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Les dangers n'apparaissant qu'à la suite de nouvelles découvertes scientifiques et tec!zniques (Entwicklungsgefahren)

LE PROBLÈME EN FAIT

5. Les dangers n'apparaissant qu'à la suite de nouvelles découvertes scientifiques et tec!zniques (Entwicklungsgefahren)

Du point de vue de la production, il est difficile de parler ici de défaut puisque le fabricant ni personne d'autre ne pouvait prévoir, au moment de la mise sur le marché, que le produit n'était pas satisfaisant.

On ne peut pas faire remonter le dommage à un manquement, même si on juge objectivement, dans le domaine de l'entreprise productrice.

Il s'agit ici de produits considérés comme irréprochables et sans danger, dont on découvre seulement après coup, notamment après la phase des tests admis comme suffisants, qu'iils recèlent des propriétés nuisibles.

L'exemple donné par Lorenz est celui des cigarettes, dont on découvrit qu'elles pouvaient provoquer le cancer ; Simitis cite le cas également fameux aux Etats-Unis d'une préparation contre le cholestérol, ,Je MER-29, qui donnait la cataracte à un nombre important de ceux qui le prenaient.

L'état de la science médicale et pharmacologique au moment de la diffu-sion du produit n'aurait pas permis de déceler les effets secondaires désas-treux de la préparation 2 0. Ce genre de situation se présente surtout dans l'industrie pharmaceutique et chimique.

D'une façon générale, ce type se distingue des précédents en ce que le risque n'est pas connaissable au moment de la mise en circulation du produit. Mais dans le premier exemple la découverte porte sur le risque inhérent à l'usage ou à la consommation d'un produit déjà largement répandu ; dans le second c'est à cause de sa nouveauté que toutes les propriétés nuisibles du produit ne sont pas encore connues.

Les auteurs américains dans leur ensemble ont établi une classifi-cation un peu moins ambitieuse dans le domaine de la « products liability ». Ils distinguent le « miscarriage of the manufacturing process » (aboutissant à un défaut de fabrication); le « defective design», soit le vice au niveau de la conception technique du produit (correspondant au moins partiellement au vice de construction) ; le manquement au « duty to warn » (qui recouvre le défaut d'avertissement adéquat sur les risques inhérents à l'usage du produit ou d'instructions appropriées pour son

25 Pour une situation analogue, voir l'arrêt américain Harper v Remington Arms, 280 Nv Supp 862 (1935) : des cartouches spécialement fortes, réservées aux armuriers pour contrôler la résistance des armes ont été vendues comme cartouches ordinaires.

26 Cf. p. 118 infra.

LE DÉFAUT 23 emploi). Ils admettent également l'existence de produits faisant naître des

« unknowable risks » (risques impossibles à connaître selon les connais-sances scientifiques ou techniques du moment) ; et celle des « unavoi-dably unsafe products » soit les produits dont par définition l'usage met en œuvre des propriétés dangereuses, secondaires ou non, mais insé-parables d'une utilisation par ailleurs désirable.

Dans cette dernière catégorie, les dangers ne remontent pas à un vice ou à un manquement dans l'entreprise : mais l'utilité reconnue du pro-duit n'empêche pas qu'il présente des risques inhérents directs ou dans ses effets secondaires. On ne saurait alors parler de défaut pour cette seule raison qu'un danger lui est attaché.

De ces deux situations (danger qu'on ne pouvait connaître, et danger inévitable) doit être soigneusement distinguée celle où ,!es procédés de fabrica/ion sont la source de dangers parce qu'il n'est pas possible d'empêcher que les défauts apparaissent dans une certaine proportion des exemplaires produits. Il ne s'agit plus alors de dangers inséparables de l'usage souhaiité du produit, ni de dangers imprévisibles, mais d'un risque inhérent à la fabrication selon telle formule qu'il n'est pas possible d'améliorer pour des raisons techniques ou économiques (rentabilité). Il n'y a pas de procédé rentable pour empêcher que des pailles ne se forment dans une série de pièces de métal, ou pour les déceler avant la distri-bution. On pourrait songer à passer toutes les pièces aux rayons X, mais le coût d'un tel contrôle serait trop élevé ; de même pour les virus d'hépatite dans le sérum sanguin.

Le risque peut donc être connu, mais il est considéré comme insurmon-table. Il n'en résulte pas moins d'un choix au niveau de la fabrication, et on ne saurait dire qu'il est inhérent à l'objet produit ; la preuve en est que la plupart des exemplaires est irréprochable. Le danger ne réside pas dans la formule du produit qu'on n'aurait pas les moyens techniques d'améliorer, mais dans celle du procédé de fabrication.

Lorenz et Simitis et les auteurs qui les suivent 21 voient dans cette recherche des cas types plusieurs avantages : faire ressortir les grands traits de la problématique ; montrer combien l'origine d'un dommage pour le consommateur peut varier et éviter ainsi les simplifications exces-sives ; faciliter l'application du droit à des faits bien déterminés et qualifiés.

21 Von Caemmerer, Products Liability, 1969, p. 663 ss. ; Kessler, Products Liability, 76 Yale Law

J.

(1967), p. 937-38.

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Aussi claires que puissent être ces classifications, la réalité risque de ne pas s'y laiisser incorporer ; les cas limites pourraient bien être plus fréquents que les cas types.

Il sera souvent difficile de rattacher tel défaut à une cause plutôt qu'à une autre, et plusieurs causes pourront coïncider pour conduire au vice du produit. Un défaut de fabrication au sens étroit se manife8'tera le plus souvent parce que la procédure de contrôle n'aura pas été poussée suffi-samment pour le déceler, ce qui dans l'entreprise renvoie en défénitive à une question d'organisation générale, plutôt qu'à un manquement isolé.

La décision du fabricant de mécaniser un procédé de fabrication pour des raisons de rentabilité peut entraîner une proportion un peu plus grande de défauts de fabrication (Ausreisser). Les avertissements et explications inadéquats peuvent remonter aussi bien à des erreurs de conception, au caractère inconnu du risque qu'à un manquement isolé de celui qui doit veiller au collage des étiquettes.

Mais une deuxième difficulté nous paraît plus considérable :

Les connaissances techniques et scientifiques sont d'une importance capitale aussi bien pour pouvoir juger du comportement du fabricant que pour définir le défaut d'une façon objective.

Or il paraît bi'en difficile de savoir quel est l'état de la science et de la technique à un moment donné : même si certaines découvertes peuvent être datées très facilement et précisément parce qu'elles sont le fait d'un homme ou d'un tout petit groupe, les progrès scientifiques sont aujourd'hui le résultat d'un travail constant et assez systématiquement accompli un peu partout dans le monde par des équipes de chercheurs, et cela aussi bien dans des entreprises privées que dans les instituts univer-sitaires. La science progresse de façon continue grâce à des travaux de recherche ; les résultats sont presque toujours perfectibles : il faut des années pour acquérir des certitudes surtout dans les domaines touchant à la biologie. S'il est commode pour les profanes d'imaginer les décou-vertes comme des bornes le long d'une route, les connaissances sont toutefois loin de progresser par bonds : bien au contraire, derrière des résultats qui frappent l'opinion quand ils deviennent publics, se cache une longue suite d'intuHions, de tâtonnements, d'indices, de raisonne-ments qu'on ne peut découper en « avant» ou en « après» par rapport à une « certitude».

La notion même de certitude scientifique est fluide, et s'apparente à la vraisemblance, si grande qu'elle soit.

Les conditions dans lesquelles s'opère la recherche scientifique ne permettent pas que ses résultats soient toujours connus largement, même

LE DÉFAUT 25 dans les milieux spécialisés, dans des délais rapides ou déterminables avec régularité, et cela pour de nombreuses raisons dont voici les plus évidentes : entre le moment où une connaissance est acquise dans tel point du globe et celui où elle est publiable et démontrable, peut s'écoùler un temps assez long ; il arrive d'ailleurs qu'une découverte soi,t contestée par des représentants d'une autre école ; les résultats des recherches dans l'industrie ne sont diffusées que dans la mesure compatible avec une situation de concurrence, et pour autant que les règles de la propriété industrielle les protège ce qui est loin d'être toujours le cas. Les chances d'accès à une nouvelle scientifique sont très inégales d'une catégorie d'industriels à une autre. Il est évident qu'une grande entreprise aura plus de chances et de moyens de tenir à jour ses informations. Il n'est pas rare qu'on se contente dans les milieux industriels d'un niveau de certitude et de sécurité technique et scientifique que les chercheurs uni-versitaires par exemple mettent en doute dans leurs travaux.

Ces quelques remarques nous amènent à ne pas croire à la réalité d' « un état de la science et de la technique à un moment donné» (der jeweilige Stand der Wissenschaft und Teknik). On ne peut pas exclure que dans un cas particulier, on puisse valablement affirmer que tel fait ne pouvait

pas

être connu.

(On notera toutefois que c'est d'une façon toute négative qu'on pourrait à la rigueur utiliser ce critère notamment quand il ne s'agirait pas d'une propriété naturelle et générique mais jusque là insoupçonnée d'un matériau, mais plutôt d'une situation tout à fait particulière faisant apparaître un risque comme la Cüntamination de sérum sanguin par tel virus indétectable ou les réactions allergiques. Cette observation se limite à des circonstances accidentelles, elle ne vaut pas pour les pro-·

priétés constantes d'un produit, d'une formule technique ou d'un procédé de fabrication.)

Il nous semble que ces classifications ne se justifient que dans la mesure où elles impliquent des notions de droit. Lorenz et Simi,tis, quand ils par.lent de ce qu'on pouvait connaitre raisonnent en termes de faute ; quand ils distinguent défaut de conception et de fabrication, c'est la distinction de l'organe et de l'employé qu'ils ont en vue. Mais cela nous paraît conduire à des schémas trop stricts. On vient d'observer que les défauts de fabrication peuvent remonter au choix par les

organes

d'un système de montage donnant lieu à une proportion relativement élevée d'exemplaires défectueux ; l'employé peut être distrait à cause de l'orga-nisation de la chaîne ;, il est très difficile dans ce domaine de vouloir fixer des limites précises à l'enchaînement des causes pour aboutir à des catégories juridiques connues. C'est pourquoi nous voulons nous

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garder de faire coïncider les catégories établies sur les différentes phases de la production et celles renvoyant à !'imputabilité du défaut (cf. Il ci-dessous). Même si l'on observe une certaine « typicité », la super-position force la réalité. L'organisation industrielle est trop complexe, ses différents éléments trop imbriqués les uns dans les autres pour qu'on puisse s'en tenir à des schémas simples, si féconde qu'ait été la réflexion qui les a fait apparaître.

** *

Pour conclure provisoirement, est défectueux un produit faisant courir à la personne ou aux biens corporels des da,ngers apparaissant excessifs aussi bien dans l'optique de celui qui le fabrique ou le distribue que dans celle de la victime. Le danger qui nous intéresse ici correspond à la propension du produit à causer

directement

et

activement

28 des dom-mages ; le mauvais fonctionnement, la panne, l'absence de valeur ou d'utilité d'un produit ne sont en principe pas visés avec la réserve que la distinction s'efface quand le produit est destiné à prévenir des dom-mages à la personne ou à la propriété qui résulteraient d'une cause autre que son utilisation.

II. - IMPUTABILITÉ DU DÉFAUT.

On a résumé ci-dessus comment les auteurs classent les défauts selon leur origine objective, et le moment de la production auquel ils prennent naissance. Il importe ici de savoir pourquoi ces défauts appa-raissent et à qui ou à quoi les imputer.

Dans la perspective du droit actuel la faute reste encore, au moins en principe, la cause pertinente du dommage. Aussi commençons-nous, sans pour autant nous préoccuper ici du caractère juridique de la question, par parler des manquements humains, avant d'évoquer les mécanismes de la production industrielle moderne et leur rôle.