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De l’appropriation des outils de gestion…

2. De la diffusion des innovations à leur appropriation ... 77

Section II. … à la perspective appropriative ... 87

2. Le processus d’appropriation ... 88

3. La perspective appropriative : à la recherche d’indices caractérisant

l’appropriation ... 97

Dans le premier chapitre, les développements sur les outils de gestion permettent de dépasser la conception instrumentale et déterministe qui a prévalu pendant de nombreuses années, et qui tend encore à prévaloir. Perspective instrumentale d’autant plus développée que le contrôle de gestion est souvent assimilé (réduit) à la mesure : mesure des performances individuelles et collectives, mesure des coûts, indicateurs chiffrés…

Les premiers travaux sur les outils de gestion ont mis en avant les difficultés de l’appropriation des outils et l’écart entre l’utilisation pensée par les concepteurs et l’utilisation réelle par les acteurs dans l’organisation (Aggeri et Labatut, 2010). Il convient de s’intéresser à leur mise en pratique, de confronter les usages réels aux usages prévus, de comprendre les échecs ou les détournements pour mieux appréhender le fonctionnement des organisations, et les effets que peuvent avoir les outils de gestion sur ces dernières. Ce qui pose la question fondamentale de leur insertion dans un dispositif et de leur appropriation au sein d’une organisation. S’intéresser à la mise en pratique n’est pourtant pas suffisant. Il convient en effet d’aller au-delà des impacts des outils sur l’organisation en question et de poser la question de la trajectoire d’appropriation (de Vaujany,

2003), afin d’une part de reconstituer cette trajectoire ex ante et d’autre part

d’envisager la(les) trajectoire(s) possible(s). Pour effectuer cette analyse, nous mobilisons la notion de perspective appropriative développée par de Vaujany (2006).

Dans ce chapitre, la première section vise à définir le concept d’appropriation, « une opportunité de repenser les outils de gestion » (Grimand, 2012). La seconde section est consacrée au cadrage conceptuel et méthodologique de notre recherche, autour de la notion de perspective appropriative. Cette perspective consiste à identifier les indices d’appropriation ainsi que la capacité d’appropriation développée dans l’organisation pour faire évoluer (adapter) les dispositifs de gestion.

Section I. De l’appropriation des outils de gestion…

De nombreux chercheurs, en s’intéressant à la mise en pratique des outils de gestion, ont souvent constaté les écarts entre ce qui est prévu lors de la conception d’un outil de gestion, et ce qui est réalisé avec cet outil, dans la pratique des acteurs. Ils se sont donc intéressés à l’usage, au rôle des acteurs dans la mise en œuvre des outils. De Vaujany et al. (2005) ont ainsi valorisé le rôle de l’acteur/utilisateur, comme participant aussi à la conception. Conception et usage ne doivent donc plus être opposés, l’outil étant aussi conçu lors de son usage. Dans cette section, nous revenons plus en détail sur la caractérisation des interactions acteur/outil en revenant sur les acceptions du terme appropriation et son étymologie (1), afin de dresser une synthèse des différents courants de recherche portant sur l’appropriation (2).

1. Plusieurs acceptions du terme « appropriation »

Les développements sur l’étymologie du terme « appropriation » (1.1) permettent de mettre en perspective la diversité et la complémentarité des travaux de recherche, menés essentiellement dans le domaine des systèmes d’information (1.2).

1.1 Etymologie

La simple recherche du terme « appropriation » dans le dictionnaire Gaffiot donne comme résultat le nom « appropriatio », avec pour renvoi au verbe « approprio » », qui a lui-même pour origine « proprius ». En étudiant les mots latins déclinés de « proprius », nous avons trouvé une autre correspondance latine au mot appropriation : « propriificatio ». Le schéma suivant représente les deux constructions latines que nous avons identifiées pour le mot appropriation.

Figure 7 : Différentes étymologies latines du terme « appropriation »16

Si les deux voies de construction de l’étymologie latine, présentées ci-dessus, conduisent au même sens général - l’appropriation consiste à rendre quelque chose propre à un individu, un groupe d’individus, ou autre agent – l’analyse des deux termes « proprius » et « facio » nous permet de dégager les principales acceptions du terme « appropriation ». Le suffixe « ation » signifiant « l’action du verbe dont il s’agit » (E. Littré), nous considérons que l’appropriation est l’action d’approprier.

Commençons par « proprius », qui signifie à la fois « ce qui appartient en propre à un individu » et « ce qu’est cet individu (ou cet objet), ce qui le caractérise ». La première acception du terme appropriation renvoie au fait de faire de quelque chose sa propriété, souvent de manière indue : on parle de dépossession. La seconde acception fait référence à la notion d’adaptation, « rendre propre à une destination précise », « adapter quelque chose à un usage déterminé»,

16 Dictionnaire latin-français Gaffiot p. 147 et 1259 - édition en ligne,

http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?p=1259, Novembre 15, 2010, LEXILOGOS. Proprius, a, um

qui appartient en propre, qu’on ne partage pas avec d’autres

propre, spécial, caractéristique (d’un groupe)

qui appartient constamment en propre, durable, stable, permanent

Préfixe « Ap » Rendre Idée de rapprochement Tendance, direction Facio Faire

Réalisation d’une chose :

- du point de vue matériel et physique

- du point de vue intellectuel et moral

Approprio Appropriatio

Propriifico Propriificatio

Appropriation

Action de rendre quelque chose propre, caractéristique, d’un point de vue matériel ou physique comme d’un point de vue intellectuel et moral, et ce de manière durable.

« conformer » à quelque chose ou à une situation, « convenir ». Une troisième voie, complémentaire des deux autres, issue aussi de l’étymologie de « proprius », est celle de la durabilité, de la récurrence.

La voie la moins « directe », celle qui consiste à associer proprius à facio (représentée ci-dessus à droite), a le mérite de mettre en évidence la complémentarité des perspectives matérielle et intellectuelle. Le tableau ci-dessous propose les quatre sens majeurs issus de l’étymologie latine, ou tout du moins de la juxtaposition des définitions des deux termes latins à l’origine du mot appropriation.

L’appropriation est donc l’action d’attribuer, d’adapter, à la fois matériellement et intellectuellement, quelque chose à un individu, ou à un groupe d’individus. L’individu s’attribuera l’objet, l’adaptera à son usage, et/ou s’adaptera à l’objet. Une autre définition issue de l’étymologie latine, qui fait référence à l’assimilation par le corps d’un aliment, renforce ce qui ressort de l’analyse précédente : l’appropriation est constituée d’une multitude d’actions, matérielles, physiques, intellectuelles, visant à rendre « compatibles » un objet et un individu (ou un groupe d’individus).

Le mot « appropriation » est aussi un terme de chimie ancienne qui signifie « disposition de deux corps à se combiner par l’addition d’un troisième » (Littré, édition de 1875, page 178). Cette définition a pour mérite d’ouvrir le débat à la question d’un troisième élément de l’appropriation, dépassant la simple dualité objet-individu. Nous retrouvons d’ailleurs ce terme d’assimilation dans certaines recherches sur les outils de gestion : avec par exemple « l'assimilation des budgets environnementaux et du tableau de bord vert par les entreprises » (Desmazes et Lafontaine, 2007). En fonction de l’objet et des individus, les actions seront donc différentes, pouvant aller du plus simple, l’attribution matérielle pure, au plus complexe, l’assimilation.

1.2 Différentes perspectives : de l’adaptation de l’objet à l’adaptation de l’acteur

Pour ce qui concerne les sciences de gestion, plusieurs termes sont liés à l’appropriation. L’adaptation revient fréquemment dans les recherches anglophones ayant pour objet l’étude du comportement de l’utilisateur face à

l’introduction d’une nouvelle technologie. Dans le cadre d’une recherche de ce type visant à déterminer un modèle de stratégie d’adaptation de l’individu, Beaudry et Pinsonneault (2005) ont dressé un tableau chronologique des principaux termes utilisés par certains des auteurs du domaine et les définitions des concepts principaux proposés autour de l’appropriation.

Nous avons adapté ce tableau, en distinguant les différents objets de l’action de rendre propre. En d’autres termes, dans toutes les définitions proposées, les auteurs font-ils référence à une adaptation de la technologie, de l’individu (usager), ou des deux ? La dimension temporelle a été conservée afin d’observer l’évolution des perspectives.

Le schéma ci-dessous propose ainsi une adaptation du tableau de Beaudry et Pinsonneault (2005).

Figure 8: Approches d’appropriation : adapté de Beaudry et Pinsonneault (2005) Les termes utilisés sont au nombre de cinq, adaptation ayant la plus grande fréquence, rejoignant en ce sens la définition générale du terme. Les premiers courants de recherche sur l’appropriation sont apparus principalement suite aux modèles proposés pour comprendre la diffusion d’une innovation technologique (Rice et Rogers, 1980). Les modalités d’adaptation de la technologie à un usage particulier (d’un groupe ou d’un individu) ont constitué les premières

problématiques autour de l’appropriation. Les interactions entre l’instrument et l’usager (l’acteur), les ajustements réciproques, ont constitué la « deuxième vague » de recherche, dans la lignée de l’Ecole de la traduction et de la structuration. La perspective intellectuelle ou morale (en particulier l’adaptation réciproque de l’usager et de la technologie) n’apparaît qu’après une dizaine d’années de recherches, notamment avec les travaux de Poole et DeSanctis (1989), ou ceux d’Orlikowski (1992).

Le tableau de Beaudry et Pinsonneault (2005) recense les définitions proposées dans le cadre de recherches autour de l’appropriation. Ce travail de synthèse permet de dresser une liste de termes utilisés, associés à ce fameux concept d’appropriation, et de proposer une définition « détaillée ». L’action d’approprier serait constituée d’une multitude d’activités, définies par plusieurs auteurs comme un processus, continu ou discontinu. Elle consisterait (pour les perspectives orientées usages/individus) en des ajustements réciproques entre objet et individu(s), répondant à la fois aux besoins des usagers, aux limites d’adaptation de l’objet, à sa structure, à son esprit.

La diversité des perspectives (variété des acteurs, des niveaux organisationnels), l’aspect processuel du concept, les modalités d’action (matérielles, sociales ou cognitives) rendent l’observation de l’appropriation complexe. Toutefois, les différentes recherches permettent de caractériser le concept : la mise en pratique, le (les) acteur(s), les moyens mobilisés, les interactions sociales mises en œuvre sont autant d’indications sur le processus d’appropriation d’outils de gestion dans une organisation.

2. De la diffusion des innovations à leur appropriation

La diffusion des innovations et l’adoption des outils de gestion constituent les premiers courants de recherche en matière d’appropriation (2.1). Ce processus ne s’arrêtant par à l’adoption d’un outil, les approches structurationnistes se sont focalisées sur les interactions outil/acteur, en phase d’usage (2.2).

2.1 La diffusion des innovations et l’adoption des outils de gestion.

Une revue de la littérature sur le sujet de l’appropriation permet de constater qu’une seule théorie n’explicite pas clairement le concept d’appropriation en sciences de gestion. L’approche de la diffusion d’une innovation (Alter, 1990 ; Rogers, 1995), s’est intéressée au processus d’adoption d’une innovation, pour comprendre comment la diffusion de l’innovation peut être favorisée. Ainsi, les premiers courants de recherche sur l’appropriation sont apparus principalement suite aux modèles proposés pour comprendre la diffusion d’une innovation technologique (Rice et Rogers, 1980). Il s’agissait d’identifier les facteurs favorisant la première étape de l’appropriation : l’adoption. Ainsi, cinq éléments endogènes d’une innovation sont apparus déterminants :

- l’avantage relatif : utilité perçue de l’innovation par les utilisateurs

potentiels,

- la compatibilité : avec les valeurs et pratiques des utilisateurs,

- la complexité : plus l’utilisation est complexe, moins l’adoption est aisée,

- la testabilité ou l’observabilité des résultats : il s’agit de pouvoir tester

l’innovation en question.

Rogers (1995, p.13) définit l’innovation comme « une idée, une pratique ou objet

qui est perçu comme nouvelle par un individu ou toute autre unité d'adoption. Il importe peu […] qu'il s'agisse ou non d'une idée « objectivement » nouvelle »17. David (1996) précise, en s’appuyant sur les recherches menées par

Zaltman et al. (1973), que : « pour qu’il y ait innovation, il suffit que l’innovation

présente un caractère nouveau pour l’organisation qui l’adopte »

(David, 1996, p.2). Alcouffe et al. (2003) proposent une définition proche de celle

de David et inspirée de Kimberly (1981):

« Une innovation managériale est un programme, un produit ou une technique qui est perçu comme nouveau par l’individu ou le groupe d’individus considérant son adoption et qui, au sein de l’organisation où elle est mise en place, affecte la nature, la localisation, la qualité et/ou la

17 “An innovation is an idea, practice, or object that is percieved as new by an individual or other unit of adoption. It matters little, so far as human behaviour is concerned, whether or not an idea is "objectively" as new by the lapse of time since its first use or discovery.” (Rogers, 1995, p.13)

quantité de l’information disponible pour la prise de décision » (Alcouffe et al., 2003, p.3).

Il suffit donc qu’un individu considère une idée, une pratique ou un objet comme nouveau pour qu’il soit considéré comme une innovation (Alcouffe et al., 2003). Ainsi, d’un point de vue de l’organisation ou de l’individu, tout objet, règle, outil ou dispositif de gestion qui sera perçu comme nouveau pourra être qualifié d’ « innovation ».

Ce modèle de diffusion des innovations ne peut cependant suffire à analyser et expliquer l’ensemble du processus de la rencontre entre l’outil de gestion et

l’organisation. Comme le souligne Martineau (2008, p.5), « le modèle de Rogers

souffre cependant de deux critiques majeures, qui sont symptomatiques des critiques adressées aux modèles rationalistes en général ». En s’appuyant sur les travaux d’Abrahamson (1991), Martineau évoque dans un premier temps le biais de l’hypothèse d’infaillibilité technique de l’innovation. En effet, le courant diffusionniste attribue à l’innovation des qualités intrinsèques qui expliqueraient principalement sa diffusion. Cela rejoint les postures rationalistes des premiers courants de recherche sur les outils de gestion. Ainsi, les outils de gestion sont

principalement caractérisés par leur « aptitude » 18 à aider à atteindre

performance et efficacité. L’acteur (l’utilisateur) n’est pas concerné par ces recherches : il est considéré comme « passif par rapport à l’outil » (Martineau, 2008). Dans le domaine du contrôle de gestion, de nombreuses recherches vont ainsi s’intéresser à l’adoption d’outils tels que l’ABC, en ne s’appuyant que sur l’outil, sans s’intéresser à la pratique. Gosselin et Mevellec (2003), dans leur « Playdoyer pour la prise en compte des paramètres de conception dans la

recherche sur les innovations en comptabilité de gestion »19, formulent une

critique qui va dans le même sens:

« Les chercheurs vont transformer les modèles ABC en boîtes noires dont l’exploration serait sans intérêt au regard des questions posées. Toute la recherche va se développer non sur la pratique de l’ABC mais sur le discours de l’ABC sans que l’on sache jamais ce que cet acronyme cache de réalité technique et managériale. » (Gosselin et Mévellec, 2003, p.10)

18 Aptitude créée par leurs qualités intrinsèques

19 Leur article est relatif à la méthode ABC

Les auteurs soulignent ici que l’usage envisagé lors de la conception n’est pas questionné par les recherches ayant pour objet la comptabilité de gestion. Les recherches questionnent donc l’adoption.

Rogers (1995) mentionne plusieurs étapes dans l’« innovation decision process » :

- La prise de connaissance de l’innovation,

- La persuasion,

- La décision,

- La mise en œuvre,

- La confirmation.

Au cours de ce processus, l’attention est majoritairement portée sur la décision d’adoption. Finalement, la phase de mise en œuvre n’est pas ou peu questionnée. L’adoption n’est donc pas l’appropriation, ou en tout cas ne reflète pas l’ensemble de la rencontre outil/acteur. Cette étape de l’appropriation (comme nous allons le préciser plus loin) est en effet déconnectée de l’usage de l’innovation, de l’organisation qui l’accueille. Son approche ne prend en compte aucun phénomène de construction sociale au sein de l’organisation. Cette « déconnexion » entre décision d’adoption et appropriation au sein de l’organisation est renforcée par l’analyse faire par Rogers (1995) des facteurs influençant le rythme d’adoption d’une innovation. En effet, Rogers identifie des modes de décision d’adoption différents selon le nombre de « décideurs» et l’origine de la décision (interne ou externe) par rapport à l’organisation qui

adopte. Ainsi, « plus il y a de personnes impliquées dans le processus décisionnel

et plus le rythme d’adoption est potentiellement lent » (Alcouffe, 2004, p.4).

Cette analyse du lien entre le nombre de personnes participant au processus de décision d’adoption et le rythme d’adoption (donc de la diffusion de l’innovation) révèle un premier paradoxe entre adoption et appropriation. En effet, les concepteurs d’une innovation, externes à l’organisation, auront intérêt d’une part à s’appuyer sur un acteur pour favoriser l’augmentation du taux d’adoption de leur innovation, et d’autre part à limiter les interventions d’autres acteurs. Or concernant l’appropriation, particulièrement dans le cas du contrôle de gestion, la nécessité d’intéresser (Akrich et al., 1988) plusieurs acteurs dans le processus de choix de l’outil est soulignée, afin de favoriser l’insertion de l’outil dans le

dispositif qui doit l’accueillir. Une innovation pourra ainsi être adoptée sans que les utilisateurs de l’organisation soient intéressés, ce qui mène à l’échec. Dans le cas du contrôle de gestion, un contrôleur ou un directeur financier pourra ainsi, dans une perspective de légitimation de sa fonction, choisir d’adopter une comptabilité analytique, sans que la question du dispositif d’accueil soit posée. L’origine de la décision d’adoption a aussi un effet sur la rythme d’adoption

(Rogers, 1995) : « Les innovations dont l’adoption est imposée sont

potentiellement les plus rapides à se diffuser. » (Alcouffe, 2004, p.4) Cette analyse vient renforcer le paradoxe que nous venons de souligner entre adoption et appropriation : une décision d’adoption imposée à l’extérieur de l’organisation, à l’extérieur du dispositif qui est censé l’accueillir, favorisera le rythme d’adoption. Ainsi, en reprenant l’exemple exposé par Alcouffe (2004), une maison-mère pourra imposer un reporting à ses filiales, sans considération du contexte d’accueil. Ce qui posera la question du sens donné à cet outil au sein de l’organisation qui devrait l’adopter.

Pour l’Ecole française de la sociologie de l’innovation, le modèle proposé par Rogers souffre d’un handicap : conception et diffusion (en vue d’un usage) sont dissociées. Les chercheurs de cette école proposent donc un modèle qui permette de (ré)concilier les deux approches, le modèle de l’intéressement (Akrich et al.,

1988) : « Pour comprendre le succès ou l'échec, c'est-à-dire la diffusion et ses

péripéties, il faut accepter l'idée qu'un objet n'est repris que s'il parvient à intéresser des acteurs de plus en plus nombreux. » (Akrich et al., 1988, p.20). En effet, au risque de paraphraser Akrich et al., ce ne sont que les adaptations mutuelles entre innovation et utilisateurs qui peuvent conduire à la réussite (ou à l’échec) d’une innovation. Ils dénoncent le raisonnement qui consisterait à dire que seules les propriétés intrinsèques de l’innovation peuvent expliquer sa diffusion, sa propagation. L’ignorance du contexte d’accueil, des utilisateurs, dénoterait une croyance démesurée en la technique, propre à la société des ingénieurs. En synthèse, il leur semble absurde de concevoir une solution à un problème sans intéresser les individus qui rencontrent ce problème. Si les concepteurs ont une innovation en vue, ils doivent aussi avoir un contexte d’accueil cible. Ce dernier sera déterminant pour le contenu de l’innovation. Il convient donc « d’intéresser » les utilisateurs au moment de la conception de l’innovation. Cet intéressement consiste en un processus de « traduction » (Akrich

et al., 1988) entre l’innovation et l’environnement socio-économique dans lequel elle doit prendre place. Ce processus de traduction s’effectue à l’aide de représentants et d’intermédiaires (Alcouffe et al., 2003), qu’il convient de chercher, et à qui le(s) concepteur(s) doit(vent) faire confiance. En effet, ce sont ces intermédiaires qui vont permettre la compréhension du contexte et de l’innovation : il faut comprendre d’une part le contexte existant dans lequel se projettent les concepteurs, et d’autre part le contexte qui serait favorable à l’innovation. Cette multitude de représentants, d’intermédiaires, constitue une forme de réseau. C’est une des raisons qui ont conduit à dénommer « théorie de l’acteur-réseau » la théorie de la traduction. Comme le souligne Latour (2004), il ne s’agit pas d’un modèle à appliquer au sens des théories classiques, mais d’une théorie de la description, qui permet de comprendre un environnement et de concevoir une innovation.

Toutefois, en introduisant le concept de ré-invention (la modification d’une innovation au cours du processus d’adoption ou de mise en œuvre), Rogers rétablit un lien entre l’outil et la pratique, entre l’outil et la structure sociale qui l’accueille. Les critiques consistant à caractériser la diffusion des innovations de Rogers peuvent ainsi être mesurées, comme le soulignent Alcouffe et al. (2003). :