dehors et se sentiront autorisés à les considérer comme des objets se laissant regarder, frotter et attoucher. Une seconde attente, apparemment paradoxale, découle de la première : on attendra alors d’une femme qu’elle se prémunisse du regard et du désir masculins, qu’elle incarne davantage l’imaginaire de la femme-dedans que celui de la femme-dehors, car ce dernier s’adosse au corps-repoussoir de la prostituée. La plupart

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des corps féminins dans l’espace urbain sont racontés d’emblée comme des objets à disposition du désir masculin ; et on attendra alors des femmes qu’elles démentent cette première narration de leur corps, qu’elles fassent montre d’un corps et d’une sexualité privatisés. Démentir cet imaginaire relève de leur responsabilité. Ce sont là des exemples d’attentes externes qui, fondées sur un certain script corporel, structurent le regard des acteurs sociaux et des actrices sociales, et les interactions que les uns vont avoir avec les autres. La sexualisation, comme monstration publique de sexualité, place le corps et la sexualité féminines dans diverses attentes structurées par la tension entre privé et public.

Les femmes ont alors à composer avec ces diverses attentes : la lecture préalable de leur corps comme objet disponible pour le regard et le désir masculins et la responsabilité qui incombe aux femmes de démentir cette narration par leur corps même, et d’exposer sur la voie publique un corps conforme à ces attentes. C’est ce que mettent en lumière les propos de Sophia, lorsqu’elle dit que, pour atténuer le risque d’agression, elle se sentait obligée de porter des vêtements sombres et asexués152. C’est ce que j’appelle les nécessités conditionnées. Ce sont les réponses qu’un-e acteur-ice social-e va concevoir à partir d’une fiction dominante, jouant sur la façon de montrer son corps, et donc sur les narrations qu’elle va produire de son corps. Les scripts corporels conditionnent toujours plus ou moins les façons dont les corps dominés voudront se faire voir dans l’espace social. Pour se préserver de la violence sexiste dans l’espace public et rendre ses déplacements vivables, une femme anticipe la façon dont le regard des hommes va raconter et voir son corps, adaptant ainsi aux fictions hégémoniques du corps féminin la monstration de son corps dans l’espace social. Dans Stigmates, Goffman distingue deux types de personnes stigmatisées : les stigmatisé-e-s discrédité-e-s, dont le stigmate est apparent, et les stigmatisé-e-s discréditables qui, du fait de leur stigmate non apparent, peuvent, selon Goffman, exercer un plus grand contrôle de l’information sociale et disposer de davantage de stratégies pour gérer leur stigmate. Les nécessités conditionnées s’inspirent de l’idée goffmanienne de contrôle de l’information sociale, et s’intéressent davantage aux stratégies que développent les stigmatisé-e-s discrédité-e-s. Bien que les individu-e-s discréditables disposent de plus

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Cela peut rappeler l’ouvrage d’I. Clair, Les jeunes et l’amour dans les cités. L’auteure y montre comment, pour faire la preuve de leur bonne moralité sexuelle et légitimer leur présence dans l’espace public, les adolescentes adoptent une stratégie consistant à porter des tenues vestimentaires masculines (vêtements amples, baskets). Elles doivent faire preuve de réserve et ne pas jouer à la « dame », c’est-à-dire afficher une sexualité adulte, et donc explicite et assumée (CLAIR [I.], Les jeunes et l’amour dans les cités, Paris, Armand Colin, 2008, p.39-42)

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grande marge de manœuvre, les individu-e-s discrédité-e-s peuvent aussi jouer de leur stigmate apparent : iels disposent de nombreuses stratégies, subissant ou non leur stigmate, suivant le cadre interactionnel qui se met en place153. Le stigmate ne paralyse pas forcément les stigmatisé-e-s discrédité-e-s dans leur capacité d’agir : tout dépend de l’interaction. Le stigmate visible peut donner lieu à tout un jeu, à toute une mise en scène autour de l'exposition du corps stigmatisé, et donc à diverses stratégies du « se faire voir ». L’entretien avec Eloïse Bouton fait aussi percevoir cette diversité :

Quelles stratégies adoptais-tu pour y échapper ou y faire face ?

Soit la fuite, soit des tentatives de « blagues » comme je peux le faire avec Paye Ton Troll. Par exemple je me souviens avoir répondu à un mec qui m'a crié « ton cul en danseuse » alors que je montais une côte à vélo, « ta bite en tutu ». Ça ne sert pas à grand-chose en soi, mais ça permet de se soulager sur le moment et ça désamorce leur volonté de t'enfermer dans la peur. La tentative de faire surgir l’humour crée, du moins du côté d’Eloïse, une sorte de rupture dans l’interaction oppressive, car, comme je le montrerai dans le prochain chapitre, l’usage de l’humour permet de se lire autrement qu’en victime.

Par ailleurs, dans les propos de Sophia, on voit que les stratégies, relevant des nécessités conditionnées, échouent parfois. Malgré sa tenue vestimentaire sombre et asexuée, Sophia subissait tout de même de multiples agressions. L’anticipation des regards masculins sur les corps féminins ne peut se faire qu’à partir de la narration qu’un-e acteur-ice social-e se fait d’un corps féminin, et donc des attentes auxquelles il doit se conformer. Autrement dit, cette anticipation se fait à partir de ce que l’acteur-ice social-e considère comme ce qui peut être vu comme une exposition outrancière de féminité, une invitation implicite à la sexualité, et donc une monstration publique de sexualité. Considérer l’échec des stratégies, relevant des nécessités conditionnées, permet de mettre en lumière le décalage entre les différentes façons dont les acteurs sociaux et les actrices sociales se

153 « S’il est vrai qu’un visage défiguré peut rebuter un inconnu, il devrait en aller autrement, peut-on supposer, entre intimes. On pourrait donc considérer le maniement du stigmate comme un domaine appartenant essentiellement à la vie publique, aux contacts entre inconnus ou simples connaissances, à l’extrémité d’un continuum dont l’autre pôle est l’intimité. » (GOFFMAN [E.], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris, Minuit, 1975, p.68)

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racontent la féminité, un corps féminin ; et comment ils et elles ajustent ce récit à leur propre corps.

Sexualisation oblige, on attend des corps féminins qu’ils se montrent dans l’espace social de certaines façons. Comme le rappellent J. Dagorn et A. Alessandrin,

La présence grandissante des femmes dans l'espace public n'a pas conduit à modifier l’imaginaire collectif, leur interdisant implicitement l’appropriation de certains espaces autrefois dévolus aux hommes. […] Le harcèlement de rue leur rappelle alors que leur présence n’est pas souhaitable et les rend responsables de paroles et gestes non désirés à l’égard de leur corps. A elles de s’adapter pour échapper à ces discriminations : autocensure, autodéfense… Des mesures qui renforcent leur illégitimité à se déplacer librement sans troubler un ordre public patriarcal. Ce propos fait écho à ce que dit Sophia dans la suite de l’entretien.

Parce qu'avant, tu avais peur de sortir la nuit ?

Non. Mais je sortais en femme invisible ;-))) Maintenant je sors comme je veux.

Donc tu dirais que c'est ton engagement féministe, et non pas seulement ton engagement Femen, qui a changé ton rapport à l'espace public ?

Oui. C'est un tout. J'ai réalisé que la place des femmes dans l'espace public était dans la fuite, l'invisibilité. En prendre conscience m'a permis de déconstruire mon rapport à la cité. Femen m'a donné de l'assurance. Mes lectures m'ont permis de déconstruire une logique comportementale.

Qui était de vouloir te cacher ?

Oui... Longer les murs, fuir. Ne pas être voyante.

Ce sentiment d’illégitimité se couple, chez Eloïse Bouton, avec le sentiment de peur. Et est-ce que FEMEN (ou le féminisme en général) a changé quelque chose à ton rapport à l'espace public ? Et si oui, en quoi ?

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Oui. Après ma première action Femen, je me suis sentie libérée d'un poids, presque invulnérable, comme si plus rien ne pouvait m'atteindre désormais. Je n'avais plus peur de regarder les harceleurs dans les yeux dans la rue, de leur répondre et/ou de leur signifier que leur comportement était inapproprié. Je pense que cette réappropriation de l'espace public via le militantisme m'a aidé à dépasser des peurs, certes légitimes mais étouffantes, et à ne plus me poser autant de questions qu'avant à chaque fois que je dois sortir.

Par le script corporel d’une féminité sexualisée, on assiste à la relégation des femmes à l’intérieur, à la sphère privée, et donc à un renforcement de l’imaginaire femme-dedans, comme seule fiction d’un corps féminin légitime. L’imaginaire femme-dehors, lui, se construit dans une relation dialectique au premier et apparaît donc comme un corps-repoussoir et comme un corps sexualisé – puisque dehors – renforçant ainsi la légitimité du corps de la femme-dedans. Cela rend illégitime leur présence dans la sphère publique154. Dans l’imaginaire, leur présence doit demeurer une exception. Du fait de ce même imaginaire dans lequel elles sont attendues, les femmes deviennent des corps inattendus sur la voie publique. La sexualisation, cette monstration publique du corps féminin à disposition du désir masculin semble imposer la fiction d’un corps féminin sexualisé comme un corps-repoussoir pour mieux imposer aux corps féminins et à la sexualité féminine, de se cacher155. On va montrer un corps d’une certaine manière pour mieux le dissimuler ou lui imposer de se dissimuler. Cela rejoint le propos de Goffman sur l’attitude des stigmatisé-e-s discrédité-e-s consistant à vouloir « se faire tout petit » ; mais il semble que l’analyse goffmanienne estompe quelque peu le biais représentationnel sur lequel repose une telle attitude. Les scripts corporels conditionnent les façons dont sont montrés les corps minorisés, et donc les façons dont ils sont autorisés à se montrer dans l’espace social. Cela permet de mettre au

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On peut lier ici le sentiment d’illégitimité au sentiment de peur qu’on évoquait tout à l’heure. Travailler sur le thème des peurs féminines met en exergue une nouvelle modalité du rapport entre imaginaire et

reproduction des normes patriarcales. Parce que les femmes vont avoir peur d’être seules dans l’espace public, elles vont s’auto-exclure de certains espaces, renforçant les logiques de délégitimation de leur présence dans la sphère publique. Cf. : CONDON (S.), LIEBER (M.) et MAILLOCHON (F.), Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines. Revue française de sociologie, 2005, vol. 46/2, p.265-294.

doi:10.3917/rfs.462.0265.

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Cependant, la fiction sexualisée du corps féminin n’est pas la seule fiction à opérer dans ces logiques : « […] les femmes se perçoivent comme plus vulnérables, plus faibles et moins rapides que les hommes » (ibid., p.268)

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jour un dernier paradoxe : les individu-e-s discrédité-e-s, quoique visibles par leur stigmate, subissent des logiques d’invisibilisation sociale, du fait même de leur stigmate et des représentations qui gravitent autour de lui.

De la monstration au se faire voir : l’agentivité en question

Une question, plus théorique, découle de la notion des nécessités conditionnées. Cette interrogation consiste à déterminer si les actes et les stratégies, découlant des nécessités conditionnées, peuvent relever de l’agentivité. Cette question se fonde sur la distinction de deux conceptions de l’agentivité : celle du féminisme post-structuraliste que J. Butler, par exemple, contribue à théoriser ; et celle de S. Mahmood. Si l’on considère la première conception, les stratégies relevant des nécessités conditionnées ne peuvent pas entrer dans le cadre des comportements agentiques. En effet, selon cette conception, les processus de réalisation de soi doivent être reliés à l’idée d’une volonté autonome, de la réalisation de ce que l’on veut vraiment. Or, comme je l’ai dit, les nécessités conditionnées répondent directement aux attentes normatives qui se fondent sur les images hégémoniques des corps. Ce sont des réponses structurées par les logiques de domination, face auxquelles la volonté individuelle doit fonder des stratégies. Cela relativise l’idée d’autonomie de la volonté, car la réponse est déterminée par les logiques de pouvoir sur les corps. Toutefois, ce sont des stratégies qui permettent aux femmes une certaine liberté de mouvement dans l’espace public, ce qui met aussi en question le système binaire dans lequel s’insère l’agentivité, entre pouvoir et résistance, entre reproduction des normes et leur subversion. L’idée de liberté y est toujours adossée aux notions de subversion et de résistance. Or, il n’y a pas – ou rarement – dans les stratégies des nécessités conditionnées l’idée de liberté acquise par un acte subversif ; mais plutôt l’idée d’une relative capacité acquise en reproduisant les normes et en composant avec les attentes qui en découlent.