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CHAPITRE II MÉTHODE DE RECHERCHE 65

1.   DÉMARCHE ET QUESTIONS DE RECHERCHE 65

C’est à la rencontre des questions générales du projet de recherche CoPsyEnfant, et de questions provenant de notre expérience, de même que nos observations, que se sont formulées les questions qui sous-tendent cette recherche. Entre autres, un stage de 6 mois au Burkina Faso et la pratique clinique avec les enfants et le dessin en ont été le terreau.

Le rôle de la culture dans le développement psychique est reconnu (Hassan, Papazian-Zohrabian, Fraser, & Rousseau, 2012; Jahoda, 1992). La recherche CoPsyEnfant pose la question de l’interaction entre le lien social, ou de la culture, et l’identité. L’ambition en est donc d’étudier la construction identitaire dans une multitude de cultures pour faire ressortir des différences permettant de faire avancer cette question. Pour le travail qui est présenté ici, nous nous sommes centrés sur l’étude comparative de deux populations ayant participé à la recherche : des enfants canadiens (québécois) et des enfants africains (ivoiriens). Par ailleurs, les résultats obtenus d’autres populations seront aussi présentés à certains moments afin de situer les deux populations à l’étude par rapport à une population plus globale. Ces résultats ne seront cependant ni analysés, ni discutés en détail.

Concernant les groupes auxquels nous nous sommes intéressés, le questionnement a d’abord porté sur une différence dans la construction œdipienne, qui était la question de l’hypothèse centrale de CoPsyEnfant. Cette différence s’est avérée difficile à repérer à partir des données dont nous disposions, bien qu’elle existe probablement et qu’elle reste une trame de fond de notre réflexion. Ce qui s’est révélé être une des différences les plus flagrantes a été la présence ou l’absence de la représentation du sujet dans les dessins de famille; la plupart des enfants québécois se représentaient eux-mêmes alors que la plupart des Ivoiriens ne le faisaient pas. C’est donc sur cette question que nous nous sommes centrés. Notre point de départ, outre le fait de se poser la question générale d’une différence entre les 2 groupes, a donc été l’observation des données recueillies, ou plus précisément l’écoute de ce que les dessins transmettaient comme message, comme il est d’usage dans la tradition psychanalytique de partir de la « clinique ». Nous avons ainsi laissé les questions apparaître depuis ce point de départ.

À la suite de nos observations, le phénomène qui s’est manifesté comme central à l’étude est la représentation de soi. Les questions qui se formulent à la suite des premières observations sont les suivantes : Comment la représentation de soi témoigne-t-elle de la construction de l’identité propre ? Quel est le rôle de la représentation de soi dans la construction identitaire ? Est-il le même pour les enfants québécois que les enfants ivoiriens ? Que signifie l’absence de la représentation de soi dans les dessins de famille ? A-t-elle une fonction différente selon la culture ? Et si l’on pousse l’importance de la place de la représentation de soi à son extrême, peut-on faire avancer un peu plus ces questions ? Que signifie en effet le fait de se

représenter soi-même en premier dans les dessins de famille ? Est-ce différent dans divers liens sociaux ?

En 1961, Louis Corman publiait une étude sur le Test du dessin de famille menée à partir d’une population clinique d’enfants français. Dans cette étude, il rapporte que « les cas sont rares où l’enfant se représente lui-même en premier » (Corman, 1978, p.182). Il ajoute que cette particularité indique un investissement privilégié de l’image de soi et fait l’hypothèse qu’elle serait en lien avec une tendance narcissique (narcissisme secondaire), un repli narcissique, par impossibilité ou refus d’investir préférentiellement les images parentales. Cette hypothèse est-elle toujours valable ? Faut-il interpréter différemment cette donnée selon la culture ?

Quant à l’absence de représentation de soi-même dans le dessin de famille, Corman l’interprète comme une « élimination de soi » (1978, p.115) et la met en lien avec la dépression qu’il observe chez les enfants rencontrés en entretiens cliniques. Cette interprétation est-elle valable pour les enfants africains? D’autres interprétations sont-elles possibles ?

Des questions supplémentaires se sont posées à la suite des questions que nous venons d’évoquer. Par exemple, quel est le lien ou la différence entre la représentation graphique de soi et la représentation psychique de soi ? L’absence de l’une suppose-t-elle l’absence de l’autre ? Que signifie l’absence de représentation graphique de soi par rapport à la représentation de soi ? Et plus encore, la représentation de soi est-elle essentielle à une identité saine ? Et dans le même ordre d’idées, quelle est la place du Moi et du Sujet dans l’identité ? Y a-t-il un lien entre la place de la représentation de soi et la position œdipienne ?

Notre démarche globale est essentiellement qualitative, bien que, comme nous l’élaborerons plus loin, nous avons procédé à des analyses statistiques. Nous nous sommes justement appliqués à interroger aussi qualitativement les résultats statistiques comme phénomène. « Or, le fait de poser et de répondre à des questions, sans plus, constitue en soi une stratégie d’analyse qualitative » (Paillé & Mucchielli, 2003, p. 109), et c’est ce qui caractérise le mieux notre démarche dans son ensemble. Il s’agit d’une recherche exploratoire qui se situe ailleurs que dans le « paradigme positiviste et objectiviste » (Delefosse et al., 2001, p. 2) de la recherche expérimentale en psychologie, mais qui garde sa valeur scientifique, comme le montre une large littérature sur la recherche qualitative (Guillemette & Berthiaume, 2008). En effet, nous n’avons pas une approche quantitative des données, c’est-à-dire une démarche de recherche hypothético-déductive liée à la vérification d’hypothèses. Notre recherche repose globalement sur les postulats épistémologiques d’une approche qualitative des données, c’est-à-dire entre autres le fait de placer l’interprétation, la compréhension et la recherche de sens au centre de la démarche (Paillé & Mucchielli, 2003). Il est par ailleurs admis dans les méthodes générales de recherche en psychologie « d’analyser de façon qualitative des données recueillies par le biais d’un schème de recherche fondé sur l’approche quantitative » (Dumas, 2000). Ce qui ne veut pas dire que les paradigmes sous-tendant la démarche de recherche soient quantitatifs. Comme Delefosse et al. (2001), « nous privilégions le choix d’un abord dialectique de mise en tension entre des options épistémologiques et méthodologiques divergentes » (p. 5), mais en gardant des bases orientées dans un sens. Par ailleurs, une grande partie de notre recherche est purement qualitative.

2.

MÉTHODOLOGIE