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Déforestation, dégradation et fragmentation de l’habitat

I. Des relations sociétés humaines-natures aux relations bonobos-habitats-humains

I.2 La conservation des grands singes africains

I.2.2 Déforestation, dégradation et fragmentation de l’habitat

La déforestation est définie comme la perte du couvert forestier (de Wasseige et al. 2012). Dans le bassin du Congo, ce processus est important mais cependant moins rapide et moins

étendu que dans le bassin amazonien et d’Asie du Sud-Est - respectivement 4,5 %, 8,6 % et 12,9 % de perte de surface forestière entre 1990 et 2010 (calculé à partir des données de la FAO & ITTO 2011). Cependant, le maintien d’un couvert forestier ne suffit pas à maintenir des populations de GS, il faut que l’habitat offre des conditions appropriées (suitable habitat) assurant une disponibilité en ressources alimentaires suffisantes et diversifiées et avec une présence limitée d’activités humaines perturbatrices (braconnage, exploitation minière, conversion agricole, urbanisation etc) et de leurs conséquences (notamment le risque sanitaire). Entre les années 90 et les années 2000, 29 % des habitats appropriés pour les bonobos ont disparu (Junker et al. 2012). La RDC reste néanmoins le pays avec la plus grande surface d’habitats appropriés pour les GS.

La fragmentation de l’habitat est aussi une menace importante associant à la perte d’habitat, l’augmentation du nombre de fragments, la diminution de leurs tailles et l’augmentation de l’isolement de ces fragments (Fahrig 2003). La complexité de ce processus, englobant de nombreux autres concepts, a entraîné une utilisation abusive de ce terme, parfois réduit à la perte d’habitat ou à l’augmentation du nombre de fragments (Lindenmayer & Fisher 2006). Dans la suite nous utilisons donc le terme de fragmentation de l’habitat tel que défini par Fagrig (2003). C’est bien l’ensemble de ce processus, dans toutes ses composantes, qui est une menace pour les GS et pour les primates non humains en général (e.g. Marsh & Chapman 2013 ; Ménard et al. 2014a). Les caractéristiques et les conformations des fragments et de leurs relations (distance, occupation du sol etc) sont critiques pour la conservation de ces espèces - possibilité de traversée ou non entre deux espaces forestiers influençant notamment la migration d’individus et potentiellement la diversité génétique et l’accès à des ressources alimentaires.

Dans le bassin du Congo, la déforestation et la fragmentation de l’habitat ont des causes multiples en lien avec les activités des populations locales (bois de chauffe, agriculture itinérante sur brûlis) mais aussi les exploitations agro-industrielles et minières (de Wasseige et al. 2012). L’accès à l’énergie se fait principalement par le bois de chauffe avec 80 % de la source énergétique pour les habitants de cette région. L’agriculture itinérante sur brûlis contribue à la déforestation essentiellement dans les zones à forte densité de population humaine comme à l’Est de la RDC, à proximité du Parc national de Kahuzi-Biega, où la densité humaine est de 300 hab./km2. Il est maintenant admis que cette activité, lorsqu’elle

Introduction

de jachère long) et dans des zones de faible densité humaine, permet un renouvellement de la forêt (e.g. Fimbel 1994 ; Karthik et al. 2009). Toute activité humaine agricole en forêt n’est donc pas forcément incompatible avec la présence de GS et la population locale ne constitue pas toujours la première menace. Il est primordial de distinguer cette agriculture traditionnelle et essentiellement de subsistance d’une agriculture commerciale monospécifique produite sur de grandes surfaces (palmier à huile, maïs, coton, cacao et café dans le cas de la RDC1). Alors que dans le premier cas, la déforestation est directement liée à la subsistance des populations locales et peut être limitée par la mise en place d’activités alternatives, il s’agit dans le second de produire des richesses par l’exploitation de la terre (et souvent des populations locales). L’exploitation du sous-sol contribue aussi à la déforestation que ce soit pour les minerais ou le pétrole. Le prix du coltan, minerai utilisé dans de nombreuses technologies actuelles (téléphones, ordinateurs, tablettes…) et concentré à l’Est de la RDC, a été multiplié par 10 en 2000-2001, 15 000 personnes ont alors pénétré le Parc national de Kahuzi-Biega pour exploiter cette ressource fortement demandée (Yamagiwa et al. 2012). Enfin, les mouvements de populations liés aux conflits, toujours dans l’Est du pays, sont aussi une cause importante de dégradation de l’habitat.

Ces menaces sur l’habitat touchent plusieurs aspects des besoins des bonobos. En effet, chaque communauté de bonobos a un grand domaine vital (environ 20-60 km2), nécessaire pour trouver les ressources alimentaires et maintenir l’organisation sociale en fission-fusion de l’espèce (Hohmann & Fruth 2002). Les bonobos, consomment plus d’une centaine d’espèces alimentaires, ainsi la perte d’habitat pourrait entrainer la diminution des ressources nécessaires au maintien de la population. Outre la diminution de la taille des fragments, la perte de continuité est une menace importante à moyen terme. En effet, les femelles bonobos émigrent de leur communauté de naissance à l’adolescence (7-9 ans, Furuichi 1989) contrairement aux mâles qui restent toute leur vie dans leur communauté (espèce mâle philopatrique). La fragmentation de l’habitat peut conduire à l’isolement de petites populations non viables génétiquement. En 2013, Kawamoto et al. ont mis en évidence des différences génétiques entre les bonobos situés à l’Ouest, au centre et à l’Est de l’aire de répartition. Leurs analyses suggèrent un effet des rivières dans la diffusion des gènes entre la partie est et la partie centrale mais l’hypothèse principale pour expliquer cette différenciation serait des variations climatiques et de couverts forestiers créant des refuges au Pléistocène. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Face aux modifications et aux perturbations de l’habitat (d’origine anthropique ou non), les GS ont une certaine capacité de résilience, qui peut être étudiée à différentes échelles d’espace et de temps. En Ouganda, les chimpanzés de la communauté de Sebitoli peuvent adapter leurs comportements en modifiant leur ryhtme d’activité jusqu’alors décrit comme uniquement diurne et piller pendant les nuits les plus sombres les champs de maïs situés en lisière du Parc national de Kibale, trompant ainsi la vigilance des agriculteurs (Krief et al. 2014). Sur une échelle de temps plus longue, les chimpanzés de savane au Sénégal ont adapté leurs comportements à cet environnement plus chaud - en utilisant des grottes malgré le risque de prédation et en s’immergeant dans des flaques d’eau dans les périodes les plus chaudes - et avec moins de ressources alimentaire disponibles - en étendant spatialement et temporellement les activités de recherche de nourriture (Pruetz & Bertolani 2009 ; Boyer-Ontl & Pruetz 2014).

A travers la menace de la déforestation et de la fragmentation de l’habitat, ce sont les interactions écologiques reliant GS, habitats et humains qui sont mises en avant. Il est indispensable de mieux comprendre ces capacités de résilience qui sont variables en fonction des espèces, des contextes socio-écologiques et de la dynamique de perturbation (une fragmentation brutale n’a pas les mêmes effets qu’une fragmentation progressive). Ce sont ces différents effets de seuil qu’il faut chercher à mieux connaître. Il est aujourd’hui urgent d’étudier localement comment humains et GS cohabitent dans un même milieu et de réhabiliter le rôle des populations humaines pour améliorer la conservation de ces espèces menacées tout en respectant les savoirs et les pratiques locaux.

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