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I.6 Conclusion

II.1.2 Définition de l’agilité

Le concept d’agilité a émergé avec l’évolution des relations industrielles, relations ca- ractérisées comme la « transformation d’une structure cristalline vers un environnement fluide » [Bénaben et al., 2007] ou bien comme « la transformation d’une construction statique de Lego© vers un organisme vivant » [Luzeaux and Ruault, 2008].

Ces métaphores reflètent l’évolution des collaborations entre des entreprises et des organisations au sens large. Elles ne sont plus fondées sur une vision à long terme qui reste difficile à établir dans le contexte économique, politique et social actuel. De nos jours, elles sont basées sur des collaborations opportunistes, rapidement établies et tout aussi rapidement dissoutes.

L’agilité est prosaïquement définie comme la qualité de ce qui est agile, c’est-à- dire « qui manifeste de la promptitude et de l’aisance dans ses mouvements » [CNRS, 2013]. Si l’intérêt pour l’agilité des processus collaboratifs va croissant, il est intéressant de remarquer que très peu d’auteurs s’intéressent à définir ce qu’est cette agilité des processus collaboratifs (ou du moins à expliciter l’approche retenue) et se concentrent sur la mise en œuvre technique de cette dernière. Il nous faut donc adopter un angle d’attaque différent afin de définir cette agilité des processus collaboratifs. Le fait que les organisations mises en jeu dans les processus collaboratifs puissent être perçues comme constituant une même organisation virtuelle et éphémère, et que leurs fonctions soient mises à disposition de la collaboration et assemblées en vue d’atteindre le but commun (production de services essentiellement, dans le cas présent) nous amène à étudier les notions d’agilité de l’entreprise et d’agilité des chaînes logistiques1. Une étude de la

littérature nous montre combien ces notions sont discutées depuis deux décennies. A travers les différentes définitions et visions présentées, nous chercherons à faire émerger une définition de l’agilité applicable aux processus collaboratifs.

II.1.2.1 Agilité de l’entreprise

Dans la littérature, nombre des définitions concernant l’agilité convergent vers le fait qu’une entreprise ne peut être qualifiée d’agile que si elle peut s’adapter aux variations du contexte dans lequel elle opère. Certains auteurs, tel Badot [Badot, 1998], évoquent la reconfiguration du système : l’entreprise agile tend vers « la vente à chaque client de solutions complètes combinant des biens, des services et de l’information, à un niveau élevé de différenciation et à des prix de série ». Il s’agit alors de pouvoir suivre une de- mande spécifique (différenciation) en minimisant le coût de cette réponse (prix de série). Lindberg évoque lui aussi la nécessité pour l’entreprise de travailler avec ses clients afin de les aider à identifier leurs problèmes et leurs exigences et d’acquérir les fonctionnalités nécessaires juste avant d’en avoir l’usage [Lindberg, 1990].

1. Une chaîne logistique est une réseau d’organisations —qui supporte des flux physiques, informa- tionnels et financiers— impliquées par des relations en amont et en aval, dans différents processus et activités, qui fournissent un produit ou un service, dans le but de satisfaire le client [Christopher, 2010].

Pour Kidd [Kidd, 1994], l’agilité se traduit par une « adaptation rapide et proactive d’éléments de l’entreprise à des changements inattendus et imprévus ». Sharifi [Sharifi and Zhang, 1999] abonde dans ce sens en définissant l’agilité comme la « capacité à faire face à des changements inattendus, pour survivre à des menaces sans précédent dans l’environnement, et de faire de ces changements des opportunités ». Dans le do- maine des systèmes d’information, l’agilité est perçue comme « l’habilité conjointe de créer et de répondre aux changements d’un environnement turbulent au profit de l’en- treprise » [Highsmith, 2002].

Nous pouvons constater à travers la répétition de certains mots-clés (adaptation, chan- gement) que la vision de l’agilité des entreprises est fortement liée à la production indus- trielle et à un besoin d’adapter l’outil de production à une demande fluctuante et de plus en plus exigeante en terme de personnalisation. Les auteurs discutent essentiellement du besoin de réactivité et d’adaptabilité dans un environnement instable.

D’autres articles font émerger la notion de détection. Ainsi, pour [Dove, 2002], l’agi- lité découle de deux capacités : d’une part la capacité de réponse, qu’il définit comme la capacité physique de réaction, et la capacité de détection, vue comme une capacité intel- lectuelle à trouver des éléments utiles sur lesquels agir. L’agilité est ainsi exprimée comme « la capacité à gérer et appliquer efficacement des connaissances, permettant à l’entre- prise d’avoir le potentiel nécessaire pour prospérer dans un environnement changeant et imprévisible ». D’après [Overby et al., 2006] il s’agit de la « capacité des organisations à détecter un changement dans l’environnement et à y répondre aisément ». L’auteur complète sa définition en ajoutant que « l’agilité en entreprise se compose en deux vo- lets : détection et réponse ».

Nous pouvons remarquer que cette notion de détection s’appuie sur la connaissance perçue par l’entreprise de son environnement, ce que l’on peut traduire par la sensibilité au contexte. Elle va se baser sur cette connaissance pour déterminer la nécessité de répondre à une éventuelle évolution de l’environnement.

II.1.2.2 Agilité des chaînes logistiques

Dans le domaine de la logistique, l’agilité est couramment définie comme la capacité à répondre à des changements imprévus [Sheffi, 2004] et se différencie de l’adaptation au fil de l’eau en réponse à un changement [McCullen et al., 2006]. Dans le Chapitre I, nous avons pu voir que les sources de changements imprévus étaient le théâtre de la collaboration ainsi que la collaboration elle-même.

[Charles, 2010] présente dans ses travaux de thèse une étude de l’agilité des chaînes logistiques. Après avoir croisé plusieurs articles discutant de la notion d’agilité et analysé les différentes facettes de l’agilité des chaînes logistiques, elle propose le cadre nommé « Maison de l’Agilité des chaînes logistiques » [Charles, 2010] [Lauras, 2012], présenté en Figure II.2. Ce cadre synthétise les principales capacités qui rendent une chaîne logistique agile : les définitions de ces capacités sont détaillées dans la Table II.2, également issue

des travaux de thèse de [Charles, 2010].

Figure II.2 – La Maison de l’Agilité, d’après [Charles, 2010]

Capacités Définitions CLC CLH

Flexibilité Flexibilité volume Capacité à changer le niveau de production totale [Slack, 2005]

+ +++

Flexibilité livraisons Capacité à changer les dates de livraisons planifiées ou présumées [Slack, 2005]

+ +++

Flexibilité mix pro- duit

Capacité à changer la gamme de produits livrés dans un temps donné [Slack, 2005]

++ +++

Flexibilité livraison Capacité à introduire de nouveaux pro- duits ou modifier ceux existants [Slack, 2005]

++ +

Capacité de réponse

Réactivité Capacité à rapidement identifier et évaluer les besoins

+ +++

Vélocité Capacité à couvrir rapidement les besoins + +++ Visibilité Capacité à connaître la nature, la localisa-

tion et le statut actuel et futur des entités en transit dans la chaîne logistique [Ver- non, 2008]

++ +

Efficacité Fiabilité (faire bien) Capacité à livrer la bonne quantité du bon produit, au bon endroit, au bon moment, en bon état, avec la bonne documentation, à la bonne personne [Council, 2010]

+++ ++

Exhaustivité (faire tout)

Capacité à réaliser les objectifs ++ ++

TableII.2 – Définition des concepts clés de l’agilité pour les chaînes logistiques, d’après [Charles, 2010] et [Lauras, 2012]

Pour construire ce cadre, [Charles, 2010] s’appuie sur les travaux de [Christopher and Towill, 2000] et de [Swafford et al., 2006] qui affirment que l’agilité d’une chaîne logis- tique repose sur la flexibilité. [Charles, 2010] étudiant plus particulièrement les chaînes logistiques humanitaires (qui fournissent une prestation de services), elle restreint en- suite la décomposition de la flexibilité donnée par [Zhang et al., 2003] aux capacités de « flexibilité en volume » et de « flexibilité en mix produit ». Elle s’appuie également sur la classification donnée par [Slack, 2005]. La flexibilité est ainsi vue comme la base indispensable pour obtenir une chaîne logistique agile, sur laquelle d’autres capacités nécessaires à l’agilité vont se positionner comme la capacité de réponse et l’efficacité.

Sur la base de cette étude, [Charles, 2010] propose la définition suivante : l’agilité est la « capacité de répondre rapidement et de façon adéquate aux changements à court terme concernant les demandes, l’approvisionnement ou l’environnement. Elle provient de la flexibilité, la capacité de réponse et l’efficacité des chaînes logistiques ».

La notion d’agilité dans les chaînes logistiques est très fortement liée à la capacité de production de biens. Or, dans le cadre de notre étude (agilité des processus colla- boratifs), l’objectif commun des acteurs de la collaboration n’est pas nécessairement la production de biens. Il peut s’agit de la fourniture de services. D’autre part, le point de vue adopté dans ces travaux de thèse est celui de la situation collaborative : il s’agit pour chaque acteur de mettre ses fonctions à disposition de la collaboration, qui va sélection- ner les services les plus pertinents afin de pouvoir exécuter un ou plusieurs processus collaboratifs. Que la fonction proposée par l’acteur et utilisée par le processus collabora- tif produise un bien ou fournisse un service, du point de vue de la collaboration il s’agit dans tous les cas d’un service.

De fait, la notion de flexibilité de production n’étant pas pertinente dans le cadre d’une fourniture de services, elle ne peut s’appliquer au domaine des processus collaboratifs. Dans son étude, [Charles, 2010] évalue chacune des capacités pour le domaine de la chaîne logistique commerciale (CLC) et le domaine de la chaîne logistique humanitaire (CLH). De par sa nature même (prestation de service, réponse rapide au changement), la CLH se rapproche plus des processus collaboratifs que les CLC. Nous privilégions donc les aspects de l’étude de la flexibilité menée par [Charles, 2010] qui concernent les CLH. Si l’on veut transposer la flexibilité présentée dans la Maison de l’Agilité au domaine des processus collaboratifs, il est possible de la voir comme la capacité de reconfiguration du réseau collaboratif (changer les activités des processus, changer leur ordre d’exécution par exemple) afin de prendre en compte les évolutions de l’environnement. La capacité de réponse est vue par [Charles, 2010] comme la combinaison de la réactivité, de la vélocité et de la visibilité. D’après les définitions attachées à ces capacités dans la Table II.2, nous pouvons constater que la réactivité et la vélocité sont favorisées dans le CLH : il faut en effet identifier, évaluer et répondre rapidement aux besoins. Nous trouvons ici la notion de détection du changement (qui a été abordée dans l’étude de l’agilité de l’entreprise) mêlée à la dimension temporelle (la réactivité). D’autre part, une collaboration n’étant

Composantes EA CLA Détection / Identification d’un changement +++ +

Adaptation / Réponse +++ +++

Efficacité ++

Réactivité +++ +++

TableII.3 – Synthèse des composantes apparaissant dans les définitions de l’agilité des entreprises et des chaînes logistiques

établie que dans le but d’atteindre un objectif commun, il semble pertinent de conserver la notion d’efficacité dans notre vision de l’agilité des processus collaboratifs afin de mesurer l’atteinte de l’objectif.

II.1.2.3 Synthèse

Des considérations précédentes, nous pouvons retenir les caractéristiques essentielles liées à la notion d’agilité des entreprises agiles (EA) et des chaînes logistiques agiles (CLA) et relever leur présence dans ces deux visions (Table II.3). Nous pouvons constater que l’adaptation et la réactivité sont les deux composantes qui apparaissent à niveau d’importance égale dans les définitions de l’EA et de la CLA Cependant, la définition de l’EA explicite la composante détection : la sensibilité au contexte dans lequel l’entreprise évolue est un point clé permettant de savoir à quel moment un changement nécessite la conduite d’une adaptation de l’existant, mais aussi de déterminer l’amplitude de l’adaptation à conduire sur la base de cette connaissance. De même, l’efficacité semble être une composante évoquée principalement dans le contexte de la CLA. L’efficacité constitue un bon indicateur de la performance de l’agilité des processus collaboratifs, permettant ainsi de mesurer la capacité de ces processus à évoluer en fonction du contexte afin de toujours satisfaire les objectifs de la collaboration. Cet indicateur peut également être utilisé à des fins d’apprentissage et de retour d’expérience afin de comprendre les implications des choix réalisés lors de l’adaptation vis-à-vis du résultat obtenu (en terme d’atteinte des objectifs).

Sur la base de cette synthèse des composantes essentielles de l’agilité des entreprises et des chaînes logistiques, nous proposons la définition de l’agilité des processus collaboratifs suivante : l’agilité des processus collaboratifs peut donc être vue comme la capacité d’un système à réaliser, dans le laps de temps le plus court possible ( réactivité), la détection de son inadéquation à l’environnement dans lequel il évolue et la mise en œuvre de l’adaptation nécessaire.

Cette définition peut se synthétiser par la formule suivante :

Formule 1 Agilité = (Détection + Adaptation) × (Réactivité + Efficacité)

Où :

• Détection : elle consiste à détecter une évolution de la situation qui ne peut être traitée par le système en place et qui rend le système inadéquat vis-à-vis du positionnement courant,

• Adaptation : relevant de la flexibilité, elle transcrit la capacité du système à faire évoluer sa définition et sa structure afin de redevenir pertinent (en terme de moyens et d’objectifs) vis-à-vis du positionnement courant,

• Réactivité : elle relie les notions de détection et d’adaptation à la dimension temporelle. Détection et adaptation doivent être menées à bien le plus rapidement possible (idéalement, en temps réel).

• Efficacité : elle relie les notions de détection et d’adaptation à la dimension de la performance. La détection doit être juste et l’adaptation doit être pertinente. Dans le cadre de ces travaux de thèse, nous nous attacherons à concevoir et mettre en œuvre les composantes de détection, d’adaptation et de réactivité. Si l’efficacité est une des composantes de l’agilité des processus collaboratifs, ce sont les travaux de thèse de Guillaume Macé Ramète [Macé-Ramète et al., 2012], actuellement en cours, qui s’at- tachent à ajouter des indicateurs de performance dans les modèles de situations colla- boratives et à les exploiter.

Il est à noter que la frontière entre la détection et l’adaptation reste floue, de par la nature même de ces deux notions : la détection ne peut se faire qu’en étudiant les éléments traduisant l’évolution de la situation et conduisant au diagnostic d’adaptation. Or ces mêmes éléments traduisant l’évolution de la situation vont servir à définir la stratégie d’adaptation à mettre en œuvre. Par exemple, si les services d’un partenaire ne sont plus disponibles, le processus ne peut plus les appeler en vue de les exécuter. Une solution d’adaptation possible pourrait être de chercher chez ce partenaire d’autres services pour remplacer ceux manquants, ou de changer de partenaire (pour peu qu’il propose des services remplissant les fonctions attendues). La détection et l’adaptation se recouvrent en ce sens qu’elles travaillent sur la même matière première. En outre, les étapes de détection et d’adaptation ne sont pas nécessairement séquentielles et chronologiques (voir Figure II.3). S’il paraît évident que l’adaptation ne peut se faire sans avoir effectué la détection, cela ne signifie pas que la détection s’arrête lors de l’exécution de l’adaptation. Elle peut continuer à s’exécuter, mais elle doit prendre en compte le fait que si une action d’adaptation est réalisée, le modèle de référence de la situation est modifié. En effet, l’adaptation étant réalisée à partir de la connaissance extraite de la caractérisation de la collaboration et de son contexte (i.e. le modèle de la situation) à l’instant t où un besoin d’adaptation a été détecté, c’est ce modèle à l’instant t qui devient la référence pour les actions de détection futures.