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II. Contexte du site d’étude et objectifs de cette thèse

II.1 Les bonobos du Territoire de Bolobo

Nous présentons ici les caractéristiques nationales, régionales puis locales du site d’étude.

II.1.1 La RDC : un géant africain aux multiples facettes

La République Démocratique du Congo est le deuxième plus grand pays d’Afrique avec 2,3 millions de km2. Sa population est estimée à 67,5 millions d’habitants (UNDP 2014) dont 35 % vivent en milieu urbain (près de la moitié des urbains vivant dans la capitale, Kinshasa). Ce pays, aux frontières issues de la période coloniale de la fin du XIXeme siècle (Bruneau 2009), comporte plusieurs centaines d’ethnies. La RDC est située au 186eme rang mondial (sur 187) pour l’indice de développement humain (UNDP 2014).

Connu pour ses richesses minières à l’Est du pays et pour son instabilité politique, sources des conflits répétés depuis de nombreuses années, notamment dans la région du Kivu (Montague 2002 ; Bannister 2008), la RDC est aussi le cinquième pays mondial pour sa biodiversité (animale et végétale) et le premier en terme de diversité mammalienne avec un fort taux d’endémisme (de Wasseige et al. 2012 ; Debroux et al. 2007). Le pays est couvert à 67 % de forêt équatoriale, où la déforestation progresse moins rapidement qu’au Brésil et en Indonésie (respectivement -4,1 %, -10 % et -21 % entre 1990 et 2011, UNDP 2014) notamment en raison du manque d’infrastructures. Les aires protégées représentent environ 11 % de la surface du pays (UICN/PACO 2010). Les problématiques de conservation de la biodiversité en RDC sont surtout connues par les Congolais vivant dans la moitié est du pays entrainant des conflits entre populations locales et gestionnaires des parcs. La répartition des aires protégées existantes dans le pays indique une dissymétrie (Figure 1, carte amovible). Trois des grands parcs nationaux (Virunga, Kahuzi-Biega, Maiko) de la RDC abritent des gorilles de l’Est (Gorilla beringei beringei ou G. b. graueri) tandis que le PNS abrite des bonobos. En revanche, la moitié ouest du pays n’a que peu d’aires protégées alors même que des espèces menacées telles que le bonobo sont présentes.

Figure 1 : (a) Aires protégées en RDC, (b) aire de répartition des bonobos et sites d’étude, (c) localisation des forêts communautaires de Mbou-Mon-Tour et (d) domaine vital estimé des bonobos de Manzano, pistes et transects du site. Fond de carte : Google Earth 2014 ©. Limite des aires protégées : World Resource Institute (http://www.wri.org/). Aire de répartition des

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300 Km 0.5 Km ! ! ! ! ! ! ! # # # # # # # [ _ ! Salonga Sankuru Luo Lomako-Yokokala Kokolopori Iyondji Tumba-Ledima Wamba Kokolopori Lomako Lilungu Lukuru LuiKotale Manzano

Aire de distribution des bonobos (UICN 2014)

100 Km Kinshasa Salonga Yalosidi Lewo Ndwa Embirima Mpelu Nkala Mbou-Mon-Tour Nko Bodzuna Mbee Embirima Mamuene 5 Km 1 Km Lefiri Manzano Lebila Lolele Entintali Nzi-a-Nzi Lambali ! Villes/Villages Réseau de pistes Route en terre a b c d Mongal

Domaine vital estimé de la communauté

[Sites d'étude de bonobos

#Fermes traditionnelles Transects

Site de Manzano (ferme Mamuene)

[

Eau de surface

Parcs nationaux Lefiri Nom vernaculaire des forêts

Limites des forêts communautaires (2013) Réserve

Introduction II.1.2 Le Territoire de Bolobo : une région à valoriser

Le Territoire de Bolobo est situé à l’Ouest de la RDC, dans le District Mai-Ndombe, Province du Bandundu à seulement 300 km au Nord de Kinshasa. D’ailleurs le terme occidental de bonobo proviendrait de la déformation du nom de la ville de Bolobo (Thompson 1997). Plus précisément, le site est situé dans le groupement Mbe Nkuru, Chefferie des Batéké Nord, qui compte environ 93 000 habitants, essentiellement de l’ethnie Téké, répartis sur 3500 km2 (ISCO 2010). La densité humaine moyenne dans l’ensemble du groupement est d’environ 25 hab./km2 mais peut être beaucoup plus faible (<5) dans certaines parties du Territoire.

Dans cette région, située à l’extrême périphérie sud-ouest de l’aire de répartition des bonobos, l’habitat est composé d’une mosaïque forêt-savane et l’agriculture sur brûlis est répandue sur l’ensemble du Territoire (ISCO 2010). La proximité au fleuve Congo, axe de communication majeur, et aux deux capitales (300 km) Kinshasa (RDC) et Brazzaville (RC) implique une forte demande locale en produits agricoles (ISCO 2010), notamment en maïs et en manioc, mais aussi en produits forestiers (feuilles de Gnetum africanum, escargots de forêt, viande de brousse, charbon de bois). Ceci conduit à une augmentation des surfaces défrichées et à une conversion des forêts en terres agricoles, notamment le long du fleuve (ISCO 2010). Cette conversion est moins intense à l’intérieur des terres.

Le Territoire est aussi marqué par la présence d’une grande société d’élevage extensif bovin, destiné à l’approvisionnement de Kinshasa (ISCO 2010), qui occupe une grande partie des savanes et empêche l’accès à certaines forêts. Ceci réduit les surfaces accessibles pour les activités de subsistance (agriculture, chasse, cueillette) et entraine une intensification de celles-ci sur les forêts restant accessibles.

II.1.3 L’aire de conservation communautaire de Mbou-Mon-Tour

Les éléments nécessaires à la contextualisation du site sont apportés ici mais l’analyse de la dynamique de conservation associée fait l’objet d’un chapitre à part entière (chapitre 4). En 1997, suite à la constatation de la raréfaction du gibier et du poisson par des villageois, l’ONG Mbou-Mon-Tour (MMT) a été créée afin de trouver des activités alternatives de subsistance et d’améliorer les conditions de vies locales. Jean Christophe Bokika Ngawolo, juge à Kinshasa et fils de chef coutumier du village de Nkala en est le fédérateur et le

président du comité exécutif. La ferme de MMT, située à 2 km du village de Nkala a été construite dans le but d’avoir un lieu d’expérimentation des différentes activités alternatives et de formation locale. Cette ONG est constituée de villageois, principalement du village de Nkala au départ, et de personnes vivant à Kinshasa originaires du même village ou des villages alentour.

Constatant une érosion de l’interdit alimentaire traditionnel concernant le bonobo et un braconnage de plus en plus présent, MMT a sensibilisé la population à la protection des bonobos à partir de 2001 sur la base des lois coutumières, nationales et internationales. C’est à ce moment que la première forêt de conservation communautaire a été créée par le village de Nkala. Malgré des demandes répétées auprès d’organismes de conservation et d’institutions pour venir confirmer la présence de bonobos dans la zone et apporter un soutien à l’action de MMT, ce n’est qu’en 2005 qu’un acteur de la conservation (le Fond mondial pour la nature, WWF) est venu confirmer cette présence mettant ainsi fin aux accusations d’impostures et de mensonges jusque-là portées à l’encontre de cette initiative locale. Progressivement, plusieurs villages ont rejoint cette initiative de conservation et aujourd’hui six villages ont consacré une partie de leur forêt à la conservation des primates, totalisant 175 km2 de surfaces protégées. D’abord centrées sur le développement local, puis la sensibilisation et la conservation des bonobos, les activités de MMT incluent aujourd’hui la recherche scientifique en collaboration avec des institutions comme le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN, France) et l’Université de Kinshasa (Unikin, RDC).

Dans cette région située dans le bloc ouest de l’aire de répartition des bonobos, l’analyse des menaces faites par l’UICN et l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) (2012) indique que contrairement aux autres blocs de population (nord, sud et est), ce n’est pas la chasse qui est la menace la plus importante, mais la perte d’habitat et les risques de transmission zoonotiques.

En plus de la présence de bonobos, les forêts abritent d’autres espèces de primates : des cercopithèques (Cercopithecus ascanius, C. wolfi, C. neglectus) et quelques groupes de colobes (Colobus angolensis angolensis, Piliocolobus tholloni) et de mangabeys (Lophocebus aterrimus), en très forte diminution.

Introduction II.1.4 Le site de Manzano

En 2008, j’ai effectué mon premier voyage à Nkala en tant qu’étudiant vétérinaire. J’étais alors le premier étranger à venir pour travailler avec MMT. A cette occasion, j’ai co-fondé une association (Up To Save, aujourd’hui nommée Bonobo Eco) afin d’avoir une structure juridique et administrative en France pour soutenir l’action de MMT. Ainsi, j’ai eu dès le départ un rôle multiple associant partenaire de conservation (même si cette association est une très petite structure) et partenaire scientifique. Suite à cette première mission puis à un stage vétérinaire encadré par Sabrina Krief en 2009, une collaboration scientifique avec MMT a été mise en place. Plusieurs villages étaient déjà impliqués dans la conservation et souhaitaient développer des activités pour valoriser cet engagement. MMT nous a alors proposés de commencer nos recherches dans la forêt de Manzano à proximité du village d’Embirima (Figure 1), dont l’implication dans la conservation des bonobos avait débuté en 2006. Une équipe de quatre pisteurs (puis six à partir de 2010) allait en forêt à tour de rôle, environ deux fois par semaine, afin de créer un réseau de pistes pour le suivi des bonobos. Une étude pilote a été effectuée (juillet-août 2010, février-avril 2011) pour évaluer les possibilités de mise en place d’un site d’étude. Les premières données collectées concernant l’habituation des bonobos, les activités humaines, les types de forêts et les risques sanitaires (Narat 2011), ont permis de mieux définir la surface d’étude et les axes de recherches pour cette thèse.

Sous le nom générique de forêt de Manzano, utilisé ici par commodité en relation avec la communauté de bonobos étudiée, plusieurs zones de forêts sont identifiées par des noms vernaculaires différents (Figure 1). Dans la suite, le terme de forêt de Manzano renvoie à l’ensemble de la forêt fréquentée par la communauté de bonobos suivis et l’emploi de noms vernaculaires pour désigner des parties particulières de cette forêt est explicitement précisé. Au total, l’aire de suivi des bonobos fait aujourd’hui environ 20 km2 alors qu’en 2010, le réseau de piste couvrait environ 12 km2 (Narat 2011). La taille de la communauté de bonobos de Manzano est aujourd’hui estimée à 25-30 individus.

C’est lors de la mission de 2011 que la surface d’étude a été agrandie en incluant la forêt de Lefiri, alors considérée comme exclue de la zone protégée. L’étude pilote a montré que très peu de bonobos étaient présents dans cette partie de la forêt et nous l’avons utilisée pour faire une comparaison de la présence des bonobos et des activités humaines à partir de recensements par transects.

Lors des missions, nous logions dans une ferme traditionnelle (la ferme Mamuene), à environ 6 km du village d’Embirima et proche de la forêt de Manzano. Progressivement, des équipements de base ont été amenés. Aujourd’hui, les assistants disposent de talkie-walkies, d’une caméra, d’équipements de forêt (sac à dos, jumelles, GPS, boussole, décamètre, DBH-mètre) et d’un « laboratoire » de terrain (Photo 2) permettant le conditionnement des matières fécales (cf III.4). L’accès à l’énergie est limité au village d’Embirima (groupe électrogène ou panneau solaire). Le réseau téléphonique existe mais de manière aléatoire.

Photo 2 : le laboratoire de terrain. (©F. Pennec)

Ce site d’étude est donc très particulier car :

- situé à la périphérie sud-ouest de l’aire de répartition des bonobos, - situé à seulement 300 km de Kinshasa (et Brazzaville),

- composé d’un habitat de mosaïque forêt-savane, rarement rencontré sur l’aire

de répartition des bonobos,

- habité par des Batéké3 respectant un interdit alimentaire sur les bonobos,

- siège d’une initiative de conservation communautaire originale.

Ces caractéristiques locales ont influencé les orientations de ce travail. En s’appuyant sur ce contexte local, nous allons maintenant présenter les objectifs de l’étude.

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Introduction

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