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Déficits de « reality monitoring » et de mémoire des actions : Evidences

CHAPITRE 3. Vérification et déficits mnésiques

4. L A MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE SELON C ONWAY

5.1. Déficits de « reality monitoring » et de mémoire des actions : Evidences

Les premiers travaux qui ont abordé la question de la mémoire des actions chez les personnes TOC avec symptômes de vérification sont ceux de Reed (1977, 1985). Dans son étude de 1977, Reed s’est intéressé à des personnes avec trouble de la personnalité obsessionnelle (personnalité anankastique), et a observé que lorsqu’on leur demandait de relater un événement récent qu’elles avaient personnellement vécu, elles le faisaient notamment en se plaçant du point de vue d’un observateur extérieur (point de vue O) et en rapportant principalement des informations de nature visuelle, contrairement aux

personnes de contrôle qui rapportaient des informations en lien avec plusieurs modalités, y compris la modalité kinesthésique. Considérant l’existence de caractéristiques communes aux personnalités anankastiques et aux personnes présentant des symptômes de vérification (par exemple le doute ou le besoin de précision) et à partir des observations cliniques de patients avec symptômes de vérification, Reed (1977, 1985) a suggéré que les comportements de vérification seraient associés avec certaines particularités du fonctionnement mnésique. Plus spécifiquement, les souvenirs des personnes avec symptômes de vérification seraient caractérisés par une perspective d’observateur extérieur et une focalisation sur la modalité visuelle au détriment de la modalité kinesthésique, ce qui rendrait les souvenirs de ces individus moins personnalisés. Selon Reed, les personnes avec symptômes de vérification auraient ainsi des difficultés à identifier leur implication personnelle dans le souvenir de leurs actions, et l’action serait rappelée comme si elle n’était pas vraiment réalisée par le patient lui- même. Reed (1985) cite ainsi plusieurs de ses patients déclarant par exemple « I remember doing it in a way, but it’s all fuzzy », « Usually I can remember that I have done it, but the memory isn’t clear somehow » ou « I think I remember all right. But it’s blurry somehow – as though I am not here ». Les rituels de vérification pourraient ainsi être compris comme une tentative pour augmenter la qualité personnelle du souvenir. Cependant, ces tentatives échoueraient car chaque vérification constituerait en fait un nouvel épisode, dont le souvenir comporterait les mêmes limites.

Depuis les travaux de Reed, un certain nombre d’études se sont penchées sur la question du « reality monitoring » et plus largement sur la mémoire des actions dans la vérification et ont proposé différents paradigmes expérimentaux pour l’explorer. Ainsi, Sher et ses collaborateurs ont entrepris une série d’études visant à examiner les capacités de mémoire des actions chez les personnes avec symptômes de vérification. Dans leur première recherche (Sher et al., 1983), ils ont constitué quatre groupes selon les scores de 358 participants à l’Inventaire des Obsessions Compulsions de Maudsley (MOCI - Rachman & Hodgson, 1980). Le premier groupe rassemblait les participants avec symptômes de vérification et de lavage (les « vérificateurs laveurs », N = 13), le deuxième groupe comportait les personnes avec symptômes de vérification sans symptômes de lavage (les « vérificateurs non laveurs », N = 13), le troisième groupe regroupait les individus avec symptômes de lavage mais pas de vérification (les « laveurs non vérificateurs », N = 13) alors que le dernier groupe était constitué des participants ne présentant ni symptômes de lavage ni symptômes de vérification (les « non laveurs non vérificateurs », N = 15). Les participants ont été soumis à sept tâches cognitives : 1) une tâche de « reality monitoring » dans laquelle on présentait aux participants un mot suivi de son contraire (chaud : froid) ou un mot présenté avec la première lettre du mot opposé (nord : s…). Les participants devaient soit lire le mot opposé s’il était présenté, soit produire mentalement le mot opposé si seule la première lettre était inscrite. Dans une tâche ultérieure, ils devaient indiquer, pour chacun des mots, s’il avait été lu ou produit mentalement. Ils devaient également évaluer la qualité de leurs performances sur une

échelle de 50 % (niveau de la chance) à 100% (performance parfaite) ; 2) une tâche de reconnaissance simple pour contrôler les capacités de reconnaissance de base ; 3) une tâche d’attention sélective (barrage de lettres) ; 4) une tâche d’attention divisée ; 5) l’Inventaire des peurs (« Fear Survey Schedule » - Wolpe & Lang, 1964) ; 6) un questionnaire évaluant les croyances face à la responsabilité ; et 7) un questionnaire concernant la fréquence quotidienne des vérifications, créé par les auteurs eux-mêmes (« Everyday Checking Behavior Scale », ECBS). A la fin des sept tâches, les participants devaient rappeler toutes les tâches auxquelles ils avaient participé précédemment et les décrire brièvement. Le nombre total de tâches rappelées constituait ainsi une mesure de mémoire des actions. Les résultats mettent en évidence une moins bonne mémoire des actions chez les personnes avec symptômes de vérification ainsi qu’une sous-estimation de leurs capacités de « reality monitoring ». Aucun déficit objectif de « reality monitoring » n’est en revanche mis en évidence chez les participants, mais il faut noter la présence d’un effet plancher.

Dans une autre étude, Sher Mann et Frost (1984) ont à nouveau créé quatre groupes (constitués chacun de 12 personnes) issus d’une population étudiante, en utilisant un score composite formé des scores du MOCI et du ECBS. Ces quatre groupes incluaient les personnes qui ne vérifiaient pas, celles qui vérifiaient peu souvent, celles qui vérifiaient occasionnellement et celles qui vérifiaient fréquemment. Tous les participants devaient aussi remplir une version abrégée de l’échelle de mémoire de Wechsler (WMS - Wechsler & Stone, 1945), le « Cognitive Failures Questionnaire » (CFQ - Broadbent, Cooper, FitzGerald, & Parkes, 1982) évaluant les difficultés de concentration, les étourderies ou les oublis de la vie quotidienne, la « Penny task » impliquant de dessiner de mémoire une pièce de monnaie (Neisser, 1982), le BDI (Beck, Ward, Mendelson, Mock, & Erbaugh, 1961), la STAI (Spielberger, Gorsuch, & Lushene, 1970) ainsi que 3 mesures comportementales de vérification. Comme dans l’étude précédente, le rappel libre des tâches effectuées au cours de l’expérimentation constituait la mesure de mémoire des actions. Les analyses révèlent des corrélations négatives entre la vérification et les scores au CFQ et au WMS (en particulier le sous-test de mémoire logique ou mémoire de récits) ainsi qu’une corrélation négative (tendanciellement significative) entre vérification et mémoire des actions. Les auteurs en concluent qu’il existe un déficit de mémoire dans la vérification, et ce plus spécifiquement concernant la mémoire significative, comme la mémoire d’actions ou la mémoire de récits.

Dans une troisième étude, Sher et al. (1989) ont à nouveau confirmé la présence d’un déficit de mémoire des actions chez les vérificateurs, mais cette fois dans une population psychiatrique de patients souffrant de troubles divers, tels que troubles de l’humeur, dépendance à l’alcool ou problèmes de couples. Le niveau de vérification était à nouveau évalué à l’aide du MOCI. Les 27 participants classés comme « vérificateurs » et les 32 classés comme « non vérificateurs » ont été soumis à une série de questionnaires (CFQ et ECBS, Symptom Check List 90-Revised - Derogatis, 1983; Eysenck Personality Inventory - Eysenck & Eysenck, 1968), à la WMS (Wechsler & Stone, 1945), à un test de vocabulaire

(« Peabody Picture Vocabulary Test » - Dunn, 1959) ainsi qu’à une tâche de mémoire autobiographique. Dans cette dernière tâche, les participants devaient raconter leurs dernières vacances (récit qui était enregistré). Ils devaient ensuite évaluer (sur une échelle de 1 à 9) l’importance des détails visuels, auditifs, kinesthésiques, olfactifs et émotionnels contenus dans le souvenir de leurs vacances. Ils devaient également évaluer globalement la vivacité de leur souvenir sur une échelle de 1 à 7. A nouveau, la mémoire des actions était évaluée par un rappel libre des différentes tâches effectuées, suivi d’une phase de reconnaissance de ces tâches. Les auteurs constatent principalement que les « vérificateurs » présentent un déficit de mémoire des actions, un quotient de mémoire (score à la WMS) moins élevé, ainsi que des scores plus élevés au CFQ que les « non vérificateurs ». Concernant la tâche de mémoire autobiographique, les « vérificateurs » ont tendance à présenter une moins grande vivacité de leur souvenir et à moins utiliser l’imagerie visuelle que les « non vérificateurs ». Ce résultat ne confirme donc pas les propositions de Reed (1977, 1985) qui considérait que les personnes TOC se fondent davantage sur la modalité visuelle que kinesthésique, mais suggère au contraire que l’imagerie visuelle pourrait également être déficitaire chez des personnes souffrant de symptômes de vérification.

De façon générale, une limite des travaux entrepris par Sher et al. concerne le matériel utilisé pour évaluer la mémoire des actions. En effet, les « actions » utilisées par ces auteurs sont constituées de tâches diverses qui sont assez éloignées des actions suscitant des comportements de vérification et qui n’impliquent pas de façon claire des informations motrices ou kinesthésiques. D’autres études ont cependant utilisé un matériel plus adéquat pour évaluer la mémoire des actions. Par exemple, Sheffler- Rubenstein, Peyniroglu, Chambless et Pigott (1993) ont observé un déficit de mémoire des actions mais également de « reality monitoring » en lien avec la vérification à l’aide de plusieurs paradigmes. Vingt personnes avec symptômes de vérification et vingt personnes de contrôle ont été sélectionnés à partir d’une population de 314 étudiants selon leurs scores au MOCI (Hodgson & Rachman, 1977). Lors de la première session (expérience 1, voir Tableau 2), on leur proposait 90 phrases décrivant des actions (ex : « faites le tour de la salle 4 fois ») qu’ils devaient soit écrire, soit réaliser, soit observer (on montrait alors une cassette vidéo de l’action réalisée par une autre personne). Après cette phase d’encodage incident, une phase de rappel libre était proposée. On demandait aux participants d’écrire toutes les actions dont ils se souvenaient, puis d’indiquer pour chacune d’elles s’ils avaient dû l’écrire, la réaliser ou l’observer. Les données indiquent que les personnes avec symptômes de vérification rappellent moins d’actions et confondent plus souvent la modalité d’encodage (écrit, réalisé, observé) que les personnes de contrôle. Dans une seconde session d’expérimentation, trois tâches étaient proposées. Dans la première (expérience 2a), on présentait aux participants une liste de 50 mots (désignant des animaux, des meubles, des parties du corps humain, des professions et des sports) qu’on leur demandait de mémoriser. Après une tâche distractrice d’arithmétique, les participants devaient restituer le plus possible de mots dont ils se souvenaient. Après 2

minutes de rappel libre, on leur donnait une nouvelle feuille et on leur demandait à nouveau de rappeler le plus possible de mots, en leur précisant qu’il fallait essayer de ne pas donner les mots qu’ils avaient déjà rappelés précédemment. Cette procédure permettait d’évaluer la tendance à la persévération. Les données ne font cependant apparaître aucune différence entre les groupes, ni dans le rappel libre, ni dans le nombre de persévérations.

Tableau 2. Procédure utilisée par Sheffler-Rubenstein et al. (1993)

Tâches Résultats

1. Ecrire/réaliser/observer 90 actions Moins de rappel d’actions et problèmes de « reality monitoring »

2a. 50 mots à mémoriser Pas de déficit au niveau du rappel, ni de persévérations

2b. Vidéo d’un dessin animé Pas de déficit au niveau du rappel 2c. 60 paires de mots à générer (donner

le deuxième mot de la paire) ou à lire

Difficultés de « reality monitoring » (confusion entre mots lus et générés)

Dans la deuxième tâche de cette seconde session (expérience 2b), on proposait aux participants de regarder une vidéo de dessins animés, en leur faisant croire que c’était pour les relaxer. La séquence vidéo était en réalité suivie d’un rappel libre surprise dans lequel on demandait aux participants de noter tout ce dont ils se souvenaient du dessin animé. Cette procédure n’a toutefois pas permis de mettre en évidence de différence de performance mnésique entre les groupes. Dans la dernière tâche enfin (expérience 2c), les participants étaient soumis à 60 paires de mots qu’ils devaient mémoriser. Quinze paires étaient des synonymes (pays : nation) et 15 paires désignaient des catégories et des exemplaires de la catégorie (crime : viol). Dans 30 autres paires, le premier mot était donné mais les participants devaient compléter le deuxième mot qui était soit un synonyme, soit un exemplaire (ex : oiseau : cor….). Dans la phase de reconnaissance, on présentait les 60 paires précédemment étudiées, ainsi que 60 nouvelles paires, dont seul le deuxième mot différait par rapport aux paires étudiées. Les participants devaient indiquer pour chacune des paires si elle avait été étudiée précédemment et quel était leur degré de confiance dans leur réponse. Ils devaient ensuite indiquer s’ils avaient lu ou généré le deuxième mot de la paire. Dans cette tâche, les personnes avec symptômes de vérification présentent de meilleures performances que les personnes de contrôle. Cependant, ils sont plus enclins que les contrôles à rapporter qu’ils ont généré un mot qu’ils avaient en réalité lus. En conclusion, cette recherche révèle des déficits de mémoire et de « reality monitoring ». Ces déficits semblent plus particulièrement toucher les

actions réalisées (expérience 1) et non les actions visionnées (expérience 2b). Enfin, le matériel verbal semble donner lieu à des résultats contrastés (expérience 2a et 2c). Cette étude souligne donc l’importance du type de matériel utilisé (en l’occurrence l’importance de sélectionner des actions) pour évaluer les capacités de « reality monitoring ».

Un travail plus récent d’Ecker et Engelkamp (1995) a également adopté une procédure à base d’actions pour évaluer les capacités de mémoire et de « reality monitoring » chez les vérificateurs. Les auteurs ont sélectionné 96 individus dans une clinique s’occupant de troubles psychosomatiques : 24 patients présentant un diagnostic de TOC avec un niveau élevé de vérification, 24 patients avec un niveau élevé de vérification mais présentant un autre diagnostic et 48 patients avec un niveau bas de vérification présentant également un autre diagnostic. Dans le paradigme qu’ils ont utilisé, les personnes étaient soumises à une série d’actions (comme par exemple « ouvrir un livre ») qu’ils devaient mémoriser. Quatre conditions étaient successivement proposées: dans la condition d’encodage moteur, les participants devaient réaliser l’action présentée ; dans la condition d’encodage moteur-imaginé, ils devaient s’imaginer eux- mêmes en train de faire l’action ; dans la condition d’encodage visuel-imaginé, ils devaient imaginer quelqu’un d’autre réalisant l’action ; enfin, dans la condition de

répétition subvocale, ils devaient simplement répéter verbalement la phrase décrivant

l’action. Après la phase d’encodage, une phase de rappel libre et une phase de reconnaissance étaient proposées. Dans cette dernière, les participants devaient reconnaître les actions présentées parmi des actions nouvelles, dire pour chaque action correctement reconnue dans quelle modalité elle avait été encodée, et donner enfin leur niveau de confiance par rapport à cette réponse. Les auteurs observent que les patients avec un diagnostic de TOC ont un moins bon rappel des actions après un encodage moteur-imaginé que les personnes de contrôle avec bas niveau de vérification. Par ailleurs, les patients avec diagnostic de TOC confondent plus souvent l’encodage moteur et l’encodage moteur-imaginé que les contrôles avec bas niveau de vérification. De plus, et il s’agit d’un résultat important, le score de confusion est spécifiquement corrélé avec la sévérité des compulsions de vérification, évaluées par la sous-échelle de vérification du MOCI (Hodgson & Rachman, 1977). Enfin, les patients avec diagnostic de TOC sont moins confiants dans leur identification des modalités que les contrôles avec bas niveau de vérification, et ce pour toutes les modalités. Cette étude révèle donc un déficit de la mémoire motrice, une difficulté de « reality monitoring » ainsi qu’un manque de confiance chez des patients avec un diagnostic de TOC et présentant des symptômes de vérification. On peut souligner que les personnes avec symptômes de vérification mais sans diagnostic de TOC ne diffèrent pas des patients avec bas niveau de vérification, ce qui ne semble pas en accord avec la perspective d’un continuum entre les symptômes de patients diagnostiqués comme TOC et les symptômes de personnes sans diagnostic de TOC.

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