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sein des Communautés d’Emmaüs ?

La partie suivante décrit la construction des identités, l’évolution des formes d’engagement, la domination de certaines logiques qui déterminent les formes d’intégration et de relations au sein d’Emmaüs. Il existe différents acteurs – parties prenantes des relations au sein d’Emmaüs. Avec la Communauté d’Emmaüs, la division entre bénévole et salarié est dépassée. Il n’existe plus deux acteurs mais trois ; et les relations qui les unissent rendent l’opposition entre relations mécaniques et organiques parfois floue. Cette monographie sur Emmaüs traite des spécificités d’une structure – la Communauté –, au cœur d’un secteur déjà spécifique –l’ESS. Cette approche souligne notre volonté incessante de prouver le niveau d’innovation, de flexibilité et d’hybridation des structures de l’ESS. Après avoir traité de la construction historique, conjoncturelle et structurelle, des relations solidaires et sociales, ce chapitre décrit comment Emmaüs a construit son modèle de relations. Nous décrivons le mode d’intégration au sein de ce collectif associatif et communautaire d’Emmaüs.

1. L’analyse des Communautés d’Emmaüs montre comment

ont évolué les relations de solidarité.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que certains principes mécaniques et organiques façonnent les relations au sein des structures de l’ESS. Cependant, au sein de ces structures, le mouvement Emmaüs présente certaines spécificités. Ces spécificités dépassent les seules typologies déjà évoquées. En l’occurrence, les paragraphes suivants montrent combien la structure communautaire atténue les frontières entre relations organiques et relations mécaniques.

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L’un des avantages des Communautés d’Emmaüs est d’avoir développé des pratiques et des règles hybrides et flexibles. Sous couvert d’une idéologie solidaire, les communautés d’Emmaüs ont donc développé des pratiques et des règles particulières. Si celles-ci ne peuvent être qualifiées d’abusives ou d’illégales, le modèle communautaire permet d’adopter des stratégies informelles. Ces stratégies se basent sur des stratégies solidaires, utopiques ou encore gestionnaires. L’idée principale défendue dans les paragraphes suivants est que l’idéologie communautaire a permis à Emmaüs de développer son propre modèle de relation. Nous verrons que ce modèle est parfois à la limite de la solidarité ou à la limite de l’idéal démocratique.

1.1. La philosophie et la pensée économique à l’origine des

Communautés d’Emmaüs

Nous analysons ici la pensée économique qui façonne les logiques d’intervention et le modèle des Communautés d’Emmaüs. La Communauté d’Emmaüs est une organisation de l’économie sociale et solidaire. Elle s’inscrit au cœur d’une histoire de la pensée économique, et le modèle communautaire tire son inspiration de traditions, de courants de pensée, d’utopies et d’idéologies solidaires, sociales et économiques. Nous ferons un rapprochement entre la philosophie d’Emmaüs et des doctrines. Selon nous, ces éléments ont permis de développer le modèle de structures, les types de relations solidaires, les formes d’engagement, les choix adoptés par le Mouvement Emmaüs. A l’épreuve des rationalités économiques, la philosophie et la pensée économique d’Emmaüs se construisent selon les références qui suivent.

1.1.1. La charité chrétienne et le christianisme sociale sont à la base

de la raison économique du Mouvement Emmaüs

Emmaüs constitue au départ un mouvement très religieux, même s’il prétend être aconfessionnel et non plus prosélyte. Son approche de la pauvreté reste très imprégnée de charité chrétienne.

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« L’Abbé Pierre (…) se veut profondément inséré dans l’Eglise. S’il veut réformer, c’est de l’intérieur ; s’il veut bousculer, c’est pour revenir aux conceptions originelles. Une sorte de Luther moderne en somme, mais focalisé sur les pauvres. (…) D’origine bourgeoise, il renonce à ses biens et son héritage pour se faire moine. Il aspire à la pauvreté et au dépouillement, et ne cesse de rappeler sa découverte du lien entre Dieu et la Pauvreté …nécessaire au plus profond de nous pour Le rencontrer.(…) Dans sa concrétisation sociale des ses convictions religieuses, l’abbé Pierre témoigne comme l’Abbé Rodhain1, d’un optimisme anthropologique. Il considère qu’en pratique, l’ordre théologal doit être inversé et que la charité mène à la foi bien plus que l’inverse.L’Abbé Pierre suit le mouvement des catholiques sociaux qui renoncent à la charité pour épouser la sécularisation, rechercher la justice sociale et passer avec succès le test de la modernité politique ». (A. Brodiez-Dolino, 2008, p24)

L’Abbé Pierre s’inscrit donc dans la même mouvance, que Frédéric Ozanam ou Leplay, avant lui. Parmi les penseurs du christianisme sociale, Frédéric Ozanam fondateur de la Société de Saint- Vincent de Paul (1833) défend le principe des associations libres qu’il définit vaguement : entre patrons et ouvriers, et entre ouvriers seuls. Il prône « la charité de l’assistance ». Selon Ozanam, la charité chrétienne fonctionne sur un mode relationnel d’aide individuel et descendant, entre le nanti et le pauvre. L’idéal de l’économie sociale est naturellement fait de solidarité mais il se fonde sur des structures collectives et horizontales alors que le christianisme social induit de la verticalité. Pour Frédéric Le Play (1806-1882), la démarche de Le Play est ambivalente et construite autour d’un concept central : la constitution essentielle. Elle est liée à la satisfaction de deux besoins essentiels, à savoir la connaissance de la loi morale et la possession du pain quotidien. Deux principes régulateurs – d’un côté, la religion et l’observation des commandements, et d’un autre, la souveraineté et l’autorité paternelle – garantissent la paix de dieu et la paix du souverain ; et ce, grâce à trois moyens ou matériaux, c’est la communauté, la propriété et le patronage. Celui-ci vise

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à une socialisation des travailleurs dans le cadre de l’entreprise1. L’une des grandes originalités

d’Emmaüs est de briser le duo aidant-aidé en ajoutant un autre aidant : le pauvre lui-même. Le « compagnon » socialement et économiquement exclu retrouve par la solidarité envers son prochain : l’espoir et une raison d’être. « C’est dans ce que cette attitude contraire à la

bienfaisance que se trouve contenue toute la vocation d’Emmaüs, qui est de sauver des souffrances en les faisant sauveurs des plus souffrants » (Brodiez-Dolino, 2008, p.24) L’Abbé Pierre, inspiré des principes charitables du christianisme social, a l’originalité de transférer la relation d’assistance nanti – pauvre, à celle de pauvre- encore plus pauvre. Cette logique prend forme dans le manifeste universel du Mouvement « Servir le plus souffrant ».

1.1.2. L’influence du socialisme associationniste dans l’organisation

et la structuration des liens sociaux à Emmaüs

Selon Bartoli, le travail appelle l’usage commun des biens. La propriété qu’il permet d’acquérir n’est légitime que dans la mesure où le travail est pour les individus le mode d’être ensemble, la manière de construire ensemble un ordre porteur de valeurs communautaires (Bartoli, 1977, 1991, 1999). Or, la logique des Communauté Emmaüs prône le travail comme un élément essentiel de l’intégration des compagnons au groupe, et un vecteur de leur réinsertion.

Selon la tradition oweniste2, les Communautés d’Emmaüs se construisent non pas comme des

« villages d’unité et de coopération mutuelle », des communautés de 2 000personnes environ, comme l’expérience d'Owen et son modèle communautaire3, mais elles prônent un autre mode

d’échange basé sur le travail.

A la différence des idées saint-simoniennes, qui maintiennent le « bonheur social » en maintenant le bonheur des nantis et améliorant le sort des pauvres, l’idéal organique communautaire ne

1 , F. Ewald évoque alors le concept de « ville politique » : « forme politique comparable et concurrente de

ces autres manières d’organiser, de représenter, de conduire les ouvriers qu’avaient été les corporations et que seront bientôt les syndicats » (F. Ewald, 1986, p. 122)

2 Robert Owen, né le 14 mai 1771 à Newtown et mort le 17 novembre 1858 dans la même ville, était un

socialiste réformateur gallois. Il est considéré comme le « père fondateur » du mouvement coopératif.

3 Avec New Harmony, et par le terme de coopération, il entend le communisme dans la tradition de Platon et

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délaisse pas le gouvernement des hommes pour l’administration des choses1. Le mode de

gouvernance communautaire est basé sur le consensus rationnel mais aussi sur une certaine acceptation des différences entre unités fonctionnelles. En l’occurrence, nous pensons que beaucoup de Compagnons ont assimilé leur position de travailleur-bénéficiaire, et sont devenus dépendants du système. Cette hypothèse avancée au cours de la thèse, est défendue dans la dernière partie.

L’organisation même du lien communautaire dépend des « capacités », et le groupement de personnes à un niveau local, sectoriel voir fonctionnel permet d’une part l’administration de la communauté, la socialisation des citoyens (des compagnons), mais aussi la naissance d’une « mystique de l’intérêt commun2, une fraternité au travail » chez les Compagnons.

Enfin, ce différentiel des capacités trouve une certaine référence dans l’œuvre de Buchez. Après la Révolution de 1830, Buchez (1796-1865) propose un courant de pensée3 qui cherche la solution

dans l’association ouvrière. Les intérêts individuels sont subordonnés au « but commun ». Comme chez Saint-Simon, l’association ouvrière est un système de relations, basé sur une « hiérarchie des capacités ». Il part donc d’une idée de relations professionnelles différenciées en fonction de la compétence. La Communauté se veut l’exemple même d’un microcosme idéal, à l’image du

phalanstère, « le manoir de la phalange » de Fourier ; et donc une œuvre pure d’imagination.

1 Saint-Simon amène l’idée qu’une Nation peut se gérer comme une entreprise et que l’Etat doit prendre en charge, sinon

l’organisation de l’économie, au moins sa coordination.

2 Il faut noter que Saint-Simon ne promeut pas le collectivisme, car il admet que le droit de propriété permet l’efficacité

de la société.

3 Dans son Histoire parlementaire de la Révolution Française (1834-1838), Buchez réinterprète les principes

révolutionnaires, en affirmant que ceux-ci découleraient des principes évangéliques. La République serait la résurgence de la civilisation chrétienne. Le théoricien diffuse ses idées via l’Atelier, un journal tiré à 2 000exemplaires. Ce journal qui bénéficie d’une certaine influence dans Paris, défend un idéal de la démocratie. Pour trouver une solution à la question sociale, les buchéziens proposent une éthique chrétienne de l’effort, destinée à aider les ouvriers à conquérir une dignité. Cette vision ouvre des perspectives à notre analyse puisque que l’idéologie chrétienne pourrait rappeler l’éthique d’EMMAÜS.

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Encadré 3 Le phalanstère : organisation et relations entre unités

L’Harmonie doit naître de l’agencement harmonieux des phalanges. La phalange regroupe environ 1 500personnes. Ce nombre permettrait une vie économique optimale et le jeu normal des passions. Fourrier a longtemps réfléchi sur le lieu d’installation du phalanstère et sur le plan d’occupation. Il oppose (1) l’ensemble résidentiel et (2) l’ensemble productif.

L’ensemble résidentiel comprend de nombreuses dépendances : logements collectifs destinés aux vieillards et enfants, appartements pour les personnes actives, salles à manger et caravansérail destiné aux étrangers de passages, théâtre église…la réflexion de Fourrier a pu inspirer des architectes. Il invente la « rue-galerie », chauffée et vitrée, permettant de s’attarder et d’échanger (et qui annoncent les passages couverts que l’on connaît dans certaines villes). Il propose une véritable communauté de vie totalement intégrée.

Mais le phalanstère n’est nullement une institution communiste. Fourrier ne conteste pas le principe de la propriété même s’il regrette son pouvoir de « tyrannie ». Il rejette les doctrines égalitaires, contraires, selon lui à la nature humaine. En revanche, il prend en compte l’intérêt personnel et rejette la notion de sacrifice. Le phalanstère pourrait se rapprocher d’une société par action. La répartition des bénéfices prend naturellement en compte le travail (33 à 50% des bénéfices selon les versions) mais également le capital (25 à 33%) et le Talent (17 à 42%). La répartition des fruits du travail se fait en deux paliers. Un premier partage intervient entre les séries, proportionnellement à leur utilité et inversement proportionnellement à leur agrément. Une deuxième répartition se fait dans chaque série au prorata du travail. Le bénéfice du capital est fonction du nombre d’actions détenues mais il est d’autant plus élevé que l’origine du capital est proche du travail. Apparaît ainsi une forme de désintéressement des travailleurs.

Enfin la mesure du talent repose sur l’affectation de points « à la valeur humaine », attribués par un vote des travailleurs. L’originalité est non pas de nier les différences de revenus mais de les affiner pour éviter des discriminations trop fortes en système capitaliste. En tout état de cause, le phalanstère garantit le droit au travail ou les cas échéant, le droit à un minimum vital. Le système fouriériste combine finalement les grands principes de rémunération du travail : « chacun selon son travail » ; « chacun selon ses capacités » ; « A chacun selon ses besoins ».

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Les références historiques prouvent combien le modèle communautaire prend sa source dans des logiques parfois utopiques. D’ailleurs, connaissant les répercussions historiques des théories phalangistes1, on admet qu’il s’agit d’une organisation très hiérarchisée, et dont le fonctionnement

dépend de l’acceptation (ou la coercition) des règles et des relations de travail. Ce « consensus » rationnellement déterminé, s’il est trop idéologique peut rapidement devenir autoritaire.

1.1.3. L’interprétation du mutuellisme de Proudhon dans la pensée

économique d’Emmaüs

Dès 1839, Proudhon prend cause pour la question sociale et notamment « qu’est ce que la propriété ? » à travers son 1er Mémoire, et son 3ème Mémoire, l’« Avertissement aux propriétaires »

(Proudhon, 1842). Il publie à Lyon en 1843, « De la création de l’ordre dans l’humanité ». Il y expose une vision d’une société libérale et égalitaire. Son deuxième grand livre est publié en 1846, le « Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère ». Il encourage la nouvelle organisation des producteurs L’association selon Proudhon serait un moyen d’inversion sociale en substituant la suprématie du travail à celle du capital2. Ici, les membres associés se

garantissent réciproquement service pour service, crédit pour crédit selon la « formule de justice » : « Fais à autrui ce que tu veux que l’on te fasse. ». Or, la pensée économique d’Emmaüs pose la théorie suivante :

« Devant toute humaine souffrance, selon que tu le peux emploie-toi non seulement à la soulager sans retard, mais encore à détruire ses causes. Emploie-toi à détruire ses causes, mais à soulager sans retard. » (Abbé Pierre, Emmaüs, 2010)

1 Les théories phalangistes ont inspiré des régimes autoritaires, notamment le Fascisme en Italie et le régime franquiste en

Espagne.

2 « …la théorie de la mutualité ou du mutuum, c'est-à-dire de l’échange en nature, dont la forme la plus simple est le prêt

à la consommation, est au point de vue de l’être collectif la synthèse des deux idées de propriété et de communauté…le résultat d’une méditations de six mille ans sur cette proposition fondamentale A égale A. »

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Entre Proudhon et l’Abbé Pierre, ce sont deux principes de la réciprocité dans l’échange1 qui se

complètent. D’ailleurs, dans ses Contradictions économiques, Proudhon souligne la différence qui peut exister entre être associés et être co-intéressés, alors qu’au sein du dispositif solidaire communautaire, se retrouvent « associés » salariés, bénévoles, et compagnons, mais également donateurs et autres bénéficiaires (notamment dans les projets solidaires internationaux). Or, pour Proudhon, la coopération de production comportait une forte connotation émancipatrice, émancipation qui échappe parfois à la rationalité économique d’Emmaüs. En effet, nous aborderons les échecs en matière d’émancipation, de réinsertion des Compagnons. Cela s’explique certainement par une mauvaise gestion de l’association ou une mauvaise approche du principe de « co-intéressement » dans la Communauté.

1.1.4. La lutte des classes dans la pensée économique d’Emmaüs

La pensée de Karl Marx est résolument matérialiste : « l'histoire de toute société jusqu'à nos jours

est l'histoire de luttes de classes » écrit-il ainsi dans le Manifeste du parti communiste (Marx, 1848). Selon cette conception, c’est l’ « être social » qui explique la conscience sociale : dans la production sociale de leur existence, les hommes s’inscrivent dans des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles (Marx, 1859). Toutefois, selon Marx, la conscience sociale a également fait surgir une nouvelle classe sociale, le prolétariat moderne, c'est-à-dire la classe de tous ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre, et dont les intérêts entrent directement en conflit avec ceux de la bourgeoisie. De la même façon, l’identité et la catégorie socioprofessionnelle des compagnons relèvent d’une forme de prolétariat ou de travailleurs précaires. Ceux-ci se sont construits sur l’acceptation que la force de travail n’était pas à vendre mais plutôt à échanger contre « le retour à la dignité », la solidarité et l’insertion et

1 A l’exemple de cette association de tailleur de Paris créée en 1849, la Réciprocité, qui à la place d’actions émet des bons

de consommation échangeables en produits. Elle vise à supprimer intermédiaires et bénéfices, le fondateur dénonçant tout système fondé sur la seule production ou sur la seule consommation.

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l’accompagnement. Or, en étudiant les rapports qui peuvent exister au sein des communautés, il apparait parfois que les intérêts des compagnons entrent en conflit avec ceux, non pas de la bourgeoisie, mais du bénévolat et du salariat.

1.1.5. Les postures « Exit, Voice et Loyalty » de Hirschman dans la

philosophie d’Emmaüs

C’est en 1970, que Hirschman publie l’ouvrage pertinent à notre analyse : « Exit, Voice, and

Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations, and States » (Hirschman, 1970). Il analyse alors le comportement et les choix rationnels des individus. L’approche de Hirschman repense les conditions d'émergence ou de non-émergence de l'action collective. Il utilise ces trois concepts. Ces derniers procèdent de trois choix pour exprimer leur mécontentement face à la baisse de qualité d’un bien ou service :

– Exit : la réaction silencieuse. Un consommateur insatisfait peut changer tout simplement de marque de produit;

– Loyalty : la loyauté vis-à-vis de la marque

– Voice : la protestation, prise de parole (voice): la manifestation contre les mauvaises performances de l'entreprise concernée.

Les choix d’Exit et de Voice de Hirschman représentent une union entre la forme d’action économique et la forme d’action politique. En effet, la stratégie est entre : la position d’Exit où les Communautés d’Emmaüs s’en remettraient à l’économie de marché pour développer leur communauté; et la posture Voice, où les Communautés adopteraient au contraire une logique plus politique et en même temps revendicative. Le choix qu’elles opèrent est entre les deux. C’est grâce à sa posture politique et à son combat contre la pauvreté et l’exclusion qu’Emmaüs peut se positionner sur le marché. En réalité, en se positionnant sur le marché de l’exclusion et du logement, la stratégie est fortement politique, mais en se positionnant sur le marché de la récupération, les stratégies se trouvent alors intégrées aux logiques de marché. Il est alors possible de mesurer le déclin ou la croissance des Communautés, grâce aux choix rationnels et idéologiques.

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Dans le cas d’Emmaüs, ces deux postures interagissent de façon inattendue. Si l’on empêche aux communautés d’adopter la posture politique et revendicatrice, Voice, cela augmente la pression sur les membres, notamment sur les Compagnons. La lutte contre l’exclusion est un des moyens pour les Compagnons de se faire entendre, sinon la Communauté devient une entreprise de récupération ordinaire. C’est l’emploi de personnes exclues qui fait le succès et l’identité des Communautés. En adoptant une posture de défection, les compagnons n’ont plus aucun moyen de revendication. Ce principe de base est l’un des fondements essentiels de l’analyse des comportements collectifs dans les Communautés. Enfin, le dernier choix non abordé est celui de la loyauté. Cette dernière posture est visible, notamment dans le comportement des bénévoles et des compagnons ; et dans leur attachement à l’idéologie d’Emmaüs et à la figure du fondateur.

Dans les paragraphes suivants, nous verrons comment la loyauté est remise en cause ou comment