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2.2 Observations spectroscopiques à haute résolution spectro-temporelle

3.1.2 De la validité de l’hypothèse d’équilibre thermodynamique local

Le corps noir

Un corps noir (CN) est un absorbeur parfait de toute radiation électromagnétique. Une enceinte isotherme complètement close munie d’une minuscule ouverture en constitue un exemple. En effet, un photon qui y pénétrerait aurait une infime probabilité d’en ressortir et finirait absorbé par les parois de l’enceinte ou le gaz qui s’y trouve. Cette probabilité n’étant pas nulle, l’absorbeur n’est pas strictement parfait, mais peut tendre à l’être si la taille de l’ouverture est négligeable par rapport à la taille des parois, et selon la rugosité et le coefficient de réflexion de ces parois. A l’inverse, si cette même enceinte est chauffée et que ses parois se mettent à émettre des photons, ceux-ci sont piégés car ré-absorbés à l’intérieur de l’enceinte, la minuscule ouverture ne laissant s’échapper qu’un nombre négligeable d’entre eux. Si le chauffage de l’enceinte est effectué de telle manière que la température de ses parois reste constante et uniforme, alors un équilibre s’installe au sein de l’enceinte : chaque processus physique est contrebalancé par un processus inverse (par exemple, l’émission d’un photon est contre-balancé par sa ré-absorption). L’enceinte est alors dite en équilibre thermodynamique (c’est-à-dire en équilibre thermique, méca- nique, radiatif et chimique) et une seule variable thermodynamique est nécessaire pour la décrire : sa température. Une petite partie du rayonnement interne à l’enceinte parvient bien à s’échapper, ce qui permet d’en mesurer le spectre électromagnétique caractéris- tique, mais cette fraction est trop minime pour perturber l’équilibre thermodynamique de l’enceinte et la notion de corps noir reste tout à fait valable pour la décrire.

Parallèle entre le corps noir et la photosphère stellaire

A la base de la photosphère stellaire, la plupart des photons issus des couches stel- laires plus profondes (produits par les réactions nucléaires au centre de l’étoile) ne peuvent s’échapper : la grandeur physique appelée "profondeur optique", τν(cf. Section 3.2, équa- tion (3.17)), est telle que τν ≫ 1 et le milieu est alors dit "optiquement épais". Les photons sont ré-absorbés tout près de là où ils sont émis, c’est-à-dire que leur libre parcours moyen (lpm), soit la distance moyenne qu’un photon va pouvoir parcourir dans le milieu avant

d’être absorbé, est très court1.

Dans la photosphère stellaire, la matière est généralement suffisamment dense pour que les collisions entre les particules thermalisent complètement le milieu. Elle est localement en équilibre thermodynamique, ce qui signifie que son état microscopique local est décrit par une seule variable thermodynamique, la température. Dans une couche profonde de la photosphère stellaire, de taille bien plus grande que le lpm d’un photon et où les in- teractions photons-matière sont très nombreuses : un photon ne "verra" pas de variation de température le long de son lpm. Le rayonnement est donc thermalisé et en équilibre avec la matière dans laquelle il est (quasi-) piégé. Le milieu peut donc être considéré en Equilibre Thermodynamique Local (ou ETL) et cette zone profonde de la photosphère stellaire est assimilable à un corps noir (notons toutefois qu’en réalité, de nombreux écarts à l’ETL sont observés). Dans ce cas, la distribution spectrale du rayonnement, dit rayon- nement thermique d’un corps noir de température T (où T est la température d’équilibre rayonnement-matière du CN), suit alors la loi de Planck dont nous rappelons ici l’expres- sion de la luminance énergétique spectrale (monochromatique) :

Bλ(T ) = 2hc 2 λ5

1

ehc/λkT − 1 , (3.1) où h est la constante de Planck (h= 6.626 10−27erg s), c la vitesse de la lumière dans le vide (c= 2.998 1010cm s−1) et k la constante de Boltzmann (k= 1.381 10−16erg K−1). La partie ehc/λkT1 −1 découle de la statistique de Bose-Einstein et représente le nombre d’occu- pation de photons par état de spin.

Notons que de nombreux codes numériques de synthèse spectrale font l’hypothèse de l’ETL. C’est le cas du code SYNTH3 ayant servi à notre étude des paramètres fondamen- taux de HD 104237, qui sera décrit dans la Section 5.2.3.

En outre, dans ces couches optiquement épaisses ou l’ETL est possible :

- la distribution des vitesses des particules est maxwellienne, pour la même tempé- rature T . La fraction f (3) = dNv/Ntotal de particules de masse m ayant une vitesse comprise entre 3 et 3 + d3 est donnée par l’équation :

f (3) d3 = 4 π  m 2 k T 3/2 e−m 32/2 k T 32d3 . (3.2)

La vitesse la plus probable, c’est-à-dire celle pour laquelle le nombre de particules est le plus grand, est égale à (2kT/m)1/2.

1. A titre d’exemple, il faudrait théoriquement environ 2 secondes à un photon pour parcourir un rayon solaire si son lpm était infini, alors qu’en réalité, il faut près d’un million d’années pour extraire l’énergie lumineuse du centre du soleil vers sa surface.

- les mécanismes de peuplement et dépeuplement des niveaux d’énergie d’un atome ou d’un ion donné sont majoritairement collisionnels (énergie mécanique, c’est-à- dire thermique). Les densités de populations n de deux niveaux excités u et l sont alors décrites par la loi de Boltzmann :

Nu

Nl = gu

gl

e−(Eu−El)/kT , (3.3)

où u et l désignent respectivement les niveaux liés supérieurs et inférieurs, g est le poids statistique d’un niveau (directement lié à sa dégénérescence) et E son énergie d’excitation. De manière similaire, la densité numérique d’atomes dans un niveau excité n par rapport au nombre total d’atomes de l’espèce considérée est :

Nn N = gne−En/kT g1+ g2e−E2/kT + g3e−E2/kT + ... = gn u(T )10 −θ En (3.4)

où u(T ) = P gie−Ei/kT est la fonction de partition de l’atome ou de l’ion considéré et θ = (log e)/(kT ) = 5040/T , où k s’exprime en eV K−1pour être compatible avec une énergie E en eV. Les équations 3.3 et 3.4 permettent de décrire l’équilibre d’ex- citation d’un élément donné ;

- les équilibres d’ionisation sont régis par la loi de Saha :

Nl N0 Pe = (2πme) 3 2(kT ) 5 2 h3 2ul(T ) u0(T ) e−I/kT (3.5)

où Nl/N0est la fraction d’ions d’un état d’ionisation l donné par rapport au nombre d’atomes neutres de l’espèce chimique considérée, ul/u0 est le rapport des fonc- tions de partition correspondantes, Pe est la pression électronique, me est la masse de l’électron, h est la constante de Planck et I est l’énergie d’ionisation de l’état d’ionisation l. Si l’on utilise des unités c.g.s. pour me, k et h, l’équation précédente devient : log Nl N0 Pe ! = −5040 T I + 2.5 log T + log ul u0 − 0.1762 (3.6) L’équation de Saha nous permet par exemple d’estimer le rapport du nombre d’ion de Fe II par rapport au nombre d’atome de Fe I (neutre) dans la photosphère de HD 104237, c’est-à-dire pour une Teff d’environ 8500 K. En l’occurence, ce rapport y est d’environ de 3000, le Fe II est donc nettement majoritaire par rapport au Fe I dans la photosphère de HD 104237. Les atomes de Fe neutre, moins nombreux, seront donc nettement plus sensibles aux écarts à l’ETL dans cette étoile.

de flux à l’intérieur des étoiles. Le flux stellaire que nous pouvons observer est donc dû aux écarts à l’isotropie : une petite fraction des photons parvient finalement à quitter l’at- mosphère stellaire au niveau des limites externes de la photosphère. Le spectre résultant de l’étoile est donc en quelque sorte le spectre de corps noir de ses couches plus pro- fondes vu au travers de la photosphère. Les absorptions visibles dans le spectre stellaire, qui résultent de la traversée de la photosphère par les photons, en représentent la signa- ture chimique, et témoignent des conditions de température et de masse volumique qui y règnent.

Plus les couches atmosphériques s’éloignent du centre de l’étoile, plus la profondeur optique diminue et le lpm des photons s’allonge, moins la matière est dense, et plus on s’éloigne des conditions ETL. C’est le cas des zones plus externes de la photosphère et, a

fortiori, de la chromosphère et de la couronne.