• Aucun résultat trouvé

V. Le cartilage articulaire : structure, comportements, croissance et réparation

V.4. Les stades de maturation du cartilage natif

V.4.1. Le développement embryonnaire

Initialement associé au développement des os longs, le développement embryonnaire du CA reste imparfaitement compris. Plusieurs hypothèses ont été émises sur l’origine des chondrocytes et l’ensemble du mécanisme de développement n’est pas encore élucidé. Au regard des résultats récents, le scénario suivant peut être envisagé (Chijimatsu and Saito, 2019; Decker, 2017) :

Les cellules des tissus osseux et cartilagineux ont pour origine les CSMs embryonnaires. À l’issue d’une première condensation, les CSMs se différencient en cartilage et constituent un continuum cartilagineux composé de cellules de la lignée chondrocytaire qui expriment les gènes SOX9, COL II, Matn1 et DCX. La protéine SOX9 est le facteur de transcription caractéristique de l’initiation de la chondrogenèse puisqu’il régule de manière positive l’expression des gènes COL II, COL X, COL XI, COMP et AGG lorsqu’il est phosphorylé (Delaine-Smith and Reilly, 2011; Lefebvre and Dvir-Ginzberg, 2017). Par l’action de facteurs de régulation locaux, comme SOX11 et TGFβ, et systémiques comme IHH, PTHrp, ainsi que la présence de fibronectine dans la MEC, une condensation de CSMs allongées et orientées perpendiculairement à l'axe du membre crée l’interzone. Ces cellules sont caractérisées par l’expression du gène GDF5 (Figure 8A-B), dont la durée d’expression impacte la destinée des cellules de la future articulation (Decker et al., 2017; Shwartz et al., 2016), et l’expression de deux autres marqueurs de l'interzone (WNT9a et ERG). Dans un premier temps, l’interzone est une fine couche de cellules, 2 à 3 chez l’homme (Edwards et al., 1994), issues de la dédifférenciation des chondrocytes du continuum cartilagineux – seule l’expression du gène DCX étant maintenue – tandis que les cellules du bord latéral de l’interzone sont issues du mésenchyme environnant (Storm and Kingsley, 1996). L’expression des gènes GDF5, WNT9 et ERG s’étend ensuite aux cellules des surfaces articulaires opposées (Figure 8C-D)(Koyama et al., 2008). Récemment, il a été montré que les cellules de l’interzone, qui prolifèrent très lentement, ne sont pas à l’origine de son épaississement (Ray et al., 2015). En revanche, à l’extrémité des os longs, une prolifération active des chondrocytes a été observée dans une zone appelée « zone profonde de prolifération ». D’autre part, un recouvrement de l’expression des gènes de l’interzone ainsi que d’un gène caractéristique du phénotype chondrocytaire, COL II, a été observé. L’épaississement de l’interzone est alors lié au recrutement de chondrocytes de

36 la zone de prolifération profonde qui donneront naissance au cartilage articulaire. Le continuum cartilagineux est donc à l’origine de chondrocytes permanents dans le CA et transitoires dans l’os.

Figure 8 – Coupe longitudinale de l’extrémité d’un membre antérieur de la souris lors du développement embryonnaire montrant la genèse des articulations via l’expression du gène GDF5. (A - B) La première étape est la localisation des futures articulations interphalangiennes et métacarpo-phalangiennes (flèches), au sein du continuum cartilagineux (têtes de flèche) par la création d’une zone de condensation de cellules qui expriment GDF5, appelée « interzone ». (C - D) L’expression du gène GDF5 s’étends ensuite aux 3 – 4 couches de cellules des surfaces articulaires opposées ainsi que des tissus de la capsule synoviale (ct). La plaque de croissance des os longs correspond à une zone bien distincte de l’articulation (gp) – d’après Koyama et al., 2008.

Le développement des articulations est issu d’une régulation complexe de l’expression génique des cellules (Koyama et al., 2008; Ray et al., 2015). Parallèlement, à la suite de l’expression du gène GDF5, les premiers stimuli mécaniques deviennent essentiels au développement de l’articulation (Shea et al., 2015). En effet, des fœtus de souris dont la genèse des muscles a été limitée ou dont la paralysie a été provoquée, développent des articulations anormales ou fusionnées (Kahn et al., 2009). Les mouvements in utero induits par l’activité de la mère ainsi que les premières contractions des cellules musculaires, qui ont lieu simultanément avec le développement précoce de l’articulation (Carry et al., 1983; Suzue, 1996), sont perçus par les mécanorécepteurs des cellules (voir V.6.3.a). La voie canonique des WNT est une des réponses des cellules puisque l’activité de la β-caténine est supérieure lorsque les contractions musculaires du fœtus peuvent avoir lieu (Kahn et al., 2009). De plus, l’expression de nombreux gènes, en particulier WNT9a, est modulée par la présence ou non de stimuli mécaniques (Rolfe et al., 2014) et maintenue en présence de stimuli (Kahn et al., 2009). Ainsi la différenciation des chondrocytes est contrôlée et permet la sécrétion de la première MEC du cartilage articulaire et des récepteurs cellulaires associés (Rolfe et al., 2014). Cette MEC particulière comprend majoritairement de l’acide hyaluronique (Khan et al., 2007), de la ténascine C (Pacifici et al., 1993) et de la lubricine (Koyama et al., 2008). La ténascine C est précocement exprimée dans le mésenchyme chondrogénique. Elle permet l’arrondissement des cellules par leur détachement de la MEC et

37 notamment de la fibronectine, protéine inhibitrice de la chondrogenèse. La lubricine et l’acide hyaluronique (AH) sont sécrétés plus tardivement, à l’issue du recrutement des chondrocytes du CA.

La dernière étape permettant la genèse de l’articulation est la cavitation. Alors que les chondrocytes sécrètent désormais leur MEC, une accumulation de plus en plus conséquente d’AH a lieu et aucune mort cellulaire par apoptose n’a été observée (Ito and Kida, 2000), comme il l’avait été suggéré initialement (Kimura and Shiota, 1996). Les récepteurs CD44 à l’AH que portent les cellules deviennent saturés et une cavité riche en AH se crée. La sécrétion de lubricine permet alors la lubrification de la cavité articulaire. Cependant, il a été observé que l’articulation finale était réduite par une immobilisation du fœtus et augmentée par une amplification des mouvements du fœtus. Ainsi, les stimuli mécaniques sont indispensables à la bonne régulation de la cavitation. En effet, les stimuli mécaniques favorisent la sécrétion d’AH et favorisent la séparation des deux couches de cartilage (Khan et al., 2007). Enfin, la ténascine C est considérée comme un créateur de barrières antiadhésives entre les éléments du squelette.

Le phénomène de cavitation, accompagné du développement des tissus de l’articulation, se poursuit petit à petit jusqu’à la naissance. Les cellules de l’interzone issues de la dédifférenciation des chondrocytes du continuum cartilagineux ainsi que des cellules qui ont migré aux abords médio-latéraux et antéro-postérieurs de l’interzone et qui expriment les gènes GDF5 et TGFβR2 (récepteur au TGFβ) sont à l’origine du reste des tissus de l’articulation : tissu synovial, ligaments intra-articulaires et ménisques pour le genou. La différenciation des chondrocytes est plus avancée puisque un gradient de l’expression de COL IIB avec la profondeur est observable au cours de la cavitation (Kahn et al., 2009). L’étude de fœtus humains âgés de 20 à 36 semaines a montré par spectroscopie infra-rouge une augmentation de la production du collagène ainsi que de l’organisation du tropocollagène en fibre puis fibrille et une diminution de la quantité de PG au cours de la croissance du CA du talon in utero (Mahmoodian et al., 2011). Cela s’est traduit d’un point de vue mécanique par une augmentation du module d’agrégation (59,9 ± 2,11 kPa et 148 ± 30,3 kPa à 20 et 36 semaines, respectivement) et du module de Young (2,01 ± 0,991 kPa et 46,3 ± 10,3 kPa à 20 et 36 semaines, respectivement) à l’équilibre, observé lors de tests de multi-relaxation en compression d’échantillons de 1,5 mm d’épaisseur (voir V.5). D’autre part, une étude du condyle fémoral du genou de fœtus de bovins d’une vingtaine de semaines a montré la présence de propriétés mécaniques déjà dépendantes de la profondeur du tissu lors de tests de multi-relaxation en compression confinée (Klein et al., 2007). Sur 1 mm d’épaisseur de CA correspondant à la zone superficielle et intermédiaire, la déformation du tissu était 4 fois plus faible en profondeur, correspondant à une rigidité du tissu 4 fois plus élevée. Le module d’agrégation moyen à l’équilibre était de 89 ± 32 kPa. Ce gradient du module d’élasticité avec la profondeur est corrélé à une concentration croissante de collagène et de GAG avec la profondeur, alors que la densité cellulaire diminue.

Finalement, le développement embryonnaire du CA suit un schéma complexe de condensation, dédifférenciations et différenciations multiples du fait de la présence de facteurs de croissance biochimiques et biomécaniques, et de l’interaction entre les cellules et leur MEC qui se développent conjointement (Figure 9).

38 Figure 9 – Le développement du CA se fait en deux étapes ; une différenciation lors du développement embryonnaire puis une croissance du tissu lors du développement post-natal. (A) Lors du développement embryonnaire du cartilage articulaire, une condensation de cellules a lieu au sein du continuum cartilagineux pour former l’interzone. (B) Les cellules issues du mésenchyme environnant formeront l’ensemble des tissus de l’articulation hormis (C) le CA majoritairement créé à partir des cellules issues du continuum cartilagineux. Le CA s’épaissit et s’organise au cours du développement post-natal. (D-E) La prolifération des chondrocytes et l’augmentation de leur volume ainsi que la sécrétion de la MEC est à l’origine de l’épaississement du CA. (E-F) Une réorganisation des cellules a lieu de manière synchronisée avec l’organisation de la matrice extracellulaire du tissu jusqu’à atteindre un tissu mature à la maturité sexuelle – d’après Decker et al., 2017.