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Informer - vraiment - les citoyens

Parmi les effets les plus discutés de la transformation numérique du champ de la santé, se trouve le rééquilibre des connaissances - et donc des pouvoirs - entre les acteurs de la santé, et notamment entre les producteurs (professionnels de santé, administrations, acteurs économiques) et les bénéficiaires des soins et des services de santé. Le développement de la santé connectée est à ce titre régulièrement présenté comme un levier efficace de la compréhension et l’engagement des individus sur leur état de santé, à leur bénéfice. La question de la responsabilisation des individus est ainsi particulièrement prégnante dans les discours invoquant le potentiel du numérique pour améliorer les stratégies de prévention et de promotion en santé en y impliquant davantage les publics ciblés.

Mais elle est aussi au cœur des réflexions sur une nouvelle gouvernance du système de santé, dont les modalités incluraient une responsabilité et des coûts imputables individuellement, et qui serait justifiée par la recherche d’efficience et de soutenabilité.

Face au déficit croissant de l’Assurance maladie et aux préoccupations légitimes quant à son avenir, la tentation peut être :

● celle de la responsabilisation conditionnant l’accès au système de santé à l’adoption d’un comportement conforme aux prescriptions de l’autorité publique. Cela se traduirait en pratique par le renforcement des contrôles individuels portés par l’autorité publique, voire par l’instauration de mesures en cas de non respect des comportements et traitement prescrits en s’appuyant sur les outils de surveillance à distance et sur l’analyse des données de chacun (cf. encadré sur la téléobservance dans le traitement de l’apnée du sommeil).

● celle d’une responsabilisation reposant sur le principe de la libre consommation par les individus de soins choisis parmi une offre de services et de produits disponibles - éventuellement en se substituant à la référence médicale - tout en en assumant pleinement les conséquences sanitaires et financières.

L’arrêté du arrêté du 22 octobre 2013 relatif à la

téléobservance dans le traitement de l’apnée du sommeil

Cet arrêté instaurait le conditionnement du remboursement du traitement contre l’apnée du sommeil à son observance (pour être remboursé, le patient devait, par période de 28 jours, porter un masque plus de 84 heures cumulées et au moins 20 nuits pendant plus de 3 heures, les données d’utilisation du masque étant transmises à l’Assurance maladie). Cet arrêté a été suspendu par décision du Conseil d’Etat du 4 février 2014, saisi par les associations de patients, au motif que “ce mécanisme de sanction n'est pas de la compétence du ministre chargé de la Santé et du Budget (les signataires du décret).”

Sources : www.legifrance.gouv.fr, http://www.dossierfamilial.com/

Ces formes de responsabilisation ont en commun d’être imposées et ne vont pas sans le risque d’une normalisation externe des comportements et des modes de vie et/ou celui d’une marchandisation de la santé. En cela elles semblent incompatibles avec la prise en compte des aptitudes et des situations culturelles, sociales, économiques de chacun et rompent avec les principes de solidarité et d’universalité d’accès aux soins.

C’est pourquoi tout en considérant qu’il est essentiel de sortir de l’illusion de la gratuité des soins, le CNNum considère qu’il faut privilégier l’adoption de démarches de responsabilisation pour sensibiliser, mobiliser, et rendre réellement autonome, plutôt que de s’engager soit dans des procédures de surveillance accrue exercée par l’autorité publique, soit dans le désengagement excessif de cette dernière. La responsabilisation ne doit en effet pas se traduire dans l’autonomisation subie, et il ne s’agit pas tant de sanctionner les comportements non conformes - au protocole médical, aux objectifs de la gouvernance du système de santé - que de faire prendre conscience à chacun qu’il est aussi bien tributaire que dépositaire de notre système de santé.

Cela présuppose que chacun ait la pleine compréhension des enjeux à l’oeuvre à titre individuel et collectif, afin de pouvoir agir dans l’intérêt général :

● en tant que patient agissant pour le bénéfice de sa santé ;

● en tant qu’usager/administré d’un système institutionnel collectif dont l’efficience dépend aussi du comportement de chacun ;

● en tant que citoyen participant à la démocratie sanitaire, aux nouvelles formes de solidarité, et plus largement aux choix collectifs qui doivent façonner l’évolution du champ de la santé dans la société.

A. Assurer une information de confiance en santé

L’information prolifère dans l’espace numérique, et il est désormais banal d’utiliser Internet pour obtenir des conseils en santé. A l’image de Doctissimo, des centaines de sites distillent informations et conseils en matière de santé sur Internet. Depuis les années 1990, leur nombre n’a cessé d’augmenter.

Associations de patients, agences sanitaires, professionnels, établissements de soins, assureurs, mais aussi groupes de presse ou éditeurs privés de contenus se sont lancés sur le créneau de l’information en santé en ligne. Les réseaux sociaux généralistes offrent par ailleurs de nombreuses informations relatives à la santé : selon le baromètre “Web et Santé”39, Facebook représente à lui seul 51% des conversations sur le thème de la santé. Parallèlement, les réseaux sociaux dédiés à la santé se multiplient, à la fois entre patients - à l’image de patientlikeme.com, un site regroupant des communautés de patients atteints de différentes maladies chroniques - et entre professionnels de santé (Talent Pharmacie, DocteurSearch, MeltingDoc) afin de faciliter le partage d’expériences et l’accompagnement au quotidien, en complément de l’activité médicale. Des communautés d’internautes s’organisent ainsi autour de ces nouveaux canaux, rendant possible une diffusion horizontale de l’information, le plus souvent entre pairs. Parallèlement, la défiance des internautes à l’égard de l’information de santé en ligne semble s’estomper, les Français considérant majoritairement qu’il s’agit d’une source d’information comme les autres. Cette influence grandissante du Web pour gérer les problèmes de santé souvent hors d’un cadre médical, rend en réalité d’autant plus cruciale la question de la fiabilité des sources et des informations en ligne ; le Web restant un espace où l’information scientifique côtoie des informations fantaisistes voire parfois dangereuses.

Au-delà de l’accessibilité de l’information en santé, formidablement accrue par les outils numériques, c’est la production de cette information qui tend elle-même à se démocratiser. En France, cette catégorie d’information, de source traditionnellement scientifique ou publique, tend à devenir grand public. Les communautés en ligne se professionnalisent et structurent leurs échanges, les documentent, les enrichissent ; les patients éditent eux-mêmes leur propre information et fabriquent de nouvelles connaissances. En complément d’un savoir “autorisé”, cette forme de science citoyenne va de pair avec l’émergence d’une médecine participative dont la valeur est, certes, empirique mais admise par les communautés de patients-internautes car éprouvée par un grand nombre d’expériences. Ces nouvelles formes de participation des patients posent la question de la transformation d’un savoir expérientiel à un savoir d’expert.

40 L’Université des patients est un dispositif pédagogique qui consiste à intégrer dans les parcours universitaires diplômants en éducation thérapeutique des patients-experts issus du monde associatif.

tant que sachant, et répondre au besoin de confiance d’autres patients et traversée par une problématique centrale : celle de la confiance, face à la désinformation ou au détournement d’information par des communautés d’intérêts. Les informations de santé présentes sur les différents sites et portails peuvent être fantaisistes, trompeuses, voire illicites au regard du droit français en tant qu’ils entrent dans le champ de l’exercice illégal de la médecine41. Promesses et recettes miracles de guérison, de bien-être et de développement personnel... certaines communautés d’information en santé peuvent abriter des pratiques à risque de dérives sectaires qui profitent de la fragilité de certains patients. A l’instar des anti-IVG, certains mouvement déploient par ailleurs des stratégies de sur-référencement sur les moteurs de recherche pour mettre en oeuvre une désinformation à grande échelle, aux conséquences parfois très graves.

Les pouvoirs publics et l’Ordre des Médecins se sont rapidement émus de l’absence de régulation de cette information pléthorique en santé.

Des normes déontologiques encadrent les sites d’informations médicales, notamment afin de garantir la qualité de l’information offerte au public42.