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L’anticipation des risques peut modifier les décisions des éleveurs pour deux raisons. Premièrement, l’éleveur peut ne pas aimer prendre de risque. Dans ces conditions, il aura tendance à faire des choix de production auxquels sont associés des profits peu variables, quitte à avoir des profits moyens inférieurs à ce qu’il aurait pu avoir s’il avait accepté le risque. La seconde raison vient du fait

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158 que les pertes occasionnées par des aléas défavorables peuvent ne pas compenser les gains apportés par des aléas favorables. Les choix de production optimaux pour un aléa ‘moyen’ peuvent alors être différents des choix optimaux lorsque la distribution des aléas est prise en compte (même sans aversion au risque). Nous avions pour but d’estimer le comportement de l’éleveur vis-à-vis de ces risques et d’évaluer quelles transformations du système avaient lieu lorsque les risques étaient anticipés.

2.1. Quelle est l’attitude des éleveurs vis-à-vis des risques L’attitude des éleveurs vis-à-vis des risques a été appréciée par le modèle économétrique. La fonction de production estimée a mis en évidence que les aliments concentrés et l’azote permettaient de diminuer la variabilité de la production de viande. Compte tenu de l’efficacité de ces intrants et des rapports entre le prix du kilo de viande vendue par l’éleveur et le prix auquel il se procure les intrants, le modèle économétrique montre que les éleveurs étaient averses aux risques. Ils utilisent en effet une plus grande quantité d’intrants que le niveau jugé optimal lorsque les risques ne sont pas pris en compte. Par ailleurs, nous avons évalué que cette aversion au risque, ou cette surconsommation de concentrés et d’azote, augmentait lorsque les marges brutes bovines par travailleur diminuaient. Cette marge brute est étroitement liée au nombre d’UGB par travailleur. Elle est par contre peu corrélée aux autres caractéristiques techniques du système telles que la part d’animaux engraissés (Tableau 21). Il semblerait donc que les éleveurs ayant moins de capital (ou de ‘richesse’) aient une gestion moins économe des intrants par rapport aux objectifs de production visés.

Tableau 21 : Corrélations entre la marge brute bovine moyenne par travailleur et les différentes variables technico-économiques RWC/ exploitation RWC / UTH SAU/ UTH UGB/ UTH MB bov. /ha UGB/ SFP % males engraissés Azote/ ha SFP concentrés conso./ha MB bovine par travailleur 0,42 0,70 0,46 0,85 0,38 0,02 0,10 0,03 0,14

En gras, valeurs significatives au seuil alpha=0,050 (test bilatéral) Nombre d’observation : N=65 (une donnée moyenne par exploitation) Note : RWC signifie le revenu du travail et des capitaux

Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur le caractère croissant ou constant de l’aversion relative au risque en fonction du niveau de richesse (Moshini et Henessy, 2001), beaucoup d’études s’accordent sur le fait que cette aversion est décroissante et de type CRRA (aversion relative au risque constante) et DARA (aversion absolue au risque décroissante) (Saha et al., 1994 ; Chavas et Holt, 1996). Beaucoup ont comme nous rejeté l’hypothèse d’aversion constante en fonction du niveau de richesse (Chavas et Holt, 1990 ; Pope et Just, 1991).

La valeur que nous avons estimée pour le coefficient d’aversion relatif au risque est de 2,38. Le coefficient d’aversion relatif a l’avantage de ne pas avoir d’unité (contrairement au coefficient

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159 d’aversion absolue), ce qui le rend plus comparable à ceux utilisés dans d’autres études (Hardaker et al., 2004). Anderson et Dillon (1992) ont classé les valeurs de ces aversions relatives de 0,5 pour un individu très peu averse au risque à 4 pour un individu très fortement averse au risque. Les éleveurs observés sont ainsi très averses au risque. La valeur trouvée est du même ordre de grandeur que celle estimée par Lins et al., (1981), Raskin and Cochran (1986), Chavas and Holt (1990), Saha et al., (1994), Bar-Shira et al., (1997). Cependant, si le coefficient d’aversion relatif au risque n’a pas d’unité, il n’en reste pas moins une fonction de ‘la richesse’ et non une constante. Il y a de fortes chances pour qu’un indicateur de richesse caractérisé par une forte variabilité entre exploitations aboutisse à l’estimation d’un coefficient d’aversion moins élevé que si l’indicateur avait été plus stable (l’aversion relative au risque ne change pas si la richesse est multipliée ou divisée par une constante mais est affectée par l’ajout ou le retrait d’une constante, Hardaker et al., 2004). La définition de ce qu’est la ‘richesse’ reste assez floue (Shankar et Nelson, 2003). Elle correspond en théorie au revenu sur lequel l’éleveur peut compter (soit par rapport à la valeur de son capital, soit par rapport à une composante ‘certaine’ du revenu). Cette ‘richesse’ est considérée comme un paramètre intrinsèque à l’exploitation. Cependant, avec un même coefficient d’aversion au risque, l’utilité du profit net, qui ne comporte pas de partie ‘constante’ ou ‘certaine’ sera beaucoup plus affectée que l’utilité de la ‘richesse’ (Lien et Hardaker, 2001). Dans notre modèle de simulation, qui maximise l’utilité du profit net, nous avons adopté la démarche proposée par Hardaker et al., (2004) et appliquée par Lien et Hardaker (2001) et Havlik et al., (2005) pour convertir le coefficient d’aversion au risque relatif à la richesse, à un coefficient d’aversion au risque partiel, relatif au profit net. Nous trouvons ainsi un coefficient d’aversion au risque de 0,5 ce qui est proche des coefficients simulés par les deux études précédentes.

Peu d’études ont estimé des fonctions de production relative à l’élevage de ruminants (Griffith et al., 1982). Aucune, à notre connaissance, n’a évalué quelle était l’attitude de ces éleveurs vis-à-vis des risques et quel était leur degré d’aversion au risque. Cette étude apporte des résultats originaux et peut ainsi aider ceux qui souhaitent simuler le comportement des éleveurs de ruminants vis-à-vis des risques.

2.2. L’anticipation des risques et l’aversion au risque induit-elle des comportements de ‘précaution’?

La simulation effectuée dans la partie 3.2 révèle que ni l’anticipation des risques de prix et de climat, ni l’aversion au risque n’entraînent de modification des décisions stratégiques : assolement, taille et composition du troupeau restent identiques en année ‘moyenne’ au scénario de référence dans lequel les risques ne sont pas anticipés. Le fait que les prix des animaux maigres soient un peu moins variables que celui des animaux gras n’influence pas les choix du modèle, même lorsque le coefficient d’aversion au risque est fortement accru. Havlik et al., (2005) avaient également observé une situation

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160 assez semblable lorsqu’ils avaient simulé l’impact de l’aversion au risque et de la variabilité des prix sur les choix de production d’éleveurs de bovins allaitants des Monts du Cantal. Avec un très fort coefficient d’aversion au risque et une variabilité des prix multipliée par trois, la taille du troupeau n’a diminué que de 0,1 UGB.

Nous avons introduit en plus des risques de prix, des risques climatiques. Nous nous attendions à ce que le chargement diminue un peu en année ‘normale’ de façon à constituer des stocks de sécurité pour l’été suivant et l’année suivante. Dans notre modèle, les éleveurs semblent avoir tout intérêt à disposer en début de période de stocks de fourrages d’avance. Cependant les stocks atteints à l’équilibre, pour une année normale, résultent d’achats de précaution (l’éleveur achète avant que le prix des fourrages n’augmente) et de diminution des quantités de foin consommées (compensée par du concentré pour ‘économiser’ du foin11). Le modèle cherche en effet à avoir des stocks correspondant à environ un mois de réserve au cas où une mauvaise année climatique se produirait. Il n’apparait cependant pas optimal de diminuer significativement la production moyenne pour réduire les risques de production (le nombre d’UGB présents sur l’exploitation sur l’ensemble de l’année diminue de moins de 0,5 UGB soit 0,3%).

Les résultats simulés sont en contradiction avec plusieurs études. En effet, Rawlins et Bernardo (1991) montrent que l’anticipation et l’aversion aux risques de prix et de climat induisent une diminution du chargement et une modification du type d’animal produit dans les élevages de l’Oklahoma. Ce travail contraint cependant les variations de profit à ne pas dépasser un certain seuil. Contrairement à notre approche où l’arbitrage entre niveau moyen de profit et variabilité du profit est endogène, l’approche de Rawlins et Bernardo (1991) impose un niveau risque ‘acceptable’. Gillard et Monypenny (1990) estiment quant à eux que parmi quatre niveaux initiaux de chargement testés, le niveau de chargement optimal pour une année climatique moyenne est aussi celui qui apporte le meilleur revenu moyen sur le long terme. En valeur absolue, les revenus obtenus avec des chargements plus élevés varient plus que ceux des scénarios avec de plus faibles chargements, mais ramenées au revenu moyen, ces variations sont inférieures. L’étude de Lien et Hardaker (2001) montre que l’anticipation des risques de prix et de rendement des cultures et l’aversion au risque n’ont aucun effet sur les choix stratégiques de l’exploitation. Dans le cas qu’ils ont étudiés, c'est-à-dire la production de bovins laitiers en Norvège, les contraintes liées aux possibilités de production et à la régulation par les politiques publiques pèsent beaucoup sur les décisions des éleveurs, ce qui relaye les risques finalement au second plan.

11 A l’auge, le modèle a l’obligation de satisfaire 80% de la capacité d’ingestion des animaux. Du foin est donc nécessaire. Or, le prix du foin acheté lors d’une mauvaise année climatique est très cher, ce qui incite le modèle à limiter les achats de foin.

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161 L’estimation d’une aversion forte des éleveurs au risque et le faible impact de celle-ci sur les choix de production, interroge. Les impacts de l’aversion au risque sont faibles lorsque les risques climatiques sont anticipés, et sont nuls lorsque seuls les risques de prix sont introduits. Dans le modèle économétrique, la fonction de production étudiée était continue, alors que dans notre modèle mathématique, elle ne l’est pas complètement (la modification des choix de production peut entrainer des ‘sauts’ de profit) et elle est bornée par des contraintes structurelles et techniques. Le Tableau 22 expose la valeur de la fonction objectif (qui correspond à la somme actualisée de l’utilité des équivalents certains des profits annuels12) et des équivalents certains des profits pour l’année 2 (le risque de prix est introduit pour les années 2 à 5). Le différentiel en « équivalent certain » entre le profit annuel d’un individu neutre au risque et d’un individu avec une aversion au risque 0,5 (ce que nous avons simulé) est d’environ 100€ soit 0,2% du profit moyen. Bien que les variations de profits soient de +/- 5000€, cette différence est certainement trop faible pour inciter l’éleveur à opter pour une production moins risquée. Comme l’ont soulignés Hardaker et al., (2004), lorsque cette ‘prime de risque’ (qui correspond entre le profit moyen et son équivalent certain) est faible, les changements effectués au niveau du système de production sont relativement marginaux.

Tableau 22 : ‘Primes de risque’ associées en fonction du coefficient d’aversion relatif au risque

Sans aversion Aversion partielle = 0.5 Aversion partielle = 0.9

Profit de l’année t2

(équivalent certain) 39 703 39 593 39 506

Objectif Z 69 442 69 359 69 291

Note : ces simulations ont été effectuées sans le risque climatique, à partir de la même situation initiale

Bien que nous ayons conclu que l’aversion au risque ne se traduisait que par de modification des choix de production, il faut noter que notre étude tout comme celles précédemment citées, n’ont pas pris en compte la variabilité des prix des intrants liés à la volatilité des prix sur le marché mondial (comme par exemple l’augmentation de 150% du prix du blé en 2007). Dans de telles conditions, la recherche d’autonomie et une moindre consommation de céréales peut être un enjeu plus fort. Ces modèles n’ont pas non plus inclus les coûts de transaction et les difficultés auxquelles un éleveur peut être confronté lorsqu’il doit acheter dans l’urgence, des fourrages qui se font rares. Ce problème est d’autant plus important pour les éleveurs soumis à des cahiers des charges contraignants (cas de l’agriculture biologique). De plus, les reformulations des rations alimentaires induisent des risques de

12

L’équivalent certain correspond au profit moyen moins la prime de risque soit dans notre fonction obectif : Equiv. Certain = [E(Пt1- γ)] 1/(1- γ) avec γ l’aversion relative au risque, et E(П) l’espérance du profit

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162 perte de production pour l’éleveur qui n’ont pas été introduits (l’éleveur ne maîtrise pas forcément les réponses des animaux à de nouvelles rations).

3.

Quels sont les impacts des aléas de prix et de climat sur les

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