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suppression de toutes les parties des objets auxquelles leurs fonctions ne sont pas intéressées Ils se laisseront traverser, en quelque sorte, par

1.3. La pathologie de la mémoire et le mouvement automatique des idées.

1.3.2. Le développement automatique des idées.

Tout d’abord, remarquons que les idées, pour se développer et s’associer avec d’autres idées, ne requièrent pas une synthèse consciente par l’esprit. Car, comme nous l’avons vu avec les cas pathologiques, les sujets observés par Janet se comportent

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intelligemment ou répondent aux questions correctement sans le savoir. Si la notion de conscience chez Janet nous intéresse, c’est justement parce qu’elle implique la subconscience qui se développe d’une manière autonome. Il est inévitable que la force qui fait germer les idées soit inhérente aux idées elles-mêmes. Voilà la thèse de Janet sur l’automatisme.

Un cas typique, la femme appelée Léonie. Elle tombe facilement dans l’état cataleptique où elle montre non seulement une immobilité absolue pendant longtemps, mais aussi une série de postures développées dans un ordre déterminé. « On voit la figure, le corps tout entier s’animer, s’harmoniser avec l’attitude d’un des membres et prendre une expression saisissante de réalité. A-t-on fermé l’un des poings de Léonie, l’autre se ferme également, les bras se lèvent dans la position de l’attaque, le corps se redresse, la figure change ; les lèvres serrées, les poings fermés et les sourcils froncés n’expriment que la colère. Ai-je mis une main étendue près des lèvres, l’autre main s’y place également et semble envoyer des baisers, la figure se modifie tout d’un coup et, au lieu d’exprimer la fureur, les lèvres et les yeux, tout sourit... Je mets les mains de Léonie dans l’attitude de la prière et la figure prend une expression extatique. Je la laisse dans cet état, car j’avais l’intention d’attendre combien de temps l’expression se conserverait. Je la vois qui se lève du siège où elle est assise et qui très lentement fait deux pas en avant. A ce moment, elle plie les genoux, mais toujours avec une lenteur singulière ; elle

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s’agenouille, se penche en avant, la tête inclinée et les yeux levés au ciel dans une merveilleuse posture extatique [elle fait la communion] ... Si on fait entendre une musique gaie devant le sujet, il rit, puis se met à danser ; une musique triste le fait pleurer »74. Ainsi une posture ou une sensation en suggèrent une autre d’une manière

régulière, sans cependant que le sujet en ait la conscience. De plus, ce développement continue indifféremment au monde extérieur. Par exemple, même si le sujet hypnotisé qui est en train de faire le geste de communion heurtait un mur, il n’arrêterait pas, il continuerait à pousser le mur comme s’il n’existait pas de mur à ses yeux. Par la suggestion, on a pu ainsi changer une jeune paysanne en d’autres personnages si bien qu’elle se comporte « correctement » selon ces types : métamorphosée en femme de 80 ans, elle tousse et geint75 : métamorphosée en princesse, elle montre des gestes

compliqués, elle « étale majestueusement sa robe sur un canapé, remue un éventail imaginaire et parle en minaudant de la cour, de ses terres et des marquis insolents »76 ;

si on lui dit qu’il y a un mouton devant lui, elle commence à sentir un mouton de manière plus en plus détaillée, la toison, etc., et finit par dire que « c’est un vrai

74 Janet, P., 1889. L’automatisme psychologique, Ibidem, Harmattan, pp. 19-20. 75 Janet, P., 1889. L’automatisme psychologique, Ibidem, Harmattan, p. 203. 76 Janet, P., 1889. L’automatisme psychologique, Ibidem, Harmattan, p. 162.

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mouton »77. Comme si les idées de princesse ou de mouton se développaient toutes

seules, indifférentes à la perception des objets extérieurs, au vêtement que le sujet porte en vérité, et enfin à la mémoire qui devrait rappeler normalement la différence vraie entre paysanne et princesse.

Nous pouvons considérer les cas mentionnés de Léonie comme exemples de rétrécissement du champ de la conscience : à cause du rétrécissement, les idées concernant la perception actuelle ou la mémoire ne s’intègrent pas dans la conscience, de sorte que seules les idées suggérées (la communion, le mouton ou la princesse) occupent exclusivement la conscience. Ce qui nous intéresse ici est la relation entre le rétrécissement et l’association des idées. Des observations de Léonie et d’autres cas pareils, Janet conclut que plus la conscience se rétrécit, plus les idées qui constituent un groupe particulier ont une tendance à se développer et à se réaliser automatiquement, indifféremment aux autres idées.

Dans l’esprit du sujet, dit l’auteur, s’est formée autrefois une certaine idée d’une princesse ou d’un archevêque ; évoquée par un mot, puis livrée à elle-même, cette idée subsiste et nous montre, sous forme d’actes et d’hallucinations, les éléments

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qu’elle renferme, car, dans cet esprit restreint, aucune autre perception ne se forme en ce moment pour faire obstacle à l’idée suggérée.78

Si, par cela seul que l’on nous dise que nous sommes princesses ou qu’il y a un mouton devant nous, nous n’y croyons pas, c’est parce que les perceptions actuelles ou la mémoire y résistent et empêchent leur développement. Au contraire, chez un sujet dont le champ de la conscience se rétrécisse, la perception et la mémoire incompatibles avec les idées suggérées restent inaccessibles à la conscience, et par conséquent aucune idée ne bloque ni ne corrige une série des idées qui ont été liées autrefois avec ces idées suggérées et conservées dans la subconscience. Ainsi se développe et se manifeste automatiquement cette série, qui n’est qu’une hallucination au point de vue des autres personnes à l’état normal.

La mémoire possède la force de se développer spontanément et de produire une efficacité. Il importe ici de comprendre que les images hallucinatoires ou le comportement qui semble un jeu théâtral ne sont pas autre chose qu’une véritable réalité pour les sujets observés eux-mêmes. Ceux-ci ne croient pas nécessairement toutes les idées suggérées comme réelles : il faut, non seulement suggérer l’idée de

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princesse ou de mouton, mais aussi attendre les autres idées qui l’accompagne se développer : il est efficace d’évoquer en même temps des idées qui complètent la première idée suggérée, ainsi qu’une queue, un pelage blanc, ou robe jolie, une couronne, etc. Les détails ainsi complétés, l’idée naturellement abstraite augmente sa force à se réaliser et à provoquer réellement une image ou un mouvement. « La complexité de l’image a donné naissance à son objectivité »79. Le développement des

idées que nous avons traitées n’est pas donc une simple rêverie. L’idée, qui, en tant que telle, est neutre par rapport à la réalité, a cependant une tendance spontanée vers la réalité et finit par intervenir dans une image ou un mouvement réel sans aucune opération extérieure à l’idée elle-même.

Si nous pensons d’ordinaire à une image ou à un geste sans les réaliser, c’est parce que nous pouvons intégrer dans le champ de la conscience les idées de princesse ou de mouton sous une double condition : maintenir ces idées en même temps que la

perception actuelle (je ne porte pas une robe magnifique, je ne vois que des livres sur le

bureau, etc.) et les autres idées mémorisées (je suis né dans une famille banale, je me souviens de la figure du mouton, etc.) ; et les maintenir comme incompatibles à

celles-ci. La perception actuelle et les autres idées mémorisées également maintenues

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empêchent ainsi le développement et la réalisation des idées suggérées contraires à elles. L’on pourrait dire que la force des idées suggérées tient à ce que la perception actuelle et celle des souvenirs se règlent l’une avec l’autre pour déterminer ce qui est réel. Le problème de savoir comment la mémoire acquiert une efficacité doit se poser en fonction de règlement de ces forces inhérentes aux idées.