• Aucun résultat trouvé

Définition et particularités des in teractions à distance entre e xpert et utilisateur

Analyse des interactions entre expert et utilisateur en situation de dépannage informatique par téléphone

5.1. Définition et particularités des in teractions à distance entre e xpert et utilisateur

L’assistance informatique par téléphone est une activité essentiellement organisée autour de la production de dialogue. Il y est certes qu estion de solutionner un problème, résoudre une panne, mais tout passe, ici entre spécialistes et utilisateurs, par les m ots et seul ement par les mots.

Il me semble justement importan t de souligner ici ce point : les conversations que j’étudie sont légitimement sans geste. Comme je l’ai déjà pr écisé, l’ enregistrement au dio ( par un dictaphone) a été su ffisant car s euls les mots « passent » entre les interlocuteurs ; aucun geste n’est partagé. Même s’ils en font en parl ant, le fait de communi quer à dist ance p ar téléphone l es priv e d e ces possibles indice s mutuels n on ver baux. Autrem ent dit, l es enregistrements (puis corpus) n’ont pas été épurés de ces indices non verbaux ; c’est bien la nature même de ces interactions d’être non gestuelles et ce n’est pas, comme dans certaines autres situations, un « handicap ». On peut donc, il me semble, y trouver un intérêt pour la recherche fondamentale. Et p eut-être pourrait-on aller jusqu’à dire qu’on se trouve ici dans une « science naturelle (des stimuli naturels) de l’interaction » ?

83

Nous somm es aussi ici en pr ésence d e communications fon ctionnelles à distan ce entre expert et non expert (l’utilisateur) en situation réelle de travail :

Par communications fonctionnelles, entendons celles « regardant directement le contenu du travail réali sé excl uant ainsi celles qui sont prioritairement centrées sur l es relati ons humaines dans l’équipe, la coh ésion, les pr ocessus d’infl uence, etc. » … » (Savoyan t & Leplat, 1983, p. 247).

En plus d’être foncti onnelles, ces commu nications sont o pérationnelles et finalis ées, o u orientées ve rs u n b ut. Ce n e sont d onc p as des convers ations casuelles (ou « à bâtons rompus ») où il y est nécessaire, pour les protagonistes, de nég ocier leu r é change (notamment Trognon & Larrue, 1994 ; Musiol & Trognon, 1999). Ce type d’échange expert - utilisateur est orienté par un but clairement identifié et commun aux interlocuteurs : satisfaire la demande ou régl er la panne ; et l es deux interlocuteurs (expert – utilisateur) sont censés coopérer pour atteindre cette résolution : l’utilisateur, afin de récupérer le plus rapidement possible l’usage de son outil, l’ expert comme le supp ose sa fon ction. C es communications so nt do nc de t ype co opératif et, plus particuli èrement, de r ésolution d e problème. J’y reviendrai.

Il s’agit, d e plus, de communications à dista nce dans le sens où les protagonistes sont éloignés gé ographiquement. Ce s ont d es co nversations télép honiques et , seu l, le can al auditif est mobilisé : tout doit donc pass er pa r le langage, ce qui ex clut notam ment tout e visibilité mutuelle des actions (ges tes, graphiques). Autrement di t, l’expert n e comprend l e problème qu’à travers ce que lui dit son interlocuteur et, en particulier, il ne voit pas l’écran de l’utilisateur et ce qu’il affi che. Ces situati ons impliquent un effort sur le plan verbal (langagier) pour palier l’absence des autres ca naux de communication et compenser ainsi le manque d’aides extra-verbales (Navarro & Marchand, 1994 ; Navarro & Sikorski, 2002).

Ces communications en situation de dépann age informatique à distan ce se déroulent, en plus, en situation réelle de travail. Elles sont « échangées spontanément dans le cours même de l’activité… » (Savoyant & Leplat, 1983, p. 247). Elles n’ont donc pas été provoquées pour les besoin de la recherche, ou créées artificiellement. Elles sont également s pontanées (ou « en temps réel ») et non pas échangées, après l’activité, s ur l’activité (c’est-à-dire de type réflexives).

84

Dans la mesure où ce son t des communications entre exp ert e t no n expert, ces communications sont asymétriques du point de vue des compétences informatiques entre les deux interlocu teurs : l’un est donc dit « expert » par rapport à l’autre, pas toujours « novice » mais ayant avoir moins de compétences que lui dans ce domaine : il fait appel à ses services . Autrem ent dit, les interlocuteu rs ne détiennent pas le même n iveau d e connaissances et d’exp ertise rel atif au dom aine en visagé (Nav arro, 1991 ; Na varro & Marchand, 1994 ; Mar chand & Navarro, 1995). Il s ont des savoirs hété rogènes et inégaux mais compl émentaires (Lacoste, 1 990 ; 1991) : l’ expert possède l’ex périence, la capa cité d’interpréter, d’associer, il connaît les cas de figure, etc. quant à son interlocuteur, il sait ce qui s’est pa ssé avant la panne, en apprécie les conséquences, a son écran sous les yeux et peut manipuler l’ordinateur, etc. Enfin, tout en étant non expert, les utilisateurs sont plus ou moins compétents en informatique ; ils restent également des informateurs.

La construction d’un modèle de l’interlocuteur (l ’utilisateur) par l’expert et l’évaluation de ses connaissances dans l e domaine est important pour lui à la fois au niveau du trai tement du problème et au niveau du déroulement et des stratégies de dialogue (Falzon, 1989 ; Cahour & Falzon, 1991 ; Falzon, 1991 ; Falzon, 1994) :

 Au niveau du trai tement du problème : pl us l’utilisateur s emble compétent, plus le problème qui lui est soumis risque d’être complexe ; en revanche, s’il est novi ce, l’expert a p lus de ch ance d’ être face à u n pr oblème plus simple, du moins plus fréquent.

 Au niveau du dér oulement du dialogue : fa ce à u n in terlocuteur peu ou non compétent dans le domaine, l’ex pert pr end génér alement assez rapidem ent l e contrôle d e la c onversation en pr oposant un jeu de questions : il connaît les questions p ertinentes et sus ceptibles d e ga gner du t emps en allant le plus directement au but. En revan che, un inte rlocuteur compétent sait généralem ent parfaitement exposer l’objet d e son app el et traiter efficacement les questi ons ouvertes en don nant d es ré ponses qui éclairent l’exp ert dans le dia gnostic et l a résolution du problème.

Les dialogues entre ex perts et util isateurs sont des dialogues d e rés olution de problème qu’on oppose souvent aux dialogues de transferts de connaissances (clairement orienté vers la transmiss ion d’un savoir ou savoir-faire d’un tu teur v ers un tutoré). Les dial ogues d e

85

résolution de problème sont, quant à eux, focalisés sur la résolution conjointe d’un problème commun (Falzon, 1994, p. 305).

Si je pr ends maintenant la ty pologie de Walton & Krabbe (1995) qui distingue 6 dialogues- types de bases (en l’ occurrence : persuasion , négociati on, affronte ment, investigati on, délibération, recherche d’information) ; chaque type se subdivisant en sous-types, et chaque type ayant s a propre logique, ses règles et son but (Iones cu & Blanchet, 2006). Il n’est, en fait, pas évident d’y classer les dial ogues expe rts - utilisateurs. Ils paraissent, à première vue, appartenir au so us-type du dialogue type « recherche d’information » : ils se rvent bien à combl er un manqu e d’informati on, e t il se met ef fectivement e n place u ne sorte « d’interrogatoire » p our renseig ner ce ma nque ; mais ce manque d’information à c ombler n’est pas le but princip al de l’écha nge entre les deux prot agonistes. Le but essentiel est l a résolution de la panne apportée par l’utilisat eur et cette recherche d’i nformations est en quelque sorte un m oyen pour s ervir ce but ulti me. On s’approcherait donc également ainsi des dialogues types de bases « investigation », voire « délibération » (Walton & Krabbe, 1995 ; Trognon & Bromberg, 2006).

Les communicati ons entre expert et utilisateurs en situation de dépannage informatique peuvent enfin être considérées comme des transactions, au sens de « situations d’interaction conventionnellement surdét erminées qui s’organisent en fo nction des at tentes et de s rôles institutionnalisés qu’elles portent. Une transa ction ren voie à une structur e inter locutoire reconnaissable do nt l’o rganisation, socialem ent accompli e, est régie par un ens emble d e règles » (Trognon, 1999, p. 78). Les rôles des deux pr otagonistes sont clairs et ne portent pas à nég ociation, et les attent es mutuelle s, mêmes explicit es, sont é galement no n ambigües : il s’agit de résoudre le problèm e dans les meilleurs délais pour l’un, et aider à la résolution en donnant les informations demandées pour l’autre. Cette transaction est de type commercial, avec une contrainte temporelle.

5.2. Différenciation des interactions selon la nature du problème signalé et