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Au XIXe siècle, il n’existe pas de littérature produite intentionnellement pour la jeunesse au

Québec. Comme le rappelle Édith Madore, « on proposait aux jeunes lecteurs non pas des œuvres créées à leur intention, mais une littérature "spontanée", c’est-à-dire qu’on choisissait des ouvrages écrits au départ pour des adultes, mais susceptibles de plaire à un jeune public.183 » Dès le XIXe

siècle, on retrouve cependant des importations européennes en librairies, comme les Contes à ma

fille de Bouilly, Fanfan et Lolotte de Ducray-Duminil, ou encore le mensuel L’Ami des enfants.184

On retrouve aussi plusieurs collections françaises s’adressant plus spécifiquement à la jeunesse, comme la « Bibliothèque de la jeunesse », la « Bibliothèque instructive et amusante » et la « Bibliothèque catholique de Lille »185, mais le prix de ces ouvrages demeure élevé et seules les

familles le plus aisées peuvent se les procurer.

En 1856, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, alors surintendant de l’Instruction publique sous le gouvernement de l’Union, crée un programme d’achat et de distribution de livre de prix186,

offerts aux élèves méritants.187 Il s’agit d’une autre façon pour les enfants d’entrer en contact avec

la littérature. Mais la plupart de ces livres de prix sont des importations européennes. À partir de 1876, le gouvernement québécois encourage l’acquisition de livres canadiens à la suite de protestations provenant du milieu culturel.188 Cette initiative sera reprise et renforcée au début du

XXe siècle par Athanase David, alors Secrétaire de la Province.

Les jeunes sont également en contact avec la littérature présente dans les almanachs, les revues et les journaux. En effet, au début du XXe siècle, la presse illustrée connait un essor et est à

183 É. Madore, op. cit., p. 17. 184 F. Lepage, op. cit., p. 42-43. 185 Ibid., p. 42-43.

186 Les livres de prix sont distribués de 1876 à 1965. 187 J. Michon (dir.), op. cit., 1999, p. 154.

la portée de tous. Ces publications populaires ne sont pas intentionnellement produites pour la jeunesse, mais elles sont facilement accessibles et souvent illustrées ce qui les rend attrayantes auprès des jeunes.

Bien que l’écriture pour la jeunesse ne soit pas une pratique répandue, quelques exceptions existent. Leur sont ainsi destinés les ouvrages À mes enfants (Typographie d'Augustin Coté et cie, 1875) de Napoléon Legendre et Notes et conseils de Louis Hainault à ses enfants (E. Senécal, 1880)189 de Louis Hainault, ou encore L’Enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet (Institution des

sourds-muets, 1887) de Jean-Baptiste Proulx, Contes et légendes (Beauregard, 1915) d’Adèle Bourgeoys-Lacerte, Autour de la maison (Éditions du Devoir, 1916) de Michelle Le Normand et

Comment ils ont grandi; épopée des Petits Canadiens (Bibliothèque de l’Action française, 1922)

de Ernestine Pineault-Léveillé.190

C’est dans les années 1920 que se développe réellement la littérature québécoise pour les enfants, pour contrer l’influence des publications étrangères, notamment celle des journaux à sensation et des bandes dessinées américaines, qui auraient une mauvaise influence sur les jeunes. Le nationalisme grandissant dans la population, depuis le XIXe siècle, influence cette nouvelle

littérature. L’élite veut enseigner aux enfants à être patriotes, afin qu’ils protègent la langue, la religion et les traditions pour assurer la survie de la nation. On cherche donc à créer une littérature transmettant des idées patriotiques et religieuses aux enfants, pour qu’ils développent leur identité canadienne-française.

189 F. Lepage, op. cit., p. 54. 190 É. Madore, op. cit., p. 18.

La Société Saint-Jean-Baptiste publie depuis 1919 La Revue nationale, qui renferme la « Page des enfants » dont l’auteure est Marraine Odile (pseudonyme de Laetitia Desaulniers)191.

Alors que la presse enfantine est très populaire en France au début du XXe siècle192, la société

décide de lancer, en 1921, L’Oiseau bleu, la première revue pour les enfants au Québec, qui a pour « mission de former le sentiment moral et religieux193 » chez les jeunes lecteurs. D’autres

périodiques pour enfants verront également le jour comme L’Abeille (1925) des Frères des Écoles chrétiennes et La Ruche écolière (1927) d’Eugène Achard. Toutes ces publications répondent à l’objectif de la littérature pour la jeunesse, c’est-à-dire « instruire et plaire194 ».

Publié de 1921 à 1940, L’Oiseau bleu marque le début de la littérature pour la jeunesse au Québec. Elle a un contenu varié qui aborde entre autres la géographie, l’histoire, la religion, la langue française, en plus d’offrir des pages de divertissement, ainsi que des romans-feuilletons.195

Par ce contenu diversifié, elle représente en quelque sorte l’origine de presque tous les genres littéraires196 pour les enfants, incluant le genre documentaire qui connait un certain engouement

auprès des jeunes. Les progrès scientifiques des premières décennies du XXe siècle contribuent en

effet à créer une effervescence scientifique favorisant la publication d’œuvres à caractère documentaire : « [l]e mouvement des années 1930 visant à populariser le goût des disciplines scientifiques chez les jeunes favorise l’éclosion des séries sur la géographie et les sciences naturelles.197 »

191 J. Michon (dir.), op. cit., 1999, p. 366. 192 F. Lepage, op. cit., p. 113.

193 É. Madore, op. cit., p. 19. 194 F. Lepage, op. cit., p. 114. 195 Ibid., p. 115.

196 Ibid., p. 340.

Les premiers ouvrages à saveur documentaire sont en fait des œuvres de fiction, il s’agit entre autres de récits de voyage ayant une portée didactique198, comme Mon voyage autour du monde

(1923) d’Émile Miller, ou Le tour du Canada (1927) des frères maristes. Aucune série encyclopédique n’est toutefois entièrement produite au Québec. En effet, le bassin de lecteurs réduit, qui ne permet pas d’assurer des ventes suffisantes, et la concurrence des productions étrangères199 apparaissent comme des obstacles incontournables. La première encyclopédie conçue

pour la jeunesse proposant un contenu canadien-français sera donc le résultat de l’adaptation de productions étrangères.