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5.1 « User-Centered Design » (UCD)

6. Analyse des problématiques clients

6.1 Définition d’un utilisateur

Dans tous les cas, ces trois objets intermédiaires de conception (profils d’utilisateurs, persona, scénario d’usage) permettent de construire un langage commun entre les concepteurs ainsi qu’entre les concepteurs et les utilisateurs afin de faciliter la compréhension de toutes les parties prenantes d’un projet d’innovation.

Pour conclure, la conception centrée utilisateur est une philosophie et une démarche en conception visant à coupler un besoin et une offre. Dans un premier temps, la doctorante étudie comment sont analysés les problèmes existants ou émergents chez un client. Dans un second temps, cet état de l’art présente les outils et méthodes pour générer des idées et décrire les besoins fonctionnels de solutions répondant aux problèmes identifiés.

6. Analyse des problématiques clients

6.1 Définition d’un utilisateur

Comprendre les problèmes des utilisateurs est une phase nécessaire dans le développement d’une innovation. La littérature démontre que le terme « utilisateur » (ou « user ») a été banalisé. Norman et al (1995) a été un des premiers auteurs à évoquer la notion d’ « expérience utilisateur » (ou « user

experience »). Cette expression englobe toutes les caractéristiques de l’interaction d’une personne

avec un système. Alben (1996) met l’accent sur la « qualité de l’expérience » c’est-à-dire l’ensemble des émotions des utilisateurs, leur compréhension du fonctionnement du système avec lequel ils interagissent ainsi que l’atteinte de leurs objectifs. La théorie de l’activité et la cognition distribuée proposent de concevoir le produit utilisé comme un médiateur entre l’utilisateur et l’activité. Par conséquent, la notion d’ « utilisateur » est dépendante de son environnement. Un individu est alors utilisateur lorsqu’il interagit avec un système. Cette activité fait émerger des sensations positives ou négatives (satisfactions ou frustrations) et permet d’atteindre de façon plus ou moins efficiente des buts. Redström (2006) vient corroborer cette définition : « à partir du moment où une personne se

tourne vers un objet, l’invite à faire partie de son monde, en prend possession, il se pourrait qu’elle décide de commencer à l’utiliser pour atteindre quelque but ; et à partir du moment où elle commence à utiliser l’objet, elle devient « utilisateur ». Le rôle central de l’objet dans la définition de ce qu’est un « utilisateur » vient du fait qu’il n’y a pas d’utilisateur d’objets qui n’existent pas. ».

Du terme « utilisateur », découlent plusieurs concepts comme l’ « utilisabilité » et l’« utilité ». L’ « utilisabilité » fait référence à la « capacité d’un produit employé par des utilisateurs spécifiés à

atteindre des buts spécifiés avec efficacité, efficience, et satisfaction dans un contexte spécifié d’utilisation » (ISO, 1998). D’un autre côté, l’ « utilité » a été définie comme (Davis, 1989) « le niveau de conviction d’une personne percevant l’utilisation d’un système particulier comme un moyen d’amélioration des performances dans son activité ». L’utilité et l’utilisabilité sont deux critères

impactant la valeur perçue par un acteur vis-à-vis d’un produit (Yang et al, 2016). La valeur perçue a été définie (Dodds et al, 1991) comme le ratio entre les bénéfices perçus et les sacrifices perçus. Zeithmal (1988) propose de la définir comme une évaluation globale de l’utilité d’un produit par le consommateur. Cette évaluation est basée sur leur perception de ce qui est reçu et donné. Ainsi, l’utilité et l’utilisabilité impactent la valeur perçue. Ils permettent donc d’anticiper sur l’utilisation effective d’un produit et donc sur la conversion d’un individu quelconque en utilisateur.

Comme énoncé, l’utilisateur évalue le produit avec lequel il est en interaction. Il constitue donc une source d’information pour le processus d’innovation et en particulier pour la phase d’identification des opportunités comprise comme une étape de découverte des problématiques clients. Des recherches en innovation et marketing ont démontré que cette phase devait être réalisée en ciblant non pas

62 uniquement des utilisateurs quelconques mais aussi des « lead users » pour Von Hippel (1988) et des « non clients » pour la Stratégie Océan Bleu (Kim et Mauborgne, 2015). Les « lead users » font face à des problématiques bien avant la majorité des utilisateurs sur le marché (Von Hippel, 1988). Ils représentent donc une source d’informations clés pour découvrir les problèmes chez les clients et pour anticiper sur la phase de génération des idées.

Par ailleurs, deux catégories d’utilisateurs existent. Buur et Windum (1994) distinguent :

 Les utilisateurs primaires ou utilisateurs finaux : ils emploient le produit pour effectuer les tâches pour lesquelles le produit a été conçu. Les auteurs prennent l’exemple d’un conducteur de camion.

 Les utilisateurs secondaires : ils n’emploient pas le produit pour les mêmes tâches que les utilisateurs finaux. Par exemple, les personnels de maintenance et de réparation interviennent dans cette catégorie.

En général, le terme « utilisateur » se réfère aux utilisateurs primaires.

Certains acteurs ont un comportement de type offensif. Ce comportement consiste à saisir des opportunités en vue d’améliorer sa situation (Montoussé, 2008). Par conséquent, si les acteurs interagissant avec les utilisateurs primaires voient un intérêt personnel à ce que les utilisateurs finaux acceptent un produit alors ils seront moteurs dans son adoption. En se référant de nouveau à la définition de l’« utilité », percevoir un intérêt personnel signifie présager d’une augmentation de performances dans les activités propres d’un individu.

Pour conclure, il est donc nécessaire de cibler les utilisateurs et les acteurs qui interagissent avec eux pour comprendre les problématiques des clients et ainsi concevoir un produit ou service permettant d’augmenter les performances des activités pour ce groupe d’individus identifiés.

6.2 Définition d’un « Customer Concern » et des méthodes d’élicitation

L’expression « Customers Concerns » est équivalente à « customer pains » ou « douleurs clients ». Osterwalder et al (2015) décrivent ces douleurs comme « quelque chose qui ennuie les clients avant,

pendant et après la réalisation d’une tâche ou qui les empêche de réaliser la tâche. Les « pains » sont également les risques c’est-à-dire les résultats potentiels non souhaités relatifs à la réalisation d’une tâche. ». De nombreux autres auteurs corroborent cette définition. Power (2014) évoque les « pains »

comme les problèmes que les clients veulent résoudre : des demandes provenant de leurs propres clients, des contraintes de temps et de budget, des dysfonctionnements relatifs aux produits et services, des risques pour leur carrière professionnelle. Les « Customer Concerns » ont également été définis (Markkula et al, 2011) comme les perceptions des utilisateurs relatives à leurs insatisfactions à atteindre leurs buts. Les perceptions ont été caractérisées comme les manières dont les utilisateurs ou des acteurs plus génériques déterminent et expliquent un problème donné. Les « concerns » sont les expressions négatives de ces perceptions (Rizzo et al, 2015). D’autres chercheurs (Mogendorff et al, 2013) décrivent ces « concerns » comme les émotions des utilisateurs relatives aux insatisfactions. Ces émotions négatives peuvent être expliquées par la mise en évidence de dysfonctionnements dans le couplage entre un individu et son environnement. Par couplage est entendu l’ensemble des interactions entre un individu et son système environnemental. Ces interactions sont déterminées par des « affordances », c’est-à-dire des opportunités d’action. Gibson (1977) a été le premier à faire émerger cette notion d’ «affordance ». Il définit ce terme comme l’ensemble des propriétés relationnelles d’un individu-environnement. Selon Woods et Roesler (2007), les « affordances » existent lorsqu’un artefact, dans le contexte d’usage, permet aux acteurs de percevoir, décider et agir dans leur environnement. Burlamaqui et Dong (2016) montrent que certains utilisateurs ont parfois des

63 difficultés à percevoir les « affordances » prévues par les concepteurs d’un objet. Cette observation illustre le fait que les « concerns », définis comme les expressions négatives des perceptions d’usage, peuvent être reliés à certains types d’ « affordance ». Par ailleurs, Bouchard et al (2009) propose la méthode « values-function-solution chaining » (voir Figure III-5).

Figure III-5 : Représentation du chainage « value-function-solution » (Bouchard et al, 2009) Cette méthode met en exergue les relations existant entre les attributs tangibles et intangibles d’un produit (« solution ») et les bénéfices recherchés par le consommateur (« function ») pour atteindre ses valeurs individuelles (« values »). L’instanciation des liens est réalisée par l’équipe de travail tout au long du processus de conception d’un nouveau produit. La partie « function » du modèle «

values-function-solution chaining » inclut la notion d’ « affordance ». En effet, les attributs d’un produit

peuvent avoir des conséquences dites fonctionnelles sur l’utilisateur. Ces dernières dérivent de l’usage ou des principales opportunités d’action d’un système. L’identification d’un dysfonctionnement dans le chainage « values-function-solution » par rapport à des produits existants pourrait guider l’identification de « Customer Concerns ».

La phase de découverte et spécification des « douleurs clients » fait partie intégrante du processus NPD19. Elle permet de s’assurer que le produit ou service conçu répond aux problématiques que les clients souhaitent résoudre pour leur « jobs-to-be-done » (Christensen, 2013). Pour les identifier, plusieurs façons de procéder existent (Pizelle et al, 2014) :

 Les entretiens : il s’agit d’interroger des utilisateurs primaires ou secondaires. Cette méthode permet de collecter des informations sur l’expérience de projets passés. L’entretien peut être mené de façon exploratoire ou semi-directive. Dans le premier cas, l’interviewé a tout le loisir d’approfondir son discours, ses « récits de vie » sans être réorienté par des questions intermédiaires. La reformulation permet de relancer l’échange. Dans le deuxième cas, des questions ouvertes suivies de relances permettent de recentrer le déroulement de l’interview sur la compréhension du contexte socioprofessionnel et environnemental de la personne interrogée.

 L’observation : le but est d’intégrer le terrain dit « naturel » de l’utilisateur pour l’observer dans la réalisation de ses tâches. Une phase de description succède à l’observation : des croquis, des photographies, des échanges retranscrits sur le vif sont reportés et documentés. Comme évoqué, Radical Innovation Design est une méthodologie permettant d’explorer le

« Front End of Innovation » (Yannou, 2015). Une des premières étapes consiste à définir les

problèmes des clients. Pour cela, il s’agit d’observer les clients en situation d’usage pour identifier et caractériser les problèmes qu’ils rencontrent dans leurs activités, puis d’organiser ces problèmes ou « pains » en relations de causes et d’effets dans un graphe de causalité.

64  Des recherches documentaires : dans ce cas, des informations sont collectées à partir de base de données de projets précédents ou encore à partir de sources extérieures à une entreprise (Internet par exemple). Le croisement de sources permet de lever un doute. Zhan et al (2007) décrit les « Customer Concerns » en élaborant une extraction de phrases énoncées lors de revues ou interviews clients sur internet.

Comprendre les méthodes pour identifier les « Customer Concerns » n’est pas suffisant. Il s’agit désormais de les décrire. Pizelle et al (2016) proposent des catégories d’informations pour les caractériser :

 Les causes : Un problème est connecté à un système. Il existe des causes à l’origine du problème.

 Les effets : Le problème a des conséquences souvent non désirées.

 Les palliatifs : Les utilisateurs mettent parfois eux-mêmes en place des solutions plus ou moins efficaces et pérennes pour répondre à leurs difficultés. Ces palliatifs ne sont pas spontanément révélés lors d’interviews. L’observation in situ permet de les mettre en exergue.  Les critiques des palliatifs : La solution ne soigne souvent qu’en apparence et agit sur les

conséquences visibles du problème sans s’attaquer aux causes.

Une fois identifiés et décrits, les « pains » sont considérés comme des outils pour déterminer les besoins clients eux-mêmes transcrits en exigences clients. Ce sont donc des informations nécessaires à l’étape de génération des idées dans la phase amont du processus d’innovation « Fuzzy Front End of

Innovation » mais également dans la phase de développement du produit. Les trois notions « pains »,

besoins et exigences sont étroitement liées.

Un « requirement » est considéré comme « une caractéristique que le concepteur doit apporter à la

solution lors de sa conception » (Chakrabarti et al, 2004). Dorfman et Thayer (1990) normalisent dans

IEEE la définition en décrivant une exigence comme :

 Une condition ou capacité requise par l’utilisateur pour résoudre un problème ou atteindre un but.

 Une condition ou capacité que doit posséder un système ou le composant d’un système pour satisfaire un contrat, une norme, une spécification ou d’autres documents formels imposés.  Une représentation documentée d’une condition ou capacité énoncée ci-avant.

Un besoin est un désir identifié parmi les parties prenantes du projet d’innovation (ici les utilisateurs primaires ou secondaires) (Eodice, 2000). Il est également défini comme une caractéristique psychologique qui incite un organisme à se mettre en action pour atteindre un but (Online Dictionary and Translations, 2015). La notion de « mise en action » permet de rebondir sur la théorie des pratiques appartenant au domaine des sciences sociales. Cette théorie explique que le comportement observable des individus est la conséquence de l’existence et de l’interdépendance entre (Shove et al, 2012) :

 Les significations : les attentes, les croyances, les buts, les émotions, humeurs, idées ou aspirations provenant de la mise en action, de l’exécution de tâches.

 Les compétences : connaissance et aptitudes pour mener à bien une tâche.  Le matériel : les outils et infrastructures nécessaires à la tâche.

Cette théorie considère une pratique comme une entité faisant interagir ces trois éléments. Elle propose de se recentrer sur leur analyse et non sur les individus. Cette méthode d’analyse constitue une aide à la formulation des besoins clients.

65 Pour conclure, les « Customer Concerns » représentent des difficultés ou émotions négatives ressenties par les utilisateurs primaires ou secondaire en situation d’usage. Ces douleurs sont ensuite transposées en besoins clients pour comprendre leurs aspirations et donc ce qui les met en action. L’analyse des exigences est un processus clarifiant les besoins pour les transformer en « requirements » (exigences) à savoir ce que doit posséder comme caractéristiques un produit ou un service (Arikoglu, 2011). La Figure III-6 positionne les transformations des trois notions précédentes (« concerns », besoins clients et « requirement ») dans le temps.

Figure III-6 : Processus de transformation d’un « Customer Concern » en « requirement »

6.3 Analyse des limites des méthodes d’élicitation des « Customer