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DÉMARCHE EMPIRIQUE : MÉTHODOLOGIE, PRÉSENTATION, ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES DONNÉES EMPIRIQUES

Avant d’exposer la démarche empirique, la méthodologie et l’analyse et l’interprétation des données, il m’apparaît important de rappeler la question de recherche et synthétiser le contenu présenté jusqu’à présent. Cette thèse porte sur l’activité professionnelle dans un cadre bureaucratique en transformation, dont les infirmières d’expérience constituent un axe d’analyse privilégié. Elle s’intéresse aux formes hétérogènes que prennent les rapports à l’activité professionnelle et au cadre bureaucratique en transformation. Les tensions que génèrent ces rapports reposent bien souvent sur deux paradigmes dominants : l’un issu des années 70 et l’autre, néolibéral, qui le remet en question.

Depuis les dernières décennies, l’évolution du travail infirmier s’illustre par un passage de la « vocation à la profession » (Petitat, 1989) au sein d’un cadre bureaucratique qui n’a cessé, lui aussi, d’évoluer. Les restrictions budgétaires des années 90 ont fissuré la rigide cloison qui séparait jusqu’alors l’État-providence du marché privé, et de ses iniquités, favorisant l’émergence de « marchés ou de quasi- marchés » (Merrien, 1999) dans le système public, dont les agences privées de placement de personnel. Cette thèse s’intéresse non seulement à la façon dont ces changements modifient le cadre bureaucratique dans lequel s’inscrit l’activité

professionnelle, mais aussi les trajectoires de cessation de cette activité. Pour ce faire, une compréhension fine de la structure et de la dynamique des organisations s’avère essentielle. Sur cette question, Henry Mintzberg nous met en garde contre les problèmes classiques associés au trop grand pouvoir administratif sur les professionnels au sein d’organisations de soins de santé – la Bureaucratie Professionnelle -, surtout en période de restrictions budgétaires et réformes, et

propose des pistes de solutions qui reposent plutôt sur la capacité des professionnels à coordonner eux-mêmes leurs activités (Tremblay, 2007a, 2007b; Mintzberg, 1982), ce qui nécessite de revoir les cultures et le cloisonnement professionnels

de « traitement des maladies» et de « soins de santé » (Glouberman et Mintzberg, 2001; Mintzberg et Glouberman, 2001). Or, les « revendications de territoires » sont le propre des systèmes professionnels dans le but notamment de contrôler des tâches, un savoir abstrait ou de gagner la confiance du public (Abbott, 1988). À ces rivalités se manifeste aussi une interdépendance entre les acteurs qui est influencée par les contraintes d’un environnement dont ils cherchent à contrôler les zones d’incertitude (Friedberg, 1997; Crozier et Friedberg, 1977).

Durant les années 90, les caractéristiques associées au modèle bureaucratique précédent, particulièrement la désuétude de sa « régulation hiérarchique » (Bégin et

al., 1999, p. 360), ont été profondément remises en question, principalement sous

forme d’un processus de décision top down, qui s’est poursuivi durant les années 2000 par le biais de diverses mesures législatives. En matière de résidences privées pour les personnes âgées, ces transformations ont abouti à un univers disparate, surtout au profit du secteur privé, dont il y est globalement difficile d’évaluer la qualité des services (Charpentier, 2000). Bien que ces transformations visent, en conformité avec certaines perspectives promues par la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (2000), une « culture d’excellence » du secteur public qui s’illustrerait notamment par une plus grande collaboration interdisciplinaire au sein d’une nouvelle gouvernance, plus territoriale et

participative, des recherches ont clairement démontré un déploiement inégal de ces principes sur le terrain.

Les transformations du cadre bureaucratique dans le secteur de la santé entraînent également une confrontation avec les modèles de soins infirmiers déjà institués, et qui diffèrent selon les milieux de travail (Cognet et al., 2005). Ces changements

redéfinissent également la productivité en matière de services de santé qui n’est pas sans affecter ses activités professionnelles, allant même jusqu’à questionner la possibilité de les industrialiser, ce qui s’avère toutefois peu probable compte tenu des « compétences relationnelles » (Gadrey, 1996) qui caractérisent leur pratique. Dans ce domaine précis, il a été démontré en effet que les nouvelles orientations en matière

de gestion et de planification des soins n’entraînent pas « automatiquement » une rationalisation industrielle du travail infirmier, mais peuvent, au contraire, offrir une « rationalisation professionnelle » (Lapointe et al., 2000) qui permette l’exercice d’un jugement et d’une autonomie face aux situations complexes. Une meilleure

compréhension de cette question chez les infirmières d’expérience confirme d’ailleurs la place privilégiée qu’elles peuvent occuper au sein d’une organisation de soins, leur pouvoir dans les processus de décisions ou encore le contrôle sur leurs tâches

(Lauzon, 2003), ainsi qu’un haut taux de satisfaction en ce qui concerne leur marge d’autonomie et la valorisation de leurs compétences (Lesemann et Tourville, 2006).

Ces dernières conclusions n’occultent toutefois en rien les recherches qui indiquent combien l’activité infirmière est particulièrement sensible aux transformations de leur cadre de pratique au cours des dernières années (O’Brien-Pallas et al., 2005;

Armstrong-Stassen, 2005), mais permettent néanmoins d’apporter un éclairage nouveau et nuancé sur la concentration élevée des effectifs au sommet de leur pyramide des âges et les pratiques ou modèle de gestion (Lavoie-Tremblay et al., 2006) proposés pour y faire face, particulièrement en matière de stratégies de rétention. En effet, bien que certaines infirmières d’expérience éligibles à la retraite soient disposées à s’engager au sein de l’organisation, selon des conditions bien précises, ce sont néanmoins les régimes de retraite qui structurent massivement les sorties d’activités (Lagacé et al., 2005, p. 193). Et en matière de vieillissement de l’effectif infirmier, il y a de sérieux motifs de s’inquiéter compte tenu que le cinquième de celui-ci est potentiellement éligible à se retirer du milieu de travail, sous forme de prise de retraite, et ce, « dès maintenant » (OIIQ, 2008b, p. 14)!

C’est donc à travers l’émergence de nouveaux modes de gestion et de prestations de soins, s’illustrant entre autres par les agences privées de personnel, et la remise en question de modèles de pratique et de la productivité propre à une « régulation hiérarchique désuète » , sous forme de nouveaux rapports à l’autorité administrative et aux autres acteurs, dont les plus jeunes, et qui se manifestent par des compétences relationnelles et des trajectoires professionnelles diversifiées, dont la cessation

d’activités, que cette thèse s’intéresse aux formes que prennent l’activité

professionnelle et le cadre bureaucratique en transformation dans le but de répondre à la question de recherche suivante :

Comment les transformations bureaucratiques influencent-elles l’activité professionnelle des infirmières d’expérience depuis les années 90 au Québec dans le domaine des soins aux personnes âgées en perte d’autonomie?

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