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CHAPITRE 4. Inhibition, impulsivité et TOC

1. L’ INHIBITION

1.1. Déficits d’inhibition dans le TOC

Les travaux qui se sont intéressés aux capacités d’inhibition dans le TOC ont adopté des paradigmes expérimentaux très différents. Parmi les premiers travaux à avoir exploré ces capacités, une série d’études ont utilisé une procédure d’amorçage négatif. Dans une tâche d’amorçage négatif, la personne doit sélectionner (dénommer) à chaque essai, un stimulus parmi d’autres : l’un étant le distracteur, l’autre la cible (par exemple, on présente un A écrit en rouge et un B écrit en vert, et la personne doit dénommer la lettre rouge). Si le distracteur lors d’un essai (l’essai d’amorçage) devient la cible à l’essai suivant (l’essai de test), on constate un ralentissement du temps mis par le participant pour sélectionner la cible, ou parfois une augmentation du nombre d’erreurs. Cet effet a été interprété en considérant l’existence d’un processus inhibiteur : au premier essai, le stimulus ayant un statut de distracteur fait l’objet d’un processus d’inhibition active ; lorsqu’à l’essai suivant, ce stimulus devient cible, un temps supplémentaire est nécessaire afin de surmonter le résidu d’inhibition lié à l’essai précédent (Tipper, 1985).

Plusieurs études (Enright & Beech, 1990, 1993a, 1993b; Enright, Beech, & Claridge, 1995; Hoenig, Hochrein, Müller, & Wagner, 2002; McNally, Wilhelm, Buhlmann, & Shin, 2001) ont observé une réduction de l’effet d’amorçage chez des patients TOC par rapport à des participants de contrôle. Plus précisément, on a observé chez ces patients un moindre ralentissement lorsqu’un distracteur à un essai devient cible à l’essai suivant, ce qui suggère la présence d’un déficit d’inhibition. Certaines études n’ont cependant pas observé un tel déficit. Ainsi, Hartston et Swerdlow (1999) ont proposé à 62 participants de contrôle et à 76 patients TOC un paradigme d’amorçage négatif spatial. Dans cette version, les participants devaient indiquer la localisation d’un item-cible (la lettre O) tout en ignorant celle d’un item distracteur (la lettre X). Dans la condition de contrôle, la localisation des stimuli dans l’essai n n’était pas reliée à leur localisation dans l’essai n+1.

Dans la condition de répétition, la localisation de la cible restait la même dans les essais n et n+1. Dans la condition d’amorçage négatif enfin, la cible dans l’essai n+1 apparaissait à

l’endroit où se trouvait le distracteur à l’essai n. Les données n’indiquent pas de différence concernant l’effet d’amorçage négatif entre les participants de contrôle et les patients TOC. En revanche, lorsque l’on compare la condition de répétition avec la condition de contrôle, les patients TOC présentent des temps de réaction plus courts que les participants de contrôle. Autrement dit, ils bénéficient particulièrement de la présence d’un indice facilitateur (c’est-à-dire du fait que la cible de l’essai n+1 a été présentée au même endroit qu’à l’essai n). Par ailleurs, cet effet de facilitation est corrélé à la présence d’obsessions agressives, d’obsessions concernant le besoin que tout soit parfait et sous contrôle (« just right obsessions »), de tics et de compulsions de vérification. Pour expliquer cet effet de facilitation, les auteurs postulent que les patients n’arriveraient pas à se détacher de la localisation de la cible et donc à changer de focalisation attentionnelle.

De la même façon, on pourrait postuler que les patients ne pourraient se détacher de leurs pensées obsessionnelles. MacDonald, Antony, MacLeod et Swinson (1999) ont eux-aussi examiné les capacités d’inhibition de 12 patients TOC avec symptômes de vérification, 12 patients TOC sans symptômes de vérification et 12 participants de contrôle à l’aide d’un paradigme d’amorçage négatif d’identité (c’est-à-dire basé sur l’identité des stimuli et non sur leur localisation). Comme Hartston et Swerdlow, les auteurs n’observent aucune différence entre les groupes (quel que soit le type de symptômes manifestés par les patients TOC). Ces résultats amènent les auteurs à contester la validité-même du paradigme d’amorçage négatif, qui pourrait en réalité mesurer d’autres phénomènes que l’inhibition. En effet, d’autres interprétations de l’effet d’amorçage ont été proposées, faisant notamment intervenir la mémoire : ainsi, le ralentissement du temps de réaction dans la condition d’amorçage négatif pourrait être dû à un processus de récupération des informations en mémoire concernant le stimulus présenté à l’essai précédent (Neill &

Mathis, 1998).

Un autre paradigme qui a été largement utilisé dans les recherches visant à explorer l’inhibition dans le TOC est la tâche de Stroop (Stroop, 1935). Dans la version classique du Stroop, trois conditions sont proposées: dans une phase de dénomination, les participants doivent dénommer la couleur de pastilles de couleurs ou de séquences de croix (XXX) écrites en couleur ; dans la condition de lecture, les participants doivent lire le plus rapidement possible le nom de couleurs écrites en noir (par ex : « JAUNE », « ROUGE »,

« VERT ») ; dans la condition d’interférence enfin, les participants doivent dénommer la couleur de l’encre dans laquelle sont écrits des noms de couleurs, la couleur de l’encre ne correspondant toutefois pas au nom de la couleur (par ex. « ROUGE » écrit en vert). Dans cette dernière condition, les participants doivent donc inhiber la lecture du nom de la couleur, au profit de la dénomination de la couleur qui est moins automatique. Ce processus d’inhibition conduit à un ralentissement du temps de la dénomination des couleurs en condition d’interférence par rapport à la condition de dénomination (les participants mettent plus de temps à dénommer la couleur de l’encre du mot « BLEU » écrit en rouge que la couleur de séquences de croix écrites en rouge).

Les études ayant adopté la procédure de Stroop dans le TOC ont donné lieu à des résultats contradictoires. Certaines d’entre-elles ont ainsi observé un effet d’interférence plus important chez des patients TOC que chez les personnes de contrôle (Bannon, Gonsalvez, Croft, & Boyce, 2002; Hartston & Swerdlow, 1999; Martinot et al., 1990;

Penades et al., sous presse), alors que d’autres n’ont pas observé un tel effet (Moritz et al., 2002a; Nakao et al., 2005). Parmi les études ayant constaté un effet plus important d’interférence, on peut mentionner celle entreprise pas Bannon et al. (2002). Ces auteurs ont proposé une version informatisée du Stroop à 20 patients souffrant de TOC et 20 patients avec trouble panique. Les données indiquent que les patients TOC font davantage d’erreurs et sont plus lents que les patients avec trouble panique dans la condition d’interférence. Par ailleurs, moins les symptômes TOC sont importants (mesurés avec la Y-BOCS), moins les patients font d’erreurs, mais plus ils sont lents dans la condition d’interférence. Ainsi, il semble que la sévérité des symptômes pourrait être en partie en lien avec les performances au Stroop. Dans cette étude, les auteurs ont également proposé un autre type de tâche mesurant l’inhibition, à savoir un paradigme de Go/no Go. Dans cette tâche, des lettres de couleur étaient présentées une à une à l’écran. Lorsque les lettres « N », « J » ou « W » écrites en bleu, ou la lettre « O » présentée en rouge, vert ou jaune apparaissaient, les participants devaient appuyer sur la barre d’espacement (les stimuli « Go »). Lorsque la lettre « O » était présentée en bleu ou lorsqu’un « E » écrit en rose apparaissait, les participants ne devaient pas répondre (les stimuli « no Go »). Dans ces essais, ils devaient donc inhiber leur réponse et ne pas appuyer sur la barre d’espacement. Les stimuli pour lesquels il fallait appuyer sur la barre revenait dans 75%

des essais (essais « Go »), alors que dans 25% des essais, étaient présentés les stimuli pour lesquels il ne fallait pas répondre (essais « no Go »). Les résultats à cette tâche indiquent que les patients TOC commettent plus d’erreurs de commission que les patients avec trouble panique, c’est-à-dire qu’ils appuient plus souvent sur la barre d’espacement pour les essais « no Go », pour lesquels il ne faut pas répondre. Ces résultats plaident également en faveur d’un déficit d’inhibition.

La tâche de Go/no Go, ainsi que la tâche Stop signal (dans laquelle il s’agit de stopper une réponse motrice - comme par exemple appuyer sur la barre d’espacement - de façon inattendue et soudaine lorsqu’un signal apparaît) ont été utilisées dans différentes recherches sur le TOC, lesquelles ont également fourni des résultats contradictoires.

Certains travaux ont ainsi mis en évidence des déficits d’inhibition chez les patients TOC (Chamberlain, Fineberg, Blackwell, Robbins, & Sahakian, 2006; Penades et al., sous presse), alors que d’autres ont observé des performances normales (Bohne, Savage, Deckersbach, Keuthen, & Wilhelm, sous presse), voire meilleures chez les patients TOC que chez les personnes de contrôle (Krikorian, Zimmerman, & Fleck, 2004).

Enfin, de nombreuses études ont utilisé des batteries de tests neuropsychologiques visant plus largement à évaluer les fonctions exécutives chez les patients TOC (pour une revue voir par exemple Greisberg & McKay, 2003; Mataix-Cols et al., 1999; Schmidtke, Schorb, Winkelmann, & Hohagen, 1998). Parmi ces tests, on retrouve fréquemment le

« Wisconsin Card Sorting Test » (WCST), dont la réalisation efficace semble reposer en partie sur des capacités d’inhibition. Dans ce test, 4 cartes stimuli (contenant respectivement un triangle rouge, deux étoiles vertes, 3 croix jaunes et 4 cercles bleus) sont disposées horizontalement face au participant. Celui-ci reçoit ensuite un ensemble de 128 cartes (représentant deux fois les 64 combinaisons des 4 attributs différents des dimensions de couleur, de forme et de nombre) avec pour consigne de les placer une à une en dessous de l’une ou l’autre des cartes stimuli, là où il pense que la carte devrait se trouver. L’examinateur indique alors au sujet si son choix est correct ou non. Le sujet doit essayer d’obtenir un maximum de réponses correctes sans toutefois pouvoir corriger ses erreurs. L’examinateur attend d’abord, et arbitrairement, que le sujet classe les cartes réponses selon la couleur. Après 10 classements consécutifs corrects en fonction de cette dimension (ou catégorie), le critère est brusquement changé (forme), sans que le sujet en soit averti. Cette procédure est reproduite 6 fois (couleur, forme, nombre, couleur, forme, nombre) et le test se termine, soit lorsque le sujet a accompli les 6 catégories de classement, soit lorsque le paquet de 128 cartes est épuisé. La performance à cette tâche est reflétée par différentes mesures y compris le nombre de réponses dites persévératives, lesquelles pourraient être en lien avec des difficultés d’inhibition. A nouveau, certaines recherches observent des performances déficitaires chez les patients TOC au WCST (Gambini, Abbruzzese, & Scarone, 1993; Sanz, Molina, Calcedo, Martin-Loeches, & Rubia, 2001) alors que d’autres n’observent pas de différences significatives entre les patients TOC et les personnes de contrôle (Abbruzzese, Ferri, & Scarone, 1995; Cavedini, Ferri, Scarone, & Bellodi, 1998).

Enfin, dans un travail récent, Bannon, Gonsalvez, Croft et Boyce (2006) ont administré une série de tâches cognitives dont le WCST, une tâche de Go/no Go et une tâche de Stroop à 20 patients diagnostiqués comme TOC, 20 patients TOC en rémission (présentant un score à la Y-BOCS plus bas que 10) et 20 patients souffrant de trouble panique. Les résultats indiquent plus d’erreurs de persévération dans le WCST, plus d’erreurs de commission dans la tâche de Go/no Go et plus d’erreurs dans la tâche d’interférence du Stroop chez les patients diagnostiqués TOC et les patients TOC en rémission par rapport aux patients avec trouble panique. En d’autres termes, des déficits d’inhibition sont observés chez les patients avec un diagnostic de TOC, mais également chez des patients en rémission. Les patients qui étaient diagnostiqués comme souffrant de TOC ont par ailleurs été suivis sur plusieurs mois (en moyenne 1,4 ans). Ainsi, une réévaluation des performances aux mêmes tâches cognitives a été effectuée chez les patients dont les symptômes obsessionnels-compulsifs atteignaient un seuil indiquant une rémission (score plus bas que 10 à la Y-BOCS). Ce suivi montre que les déficits observés lors de la première évaluation persistent dans la deuxième évaluation. En d’autres termes, la diminution des symptômes du TOC ne s’est pas accompagnée d’une amélioration des capacités d’inhibition. Ce résultat suggère que les déficits d’inhibition ne seraient pas une conséquence directe de la présence des symptômes obsessionnels compulsifs mais constitueraient un trait stable.

En conclusion, on constate que les travaux ayant examiné les capacités d’inhibition chez les personnes TOC ont fourni des résultats largement contrastés. Il s’agit maintenant de s’interroger sur la nature de ces divergences.