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La démocratie technique pour répondre aux objectifs de la co-gestion adaptativeadaptative

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Section 2 La démocratie technique pour répondre aux objectifs de la co-gestion adaptativeadaptative

a- Coûts de transaction et co-gestion adaptative de la biodiversité

Il existe deux raisons majeures pour lesquelles les politiques de conservation de la biodiversité ont jusqu’à présent échoué.

La première est l’importance des coûts de transaction qu’il est nécessaire de surmonter pour gérer une telle ressource commune. Ainsi, les mesures techniques, réglementaires et économiques se sont toutes révélées relativement inefficaces à protéger la biodiversité du fait des coûts de négociation et de contrôle qu’elles impliquent, mais aussi des capacités d’adaptation des usagers (Weber et Reveret, 1993 ; Arrow et al., 2000 ; Gunderson et Holling, 2002 ; Kinzig et al., 2003). Ces coûts de transaction sont d’autant plus importants que ces innovations institutionnelles et techniques ont été réalisées à partir de mesures politiques et économiques centralisées.

Ainsi, dans le domaine de la gestion des ressources naturelles renouvelables, la réduction des coûts de transaction est uniquement envisagée à partir d’une approche de type principal-agent telle que nous l’avons décrite précédemment. Les mesures réglementaires et économiques qui visent à appuyer les bons usages de la biodiversité et à sanctionner les mauvais ne représentent finalement que des contrats bilatéraux entre l’Etat et des particuliers.

L’incomplétude des contrats est utilisée par les acteurs qui maîtrisent le plus d’asymétries d’information, à savoir les « agents » qui sont sur le terrain, aux dépens du « principal » qui est ici l’Etat. C’est pourquoi les mesures politiques sont souvent détournées de leur objectif initial.

Un des problèmes de la gestion centralisée de la biodiversité est que l’Etat, en tant qu’agent contractuel, ne peut bénéficier de la complétude offerte par le contexte50, que s’il représente un interlocuteur légitime – c’est-à-dire envers lequel il existe une relation de confiance – aux yeux des usagers locaux. Or, cela est rarement le cas, car cette relation de confiance est fondée sur l’intensité des relations qu’entretiennent des individus entre eux comme nous l’avons déjà expliqué.

La deuxième raison majeure pour laquelle les politiques de conservation ont échoué est une mauvaise prise en compte de l’incertitude et de la complexité par les scientifiques et les décideurs. Les scientifiques préfèrent souvent se réfugier derrière des axiomes qui déforment davantage qu’ils ne réduisent la réalité (Kinzig et al., 2003) et les politiques veulent pouvoir avoir un discours clair, ce qui est impossible lorsqu’il doit être fondé sur des informations complexes. Les scientifiques et les politiques s’incitent donc mutuellement à garder une approche qui ne prend pas en compte la complexité. Les experts se chargent de faire le lien entre les deux.

La posture visant à ne pas prendre en compte l’incertitude est justifiée, d’un point de vue scientifique, par le fait que la grande complexité des dynamiques n’est pas intelligible et qu’il ne sert donc à rien de vouloir adopter une perspective systémique. Mieux vaut continuer à développer des savoirs partiels mais « vrais » que de chercher à intégrer de nombreux paramètres dynamiques qui ne seront de toute façon pas explicitables.

C’est pourquoi la science est encore aujourd’hui de nature réductionniste, analytique, mécaniste et rationaliste alors que ses objets d’étude sont polymorphes, systémiques, complexes et controversés (Passet, 1979 ; Morin, 1996 ; Benkirane, 2002) :

- Le réductionnisme, visant à établir des frontières strictes entre disciplines, est issu

d’une tradition philosophique censée apporter objectivité et neutralité à la science vis-à-vis du reste de la société. Avoir une démarche scientifique implique donc d’avoir une démarche disciplinaire.

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- Laméthode analytique consiste à séparer et à isoler les éléments du tout afin de mieux

pouvoir les étudier. Le postulat sous-jacent est que la somme des éléments forme le tout, que l’agrégation des dynamiques micro permet de comprendre la dynamique macro.

- Ladimension mécaniste de la science tient à une vision du monde issue de la physique

newtonienne qui implique une compréhension parfaite des dynamiques à partir d’un nombre de lois limitées et connues. Dans cette perspective, le monde fonctionne comme une horloge et l’irréversibilité n’existe pas.

- L’approche rationaliste est fondée sur l’idée que toutes les informations concernant

l’état du monde sont accessibles et que tous les phénomènes sont probabilisables, ce qui permet d’anticiper les évènements à venir en vue d’adopter les réponses sociales optimales (selon les critères du moindre coût ou du maximum d’utilité pour les économistes).

Ces éléments conduisent à traiter la question des risques globaux – qui touchent notamment la biodiversité – à partir d’un processus de « mise en risque ». Ce processus nécessite d’identifier les sources des dangers, leur probabilité d’occurrence, les liens de causalité auxquels ils renvoient, les évaluations des conséquences possibles et les procédures de compensation ou de réparation qu’elles impliquent (Gilbert, 2001, 2004), de manière à avoir un traitement rationnel des dangers. Or, chacune de ces étapes soulève des problèmes extrêmement délicats dans le champ de la biodiversité. En effet, s’il est possible de calculer les risques pour certains dangers environnementaux comme les tremblements de terre qui répondent à une dynamique quasi-linéaire, les menaces sur la biodiversité concernent des systèmes vivants au sein desquels existe une infinité d’interactions non linéaires générant des dynamiques adaptatives et complexes à différents niveaux organisationnels.

L’absence de remise en cause profonde de ces méthodes de gestion s’est traduite dans les faits par le « passage du risque à la menace, des expertises fondées moins sur des acquis que sur des hypothèses, ou effectuées de plus en plus en période de crise » (Gilbert, 2001, p.73). Ces méthodes sont aussi à l’origine d’une gestion pathologique des ressources naturelles renouvelables – « the pathology of natural resource management » (Holling et Gunderson, 2002 ; Berkes et al., 2003) – caractérisée par :

- La recherche d’une maîtrise toujours plus grande des variabilités – « command and control strategy » – et une myopie des systèmes de gestion des ressources naturelles renouvelables – focalisée notamment sur les rendements et sur les bénéfices économiques en général.

- La mise en place d’agences spécialisées initialement flexibles mais qui deviennent très rapidement myopes, rigides et dont la stratégie est guidée par une quête de survie. En effet, la captation de fonds, de moyens, de postes, devient souvent l’objectif final de ce type d’agences.

- La mise en place de subventions permettant d’inciter à un accroissement des rendements et qui rendent les usagers des ressources naturelles renouvelables de plus en plus dépendants de ces revenus « artificiels ». La double conséquence est une absence d’internalisation des coûts liés à l’érosion de la biodiversité et la mise en place d’un lobbying ayant pour unique objectif de maintenir en place ce système de rentes, ce qui conduit toute velléité de changement à une situation de crise.

- La perte de résilience des écosystèmes qui peut conduire à l’effondrement de système société-nature, comme nous l’avons vu dans la sous-section sur les services écosystémiques avec l’exemple de la mer d’Aral.

- La multiplication des crises et un accroissement général de la vulnérabilité des populations qui dépendent de la biodiversité, accompagnés d’une perte générale de confiance dans les systèmes de gouvernance et de gestion en place.

C’est pourquoi à l’approche analytique doit se substituer une approche systémique qui laisse sa place aux interactions, à la complexité et aux incertitudes des mécanismes en jeu (Passet, 1979, p.XVI). L’analyse systémique « propose une méthode d’étude de la complexité s’appuyant à la fois sur la connaissance des différents éléments du système (approche analytique) et sur celle des liens existant entre ces éléments » (CENECO, 1995, p.12). D’une physique mécanique, il faut passer à une physique thermodynamicienne acceptant les irréversibilités, sans pour autant se référer à l’approche thermodynamique qui voit en l’évolution un simple processus de destruction mais à celle, plus biologique, qui voit en tous ces processus de formidables mouvements de destruction créatrice. A une perspective réductionniste et disciplinaire, doit se substituer une démarche impliquant différentes disciplines autour de questions ou d’objets communs. Au concept de rationalité centré sur une définition économique, doit se substituer un concept de rationalité impliquant un minimum de cohérence entre les fins et, autant que possible, une cohérence entre les fins et les moyens.

C’est en partant du constat de l’inefficacité des modes de gestion traditionnels, de l’existence de coûts de transaction élevés pour gérer les ressources naturelles renouvelables et des difficultés qu’avait la science à prendre en compte l’incertitude, que de nombreux écologues et économistes se sont orientés vers la gestion adaptative des ressources naturelles

renouvelables (Arrow et al., 2000 ; Dasgupta, 2001 ; Holling et Gunderson, 2002 ; Weber, 1996a). La gestion adaptative est une approche plus opérationnelle que la gestion « command and control » classique selon ces auteurs car elle met au cœur de sa démarche l’incertitude soulevée par la gestion d’écosystèmes complexes dont les mécanismes de fonctionnement restent peu connus. Pour faire face à cette incertitude, la gestion adaptative prône une démarche modeste privilégiant les processus d’apprentissage à propos des interactions entre les dynamiques sociales et les dynamiques écologiques (Olsson et al., 2004). Il s’agit d’une gestion interactive fondée sur l’idée que toute pratique de gestion doit être envisagée comme participant à un processus d’expérimentation itératif dans lequel les décideurs et les scientifiques doivent collaborer (figure 8).

Figure 8 : La gestion adaptative de la biodiversité.

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