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En décision multicritère ordinale

1.4 Présence de points de référence

1.4.3 En décision multicritère ordinale

La présence d'un point de référence dans des relations de préférence a déjà été étudiée dans le cadre de relations bien cadrées : information parfaitement disponible, commen-surabilité des diérents critères... Les méthodes d'optimisation multicritères basées sur l'utilisation d'un point idéal et/ou nadir utilisent de facto des points de référence (non atteints la plupart du temps). Cependant, l'apport d'un point de référence dans les mé-thodes basées sur des graphes de préférence n'a pas encore été complètement étudié à notre connaissance. Nous nous proposons ici d'explorer certaines pistes de cette approche.

L'utilisation de points de référence est déjà présente dans certains problèmes multi-critères, tels que ceux relevant de la problématique du rangement. On dénit la problé-matique du rangement comme celle où le problème consiste à aecter chaque alternative à une catégorie spécique prédénie. Une possibilité pour trier les alternatives consiste à les comparer à des alternatives de référence : c'est l'objet de la méthode ELECTRE Tri (voir Roy (1968)), et des développements proposés par Yu (1992), Roy et Bouyssou (1993), Mousseau et al. (2000) et Henriet (2000). Dans la méthode ELECTRE Tri, des actions de référence sont utilisées pour segmenter l'espace des critères en catégories. Ces prols ordonnés de référence dénissent des catégories dans lesquelles il s'agira d'aecter chacune des alternatives utilisées. Chaque catégorie est bornée inférieurement et supé-rieurement par deux actions de référence et chaque action de référence sert de borne à deux catégories, l'une supérieure et l'autre inférieure. Pour déceler l'incomparabilité éventuelle de l'alternative considérée avec les actions de référence, deux procédures d'af-fectation distinctes, l'une optimiste et l'autre pessimiste, sont nécessaires. Elles consistent à comparer chaque action potentielle avec les actions de référence en commençant par la plus contraignante (version pessimiste) puis la moins contraignante (version optimiste).

Si les deux procédures aectent l'action potentielle à la même catégorie, elle est alors parfaitement comparable avec les actions de référence, sinon, en fonction de la diérence entre les deux catégories auxquelles elle est attribuée, elle est plus ou moins incomparable avec l'échelle des points de référence.

Plus récemment, Bouyssou et Marchant (2007a,b) ont eu une approche plus théorique du problème du tri ordonné, en proposant une axiomatique des modèles de tri non-compensatoire utilisant les techniques du mesurage conjoint. Contrairement à ces deux

36 1. Décision multicritère, décision dans l'incertain approches, dans le cadre des travaux que nous présentons ici, nous ne nous intéressons pas aux aectations d'alternatives à des catégories pour elles-mêmes, mais à une relation de préférence sur ces alternatives induite par les aectations aux catégories.

Pouvoir descriptif des modèles de relations de préférence

Malgré la diversité des modèles existant pour représenter les préférences en multicri-tère, il arrive que l'on ne dispose pas toujours de la capacité descriptive souhaitée.

Exemple 11 Nous reprenons ici le cadre de l'exemple 9 du choix d'un hébergement tou-ristique : les quatre critères retenus sont le prix (1), le confort (2), la proximité du site touristique choisi (3) , et le cadre général (4). Le prix est en euros, le confort est noté de zéro à cinq étoiles, la proximité du site choisi est répartie en quatre catégories (A : sur place ; B : à proximité ; C : dans les environs, D : éloigné) et le cadre général en trois niveaux "+", "=" et "-".

Considérons les quatre alternatives suivantes :

1 2 3 4

x1 40 *** B + x2 60 *** A +

x3 40 ** B +

x4 60 ** A +

Supposons que le décideur ait comme préférences x2 x1 et x3x4.

Ces préférences semblent plausibles : 60 euros étant un prix raisonnable dans le cadre d'un hébergement trois étoiles, le prix a moins d'importance que la proximité, alors que dans le cadre d'un hébergement de moins bonne qualité, le prix devient le critère important.

Or ces préférences ne peuvent être obtenues par des modèles de préférence classiques : l'utilité additive, ou, dans le domaine ordinal, la règle de concordance généralisée ne peuvent modéliser une telle relation de préférence :

utilité additive : selon le modèle de l'utilité additive, x % y si et seulement si Pn

i=1ui(xi)≥Pn

i=1ui(yi), oùu()est la fonction d'utilité additive. On peut vérier que dans le cas présent, x2 x1 entraîne obligatoirement que u1(60) +u3(A) >

u1(40) +u3(B), alors quex3 x4 entraîne l'inverse : il y a donc une contradiction.

règle de concordance additive : selon le modèle de concordance additive,x%y si et seulement si P

i∈C(x,y)wi ≥ P

i∈C(y,x)wi, où les wi sont des poids aectés à chaque critère. On peut vérier qu'ici, x2 x1 entraîne obligatoirement que w2+w3+w4 est supérieur àw1+w2+w4, alors quex3 x4 entraîne l'inverse : il y a donc une contradiction.

1. Décision multicritère, décision dans l'incertain 37 Nous voyons donc que les modèles de préférences multicritères additifs considérés ci-dessus ne sont pas susants pour pouvoir décrire les préférences d'un décideur. En eet, il n'y a pas indépendance entre les diérents critères : l'utilité d'un critère pour une alternative ne dépend pas seulement de la valeur de ce critère, mais aussi de la valeur des autres critères. Si l'on prend une utilité additive généralisée (ou GAI), capable de modéliser ces interactions, il est alors possible de représenter les préférences de l'exemple ci-dessus :

Utilité 2-additive : on dénit une utilité 2-additive par

u(x) =

Dans l'exemple 11, les préférences peuvent alors s'expliquer en modélisant les interactions entre le critère 2 et les autres critères par des valeurs telles que, par exemple, pour les utilités simples :

u1(40) = 1,u1(60) = 0 u2(∗ ∗ ∗) = 3,u2(∗∗) = 2, etc.

u3(A) = 4,u3(B) = 3, etc.

u4(+) = 1,u4(=) = 0,u4(−) =−1

et les valeurs suivantes pour les interactions entre les diérents critères (fonctions d'uti-lités bi-critères) : ∀i, j∈N,ui,j(xi, xj) = 0 sauf :

u1,2(40,∗ ∗ ∗) = 3,u1,2(60,∗ ∗ ∗) = 2,u1,2(40,∗∗) = 2,u1,2(60,∗∗) = 0 u2,3(∗ ∗ ∗, A) = 4,u2,3(∗ ∗ ∗, B) = 2,u2,3(∗∗, A) = 4,u2,3(∗∗, B) = 3

Autrement dit : la diérence de prix est moins importante dans le cadre d'un hôtel ∗ ∗ ∗ que d'un hôtel∗∗. Au contraire, la proximité est plus importante dans le cadre d'un hôtel

∗ ∗ ∗que d'un hôtel ∗∗. Les valeurs nales de l'utilité pour chacune des alternatives sont alors les suivantes :

De la même manière, nous pouvons généraliser la règle de concordance additive en une règle de concordance généralisée, visant à permettre des interactions entre critères, de la manière suivantes :

38 1. Décision multicritère, décision dans l'incertain Règle de concordance généralisée : selon le modèle de concordance généralisée,x%y si et seulement si C(x, y) %N C(y, x), avec C(x, y) = {j ∈ N, xj %j yj} et %N

une relation d'importance sur les coalitions de critères, N étant l'ensemble des critères.

On peut vérier qu'ici, x2 x1 entraîne obligatoirement que la coalition {2,3,4} est plus importante que la coalition {1,2,4}, alors que x3 x4 entraîne l'inverse : il y a donc toujours une contradiction, malgré l'abandon de la condition d'indépendance des critères. Cela est du au fait que les ensembles C(x, y) et C(y, x) sont identiques dans le cadre de la règle de concordance généralisée comme dans le cadre de la règle de concordance additive. Dans ce cadre purement ordinal, les interactions entre critères ne peuvent expliquer l'inversion de préférence observée entre x1, x2 etx3, x4.

Une explication possible est alors que, lorsqu'il doit établir une relation de préférence entre des alternatives, le décideur raisonne par rapport à une norme préétablie, en com-parant les performances des alternatives à des prols de référence types, ici par exemple le prol (50,***,A,=). L'introduction de points de référence dans la modélisation de pré-férence est naturelle dans certain cas. Montrons en particulier comment elle permet de modéliser les préférences de l'exemple ci-dessus dans le cadre ordinal utilisant la règle de concordance généralisée. Prenons comme point de référence le pointp= (50,∗∗∗, A,=), et comme règle d'agrégation la règle suivante :x%y ⇐⇒ {j, xj %j pj}%N {j, yj %j pj}, avec, entre autres, {1,2,3,4} N {2,3,4} N {1,2,4} N {1,4} N {3,4} Cette règle nous permet de retrouver les préférencesx2 x1etx3x4, car{j, x1j %j pj}={1,2,4}, {j, x2j %j pj}={2,3,4},{j, x3j %j pj}={1,4}et{j, x4j %j pj}={3,4}.

Cet exemple montre que l'introduction de point de référence dans un modèle de préférences ordinales est susceptible d'accroître la capacité descriptive des modèles de préférence à notre disposition.

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