Chapitre 1 Le surpoids et l’obésité à l’adolescence : un enjeu majeur de santé publique 1.1.1 Définition du surpoids et de l’obésité chez les adolescents La mesure de la composition corporelle correspond à l'analyse du corps humain en compartiments et nous apporte de précieuses informations nécessaires à une meilleure gestion de notre santé. Afin d’analyser le corps et sa composition, il importe d’être en mesure de discerner ses composantes. Chaque méthode d’évaluation tente de diviser le corps humain en des composantes distinctes. Selon la nature de la méthode, il est possible de mesurer le corps comme une entité unique ou de le diviser en deux, trois, quatre ou cinq compartiments [16]. Cette division du corps en compartiments permet d’approfondir l’analyse de la composition corporelle en étant en mesure de déterminer les propriétés et caractéristiques de chacun des compartiments. La division du corps en deux compartiments, plus simple et plus utilisée, permet de distinguer: o La masse grasse comprenant les tissus adipeux et toutes formes de lipides pouvant être extraites de l’organisme ; o La masse maigre comprenant les os, les organes et les muscles. En 1997, L’Organisation mondiale de la Santé a reconnu l’obésité comme une maladie [17] la définissant par la suite comme une « accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle (ou masse grasse) pouvant nuire à la santé » [18]. Donc définir médicalement le surpoids et l'obésité suppose, en toute rigueur, que l'on soit capable de distinguer la masse grasse de la masse maigre et d'estimer cette quantité de masse grasse dans l'organisme, ce qui requiert des méthodes sophistiquées et trop coûteuses pour être utilisées au quotidien [19] (Tableau 1). Aussi, des mesures indirectes de la composition corporelle, également appelées mesures anthropométriques, moins coûteuses et plus applicables en routine, ont été définies [19] (Tableau 2). Toutefois, parmi les mesures indirectes, le rapport poids/taille et l’indice de masse corporelle (IMC) sont plutôt des mesures de masse que des mesures de composition corporelle car elles ne permettent pas de distinguer la masse grasse de la masse maigre (Tableau 2). L’IMC est un indice simple du poids sur la taille au carré (IMC=poids(kg)/taille²(m)) communément employé pour estimer la prévalence du surpoids et de l’obésité dans une population et les risques qui y sont associés. La solidité de cette mesure et l’inclusion très répandue du poids et de la taille dans les enquêtes sanitaires réalisées en milieu clinique et en population indiquent qu’une mesure plus sélective de l’adiposité, par exemple l’épaisseur du pli cutané, peut fournir un complément d’information plutôt qu’une information essentielle. Cependant, l’IMC ne tient pas compte de la grande variation observée dans la répartition des graisses dans l’organisme, et ne correspond pas forcément au même degré d’adiposité ou au même risque associé, d’un individu ou d’une population à l’autre [18]. Chez l’adulte, l’OMS définit [18] : o le surpoids comme un IMC égal ou supérieur à 25 kg/m²; o l’obésité comme un IMC égal ou supérieur à 30 kg/m². A ce jour, l’OMS n’est pas parvenue au même niveau de consensus sur la classification du surpoids et de l’obésité chez l’enfant et l’adolescent que chez l’adulte. Etablir une classification du surpoids et de l’obésité pendant l’enfance ou l’adolescence est encore plus compliqué du fait que la taille augmente encore et que la constitution de l’organisme évolue constamment. De ce fait, les seuils permettant de déterminer un surpoids ou une obésité chez les enfants et les adolescents varient avec l’âge et le sexe : un garçon de 5 ans avec un IMC de 20kg/m² est à risque de surpoids mais un garçon de 15 ans avec un IMC de 20kg/m² est mince. En conséquence, pour que l’IMC soit indicatif chez les enfants et les adolescents, il doit être comparé à un seuil de référence dépendant du sexe et de l’âge. Plusieurs seuils de références existent. Des références nationales peuvent être utilisées pour déterminer la corpulence des enfants et des adolescents. En France, la courbe de Rolland Cachera et al [20] construite à partir d’une population française de plus de 13 000 enfants entre 1953 et 1985 permet de déterminer 3 catégories de corpulence : l’insuffisance pondérale, la normalité, le surpoids (incluant l’obésité). Le surpoids est défini ici par un IMC ≥ 97ème percentile spécifique pour l’âge et le sexe. Néanmoins, ces références nationales ne permettent pas une comparaison internationale de la prévalence du surpoids et de l’obésité. Des références internationales peuvent également permettre de définir la corpulence chez les enfants et les adolescents, les plus communément utilisées étant : o International Obesity TaskForce (IOTF) [21] : référence élaborée en 2000. Elle définit la corpulence chez les enfants et les adolescents en utilisant des courbes de l’IMC établies à partir de données recueillies auprès de plus de 190 000 enfants de 6 pays différents (Brésil, Grande-Bretagne, Chine, Pays-Bas, Singapour et les Etats-Unis d’Amérique) disposant de données représentatives par âge et par sexe entre 1978 et 1993. Six catégories de corpulence sont ainsi définies : 3 grades de minceur, la normalité, le surpoids et l’obésité. Les seuils définissant le surpoids et l'obésité sont constitués par les courbes de centiles qui aboutissent respectivement aux valeurs de 25 et 30 kg/m² à 18 ans. o Organisation Mondiale de la santé (OMS) [22] : références établies à partir de données recueillies auprès de plus de 8 000 enfants dans 6 pays (Brésil, Ghana, Inde, Norvège, Oman et Etats-Unis d’Amérique) entre 1997 et 2003. Cinq catégories de corpulence sont ainsi définies : la minceur sévère, la minceur, la normalité, le surpoids et l’obésité. Ici, les seuils définissant le surpoids et l'obésité sont constitués par les courbes de centiles qui aboutissent respectivement aux valeurs de 25 et 30 kg/m2 à 19 ans. Cependant, il existe une certaine confusion quant à la population de référence valable partout dans le monde et quant au choix des seuils à partir desquels un enfant est considéré comme en surpoids ou obèse. Le choix de la référence est important car des résultats différents peuvent être observés [23] (Figure 1). Figure 1 : Courbes de centiles de l’indice de masse corporelle (poids/taille²) des références françaises et seuils internationaux du surpoids et de l’obésité (International Obesity TaskForce) Cependant, certaines études ont montré la supériorité des références IOTF de part son côté plus conservateur de la mesure du surpoids et l'obésité chez les enfants et les adolescents comparé aux autres références. Une expertise collective publiée en 2000 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) recommande l’utilisation de ces références pour déterminer la corpulence chez les enfants et les adolescents [24]. Plusieurs auteurs recommandent également l’utilisation des références IOTF pour déterminer le surpoids et l’obésité dans les études épidémiologiques ciblant les enfants et les adolescents permettant ainsi une comparaison internationale afin de mieux situer le problème du surpoids et de l’obésité dans cette population particulière dans un contexte international [19,25,26]. Tableau 1 : Méthodes de mesure directe de la composition corporelle [19] Méthode Description Avantages et Inconvénients Densitométrie Immersion du corps entier dans l’eau (expiration maximale) La masse grasse a une densité plus faible que la masse maigre et en mesurant la densité du corps entier les proportions relatives de chaque composant peuvent être déterminées. Si la densité totale du corps et la densité spécifique de la masse grasse et de la masse maigre sont connues, une équation peut être générée pour convertir la densité totale du corps en pourcentage de masse grasse [27]. Inconvénients • Peu de données sur la densité de la masse maigre chez les enfants et les adolescents ; • Requiert un sujet capable de retenir sa respiration donc peu convenable pour des enfants qui manque de confiance dans l’eau ; • Coûteux, pas utilisable en routine. Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) Imagerie radiologique L’IRM fournit une image visuelle du tissu adipeux et de la masse maigre. Le volume de masse grasse corporelle totale, la masse grasse totale et le pourcentage de masse grasse peuvent être estimés. Avantages • L’IRM peut précisément et de manière fiable distinguer la graisse intra-abdominale de la graisse sous-cutanée. Inconvénients • Requiert un sujet couché et immobile dans un endroit clos (scanner) donc peu convenable pour des enfants ; • Coûteux, chronophage (20 minutes) et nécessite un matériel médical majeur, pas utilisable en routine. Tomodensitométrie (CT-Scan) Imagerie radiologique Le CT-Scan produit des images à haute résolution dérivées des rayons X et peut identifier de petits dépôts dans le tissu adipeux. La masse grasse corporelle totale et régionale peut être calculée, tout comme le pourcentage de masse grasse. Avantages • La procédure permet une quantification de la masse grasse intra-abdominale et sous-cutanée avec un haut degré de précision et de fiabilité. Inconvénients • Exposition importante aux radiations ; • Requiert un sujet couché et immobile dans un endroit clos (scanner) donc peu convenable pour des enfants ; • Coûteux, chronophage (20 minutes) et nécessite un technicien expérimenté, pas utilisable en routine. Tableau 1 (suite) : Méthodes de mesure directe de la composition corporelle [19] Méthode Description Avantages et Inconvénients DEXA (Dual-energy X-ray absorptiometry) Irradiation du corps entier DEXA est basée sur le principe que les rayons X transmis à 2 niveaux d’énergie sont différemment atténués par le tissu minéral osseux et le tissu mou, et la composition du tissu mou est subdivisée en masse grasse et masse maigre par des équations de calibration dérivées [28]. Avantages • Haute corrélation aves les données du CT-Scan pour la détermination de la masse grasse totale [29] ; • Dose d’irradiation faible. Inconvénients • Ne distingue pas la graisse intra-abdominale de la graisse sous-cutanée ; • Requiert un sujet très coopératif donc peu convenable pour des enfants ; • Nécessite un équipement médical spécial et un technicien expérimenté ; • Coûteux, chronophage (20 minutes), pas utilisable en routine ; • N’a pas été testée sur de jeunes enfants, ni sur des adolescents et ni chez des sujets très obèses. Bioimpédancemétrie Mesure de l’impédance d’un courant électrique de faible amplitude à travers l’organisme La bioimpédancemétrie n’est pas une mesure directe stricte de la composition corporelle car elle est basée sur la relation entre le volume d’un conducteur (le corps), la longueur du conducteur (taille) et son impédance électrique. Les équations de prédiction estiment la masse maigre à partir de l’impédance mesurée et, par soustraction, la masse grasse. Avantages • Facile d’emploi, peu coûteux, non invasif ; • Haute fiabilité inter et intra-observateur. Inconvénients • Requiert des équations spécifiques à l’outil de mesure et à la population étudiée (peu développée chez les enfants et les adolescents) ; • La mesure peut varier en fonction de l’hydratation et de l’ethnie [30]. Pléthysmographie par déplacement d'air Mesure du volume d’air déplacé par le sujet dans un espace clos Le volume d’un sujet est déterminé indirectement en mesurant le volume d’air que le sujet déplace quand il est assis dans un espace clos. Un ajustement sur le volume gazeux thoracique est fait. Une fois le volume et la masse corporels connus, les principes de la densitométrie sont appliqués pour estimer le pourcentage de masse grasse. Avantages • Confortable, relativement rapide, non-invasif et peut s’accommoder à plusieurs types de corpulence. Inconvénients • Requiert un sujet coopératif car il doit respirer dans un tube et garder une pince sur le nez (donc peu convenable pour des enfants et des adolescents) ; • Peu de données chez les enfants et les adolescents. Tableau 2 : Méthodes de mesure indirecte de la composition corporelle [19] Méthode Description Avantages et Inconvénients Poids et taille Mesure du poids corporel (en kg) et de la stature (m) Mesure d’usage dans la plupart des cabinets de médecin ou dans les infirmeries scolaires. Mesures permettant d’associer le rythme de croissance à des courbes de références chez l’enfant et l’adolescent. Avantages • Rapide ; • Demande peu de qualification et d’équipement dispendieux. Inconvénients • Ne sont pas des mesures de la composition corporelle car elles considèrent l’organisme comme une entité uniforme ; • Sont sujets à des modifications journalières. Rapport taille/poids Ratio stature-poids Ce ratio met en relation la taille et le poids afin d’estimer un ratio associé à une composition corporelle ou de classifier un physique selon une échelle somatotype. Avantages • Rapide ; • Demande peu de qualification et d’équipement dispendieux. Inconvénients • Implique une relation linéaire entre la taille et le poids ; • Ne permet pas de distinguer la masse grasse et la masse maigre ; • Dépend de la précision et de la validité des mesures de poids et de taille. Indice de masse corporelle (IMC) ou indice de Quételet Mesure de la taille et du poids IMC=poids(kg)/taille²(m). Mesure de la composition corporelle tenant compte de la surface corporelle. z-score de l'IMC : Différence entre une valeur individuelle et la médiane d’une population de référence définie Avantages • Facile, peu couteux ; • Basé sur des mesures effectuées en routine ; • Relations démontrées avec comorbidités chez l’enfant et l’adolescent ; • Plusieurs normes existent ; • Largement utilisé chez les enfants, les adolescents et les adultes. Inconvénients • Ne distingue pas masse grasse et masse maigre ; • Ne distingue pas graisse sous-cutanée et graisse intra-abdominale ; • Unité abstraite ; • Plusieurs normes existent pour le calcul du z-score et pour déterminer la corpulence (choix?). Tableau 2 (suite) : Méthodes de mesure indirecte de la composition corporelle [19] Méthode Description Avantages et Inconvénients Périmètre abdominal (PA) Mesure de la circonférence de la taille Mesure indirecte de l’adiposité centrale. On peut utiliser le périmètre abdominal, le rapport PA/circonférence des hanches, ou le rapport PA/taille. Avantages • Rapide, peu couteux ; • Indicateur de la graisse abdominale ; • Chez l’adulte, il est mieux corrélé avec des comorbidités que l’IMC. Inconvénients • La précision des repères anatomiques influence les résultats ; • Plusieurs méthodes de mesure ; • Peu de données chez l’enfant et l’adolescent ; • Peu de normes (choix ?). Pli cutané Mesure de l’épaisseur des plis cutanés Mesure de la quantité de masse grasse sous-cutanée à certains sites spécifiques. La somme des épaisseurs de sites spécifiques peut ensuite être compilée pour déterminer sommairement l’importance de l’adiposité et la distribution de masse grasse sur le corps, l’accumulation de masse grasse sous-cutanée étant associée à l’accumulation de masse grasse viscérale. Avantages • Rapide, peu couteux. Inconvénients • Mesure indirecte de la masse adipeuse totale ; • La précision des repères anatomiques influence les résultats ; • Demande un bon niveau d’habilité de la part de l’évaluateur ; • Différence inter-évaluateur importante : limite l’applicabilité ; • Calibration des adiposomètres difficiles. Dans le document Efficacité de trois stratégies de prévention du surpoids et de l'obésité à l'adolescence. Un essai avec randomisation en grappes (Page 28-36)