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3. RESSOURCES ET TERRITOIRE DANS LE PARCOURS DES ENTREPRISES

3.4 C ONCLUSIONS PARTIELLES SUR LES RAPPORTS ENTRE ENTREPRISES BIOALIMENTAIRES

3.4.1 Démarrage, territoire de localisation et ressources : l’entrepreneur en tant que

La première phase examinée dans notre étude est celle comportant les décisions et les démarches relatives à la création de l’entreprise. Rappelons d’emblée que la population étudiée est constituée de petites et moyennes entreprises : à partir des données publiques disponibles, nous avons pu recenser 405 entreprises actives en Gaspésie, au Bas-Saint-Laurent ou en Chaudière-Appalaches et qui répondent à nos critères définissant ce qu’est un produit de spécialité bioalimentaire (cf. point 2.1). Au total, elles concevaient, fabriquaient et commercialisaient plus de 258 produits de qualité distincts pendant l’été 2009, au moment de notre enquête.

Les entreprises étudiées ont été créées à des périodes différentes. Au-delà des différences d’âge, des facteurs ressortent de façon marquée comme ayant été déterminants pour conduire à leur création, du moins en ce qui concerne deux des trois grandes questions adressées

directement aux répondants39, et qui permettent de dégager des «ressources» distinctes et complémentaires associées au territoire de localisation.

Ainsi, parmi les raisons variées qui motivent la création de l’entreprise, celles relevant directement du parcours personnel et professionnel de (des) l’entrepreneur(s) fondateur(s) (axe A) dominent : désir de professionnaliser un intérêt et une passion pour une activité, inspiration à mettre en valeur des compétences, volonté de créer de l’emploi pour soi ou pour des proches et besoin d’autonomie sont nommés par plus de la moitié des répondants (58%). Suivent des raisons toujours personnelles, évoquées par près de 40% des répondants, mais touchant cette fois des aspects de la vie privée du fondateur, relatifs à la famille et au milieu de vie (axe D), comme la transmission d’un patrimoine familial et d’un savoir-faire ou la réalisation d’un projet de vie, souvent en conçu pour le couple ou la famille. De même, dans des proportions similaires (39%), des raisons plus pragmatiques touchant les ressources et l’activité productive (axe B) sont à la source du projet d’entreprise, tels la volonté de valoriser la ressource produite par l’entreprise et le désir de répondre à une clientèle qui demande des produits particuliers. Bref, les facteurs relèvent soit d’une logique d’affaires concernant la sphère productive, soit d’une logique personnelle, voire affective et, pour le tiers des répondants, des deux à la fois.

Il en va de même pour les deux autres questions abordées qui présentent cependant, cette fois, une nette polarisation des réponses autour d’un type de facteur dans l’une ou l’autre des catégories. Ainsi, d’une part, les logiques d’affaires ressortent clairement en ce qui concernant le choix d’orienter la production vers des produits de spécialité, alors que des facteurs touchant les ressources et l’activité productive (axe B) sont évoqués par presque tous les entrepreneurs (92%). La fabrication d’un produit parvenant à se démarquer dans des marchés très concurrentiels constitue une stratégie d’affaires pour ajouter une valeur économique à la ressource naturelle produite par les deux tiers des entreprises étudiées, qui est même jugée essentielle pour assurer la rentabilité de l’entreprise, voire sa viabilité.

D’autre part, concernant le choix du lieu d’implantation de l’entreprise, les répondants sont unanimes à évoquer d’abord des facteurs touchant le milieu de vie (axe D). L’examen attentif de nos données montre que, de fait, le lieu d’entreprise découle du lieu de résidence du propriétaire et non l’inverse, tel que postulé dans certains écrits théoriques. Nous avons constaté que dans trois quarts des cas étudiés, le fondateur de l’entreprise connaissait déjà la localité avant même d’y lancer son projet d’affaires, entre autres pour être natif de l’endroit, y avoir déjà vécu (ou y vivre) lui-même ou son conjoint/e ou, enfin, pour y avoir antérieurement occupé un emploi. Le parcours personnel de l’entrepreneur-habitant, le cadre de vie et le patrimoine familial apparaissent comme les principaux motifs expliquant le désir de poursuivre ce lien établi avec le territoire de vie, notamment en y lançant une entreprise. Autant le choix peut être d’ordre plus pragmatique, comme la reprise d’un patrimoine immobilier et d’une entreprise familiale, que plus sensible, comme le choix d’un mode de vie particulier («vivre à la campagne») et l’attachement à un milieu de vie et à une région. Il s’agit donc souvent d’un profil d’entrepreneur «local», ayant diverses attaches dans le milieu, ou encore d’un entrepreneur ayant choisi la localité comme cadre et même mode de vie.

Au sujet des ressources, au moment de la phase de création et de démarrage de l’entreprise, ce sont principalement des ressources humaines qui sont mobilisées par l’entrepreneur, et qui sont rattachées essentiellement à l’individu qui dirige et oriente l’entreprise. Toutefois, soulignons

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Les trois questions étaient : Pourquoi créer cette entreprise? Pourquoi orienter la production vers des produits dits de spécialité? Pourquoi avoir retenu cette localité pour implanter son siège social?

qu’il s’agit autant de l’entrepreneur comme producteur que comme habitant, un résultat qui nous semble original et jusqu’ici peu considéré dans la littérature. Par ailleurs, des ressources matérielles apparaissent aussi importantes à cette phase. Pensons à la ressource agricole produite par les deux tiers des entreprises recensées et qui devient ensuite leur ingrédient principal dans le processus de transformation, de même qu’à divers éléments relevant souvent du patrimoine familial comme des terres, des bâtiments ou de la machinerie. Enfin, les ressources matérielles pourraient aussi englober des aspects du cadre de vie qui contribuent à l’attractivité du territoire et à la qualité de vie des entrepreneurs : architecture, paysages, services disponibles, etc.

Tout en convenant que l’univers étudié de la petite et moyenne entreprise puisse être un facteur important pour expliquer de tels résultats d’analyse, ceux-ci nous semblent importants puisqu’ils remettent en question les écrits théoriques plus classiques sur la localisation des activités de production, postulant la mobilité de l’entreprise et une homogénéité de l’espace. Ils invitent aussi à réfléchir à la notion même de ressource considérée déterminante pour localiser le projet d’entreprise. Selon nos observations, celle-ci ne comporte pas toujours une dimension économique et marchande, tel que habituellement raisonné. La famille par exemple, qui ressort comme un facteur stratégique important dans de très nombreux cas étudiés, est considérée autant dans des aspects comportant une valeur économique (ex. : patrimoine immobilier, conditions de transmission) que non marchands (ex. : soutien à la vie domestique).

3.4.2 Opération et territoire d’action : des ressources dans un rayon de proximité