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CHAPITRE II Les éléments du cadre théorique

2.5 Les domaines mal-définis : de l’IA au STI

2.6.1 Définition et caractéristiques

L’expertise se définit comme un haut niveau de connaissances et de compétences. Les perspectives des chercheurs diffèrent quant à la définition ainsi que la nature intrinsèque de l’expertise. Ainsi, Ericsson et ses collègues caractérisent l’expertise par les performances supérieures dans le domaine. Quant à (Hatano et Inagaki 1986), ils distinguent deux catégories d’experts qui se caractérisent certes par leurs performances supérieures, mais se distinguent par :

1. Une maitrise de procédures utilisées à plusieurs reprises et peaufinées par l’expérience

2. Une bonne connaissance fondamentale renforcée par l’expérience ce qui leur permettra de justifier pourquoi certaines stratégies ou procédures ne peuvent pas être optimales, déterminer les approches pour supporter l’évolution et l’adaptation en réponse aux changements dans l’environnement, etc.

Hatano et Inagaki appellent la deuxième catégorie les experts adaptatifs et ces derniers représentent l’essence de l’expertise. Quelles que soient les perspectives (Ericsson, Charness et al. 2006) dégagent certaines caractéristiques de l’expertise qui font l’unanimité à savoir :

▪ Requière une appropriation, optimisation et extrapolation par rapport aux habiletés spécifiques d’un domaine grâce à l’expérience.

▪ Requière une meilleure représentation et organisation des connaissances du domaine ce qui améliore la mémorisation et le rappel.

▪ Émerge d’un cadre et d’une structure d’accompagnement appropriés.

▪ Se manifeste par des performances supérieures et fiables dans la résolution des problèmes du domaine. Ceci s’explique par la génération de meilleures solutions par rapport à des critères et l’utilisation d’heuristiques de résolution.

▪ Requière une reconnaissance et crédibilité au sein d’une communauté de pratique.

Il y a toutefois certaines limites/faiblesses caractéristiques de l’expertise. Par exemple, la difficulté de transposer les connaissances expertes dans d’autres domaines, car elles sont généralement spécifiques et contextualisées et aussi l’excès de confiance que pourrait avoir un expert en ses connaissances implicites, ce qui pourrait l’amener à un jugement biaisé ou des prédictions inexactes.

Les étapes caractéristiques de l’évolution du novice à l’expert ainsi que les modes d'acquisition ont fait l'objet de nombreuses recherches au cours des dernières décennies. Sans toutefois faire l'unanimité, ce processus est d'abord analytique, puis global, où l'intuition joue un rôle important au stade expert. Le modèle d’acquisition de compétences de Dreyfus s’inscrit dans cette perspective. Ce modèle est né au début des années 80 à la suite des recherches réalisées à l’université de Berkeley par les frères Dreyfus : Hubert Dreyfus philosophe et Stuart Dreyfus mathématicien. En 1986, dans leur livre "Mind over Machine" (Hubert Dreyfus 1986), les deux frères exposent leur modèle d’acquisition des compétences dans lequel ils démontrent que la notion d’intelligence humaine est nettement plus complexe que la manipulation de symbole avec des règles et procédures formelles indépendamment du contexte comme proposé par le paradigme cognitiviste dominant à cette époque. Ils prennent pour preuve la variation des résultats selon qu’un même problème soit présenté dans un contexte abstrait ou dans un contexte pratique. Ils démontrent ainsi que la prise en compte du contexte est l’une des caractéristiques essentielles de l’intelligence humaine et intrinsèquement liée au processus d’acquisition d’expertise. Le modèle de Dreyfus fournit une grille de lecture de l’apprentissage et d’acquisition de nouvelles compétences. Le tableau 1 résume ces étapes d'acquisition ainsi que la description associée.

Étapes Description

Novice

La personne a peu ou aucune expérience de situations réelles. Il lui est donc difficile de prévoir la réussite de ses actions. De plus, il a pour objectif premier d'obtenir rapidement des résultats et non de comprendre comment les obtenir. De ce fait, il est facilement perturbé par la moindre difficulté ou imprévu. Le novice attend qu’une personne le guide en lui fournissant des règles ‘absolues’, faisant abstraction du contexte, à appliquer.

Débutant avancé

La personne commence à assimiler les schémas d’action et les règles. Il commence tout juste à prendre conscience du contexte.

Le débutant avancé reste concentré sur ce qu’il réalise et est toujours conscient de ses actes. Il n’a pas pris de recul sur ce qu’il a compris et ne peut donc pas tout faire. Il n’a pas encore les bons réflexes et reste en fonction des règles, se retranchant derrière elles au moindre problème.

Compétent

La personne commence à classer et à trier les éléments pertinents de ceux qui sont insignifiants créant ainsi des 'perspectives'. Ceci est construit sur la base de ses expériences qui sont plus nombreuses.

Le compétent choisit une perspective face à une nouvelle situation. Cela lui permet de réduire le nombre de paramètres à prendre en compte et de faciliter ainsi sa prise de décision.

Efficace/ Spécialiste

La personne commence faire place à l’intuition pour reconnaitre la situation en lieu et place de la théorie. L’analyse de la situation devient 'intuitive', alors que la prise de décision se fait toujours de manière consciente et planifiée en suivant des règles et des procédures.

Le spécialiste essaye de comprendre le contexte général et d’en extraire une perspective d’ensemble ainsi que les éléments pertinents.

Expert

La personne ne dépend plus du raisonnement conscient pour passer de la compréhension d'une situation à la prise de décision.

L'expert a un bagage imposant d'exemples de situations réelles. Une « reconnaissance » intuitive de la situation et se centre immédiatement sur les

aspects pertinents sans formuler d'hypothèses non productives. Il voit spontanément ce qu'il doit faire, sans avoir à raisonner de façon consciente.

Tableau 1 : Étapes d'acquisition d’expertise ainsi que la description associée

Ce tableau est très intéressant, mais il soulève l’évolution du lien entre connaissances et application de celles-ci en contexte. En fait l’expert reconnaît le contexte puis applique les règles dans ce contexte. Au niveau du suivi oculaire, cela implique des différences.

Les caractéristiques des cinq niveaux issus du modèle de Dreyfus montrent que le processus d’acquisition passe graduellement d’un stade caractérisé par un comportement analytique basé sur des connaissances et procédures consciemment suivies à un stade où les notions de contexte, de vision globale et d’intuition prennent le dessus. Un tel modèle qui souligne la nécessité de l’interaction avec l’environnement dans le processus d’acquisition, de maintien et de développement de la connaissance et de l’expertise confère à la cognition incarnée toute sa pertinence comme paradigme. Ce paradigme se distingue des paradigmes de la cognition autonome comme le symbolisme et le connexionnisme en supposant que le cerveau existe dans un corps, le corps existe dans le monde, bouge, agit, se reproduit, rêve, imagine ; c'est de cette activité permanente qu'émerge le sens de son monde et des choses (Francisco Varela 1993).