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II. L’ AVORTEMENT DURANT LE PROCESSUS DE LA R ÉUNIFICATION

2.2. La mésentente chez les féministes des deux Allemagnes

2.2.2. Un début prometteur

La réaction première face à la réouverture du débat sur l’avortement fut assez différente chez les deux mouvements féministes d’Allemagne. Les féministes de l’Ouest virent la Réunification comme une chance de rouvrir à leur avantage le débat sur l’avortement. Grâce au procès de Memmingen, qui avait agit comme catalyseur du regain de la mobilisation féministe, elles étaient prêtes au combat et purent ainsi se mobiliser rapidement contre le paragraphe 218. Par exemple, le magazine Emma aborda dès 1989 le sujet de l’avortement dans tous ses numéros, en revendiquant l’abolition du

230 Andrea, Wuerth, « National Politics/Local Identites », p. 621.

231 Elizabeth, Mittman, « Gender, Citizenship, and the Public Sphere in Postunification Germany:

Experiments in Feminist Journalism », Signs: Journal of Women in Culture and Society, 32, 2007, p. 772.

232 Brigitte, Young, « The German State and Feminist Politics: A Double Gender Marginalization »,

paragraphe 218.233 Il n’en fut cependant pas de même pour les féministes de l’Est, qui consacraient plutôt leurs énergies à tenter de réformer les autres mesures de la Muttipolitik, car elles étaient dans les faits généralement satisfaites du paragraphe 153. Elles critiquaient certes l’accès limité aux centres de consultation, où celles qui le désiraient pouvaient parler de leurs doutes avant de prendre une décision.234 Elles dénonçaient aussi le tabou entourant l’avortement et les ressources insuffisantes pour celles qui, après l’opération, voulaient parler de leur expérience. Malgré tout, le fait de pouvoir choisir elles-mêmes de continuer ou non une grossesse était quelque chose de très important pour ces femmes, ce que permettait le paragraphe 153.

Au début des bouleversements politiques de l’automne 89, les féministes de l’Est tentèrent de tirer leur épingle du jeu pour améliorer certains aspects de la vie des femmes de RDA et l’avortement, n’étant pas directement menacé, ne faisait pas partie des points les plus pressants. Cependant, avec la formation des nouveaux partis politiques ainsi que la réorganisation du CDU, ce sujet revint tranquillement à l’ordre du jour, certaines femmes se rappelant le vote historique de 1972, alors que plusieurs députés conservateurs avaient voté contre la Fristenlösung. Aussi, le CDU était le parti qui militait activement pour une Réunification rapide des deux Allemagnes, faisant planer par la même occasion le spectre du paragraphe 218. Ce parti revendiquait alors en matière d’avortement « [der] Schutz des ungeborenen Lebens » et « [ein] verantwortungsbewuβterer Umgang mit dem Gesetz über den Schwangerschaftsabbruch »,235 ce qui pouvait laisser croire qu’advenant un gouvernement CDU, la Fristenlösung pourrait se retrouver en danger. La rédactrice en

233 Avec des titres d’articles tels « § 218 – auf den Müll » (7/90) (Le paragraphe 218 au rebut),

« Fristenlösung jetzt » (9/90) (La Fristenlösung maintenant), « Ein Ziel – eine Emma – Kampagne – § 218 » (9/90) (Un but, une campagne : § 218), le but premier d’Alice Schwarzer semblait être évident : l’abolition du paragraphe 218. Celle-ci prit aussi part à l’appel lancé par 12 magazines féminins, qui revendiquaient la Fristenlösung sans Zwangsberatung, en signant la lettre « Offener Brief von 12 Frauenzeitschriften an alle Abgeordneten des Deutschen Bundestages » (4/91) (« Lettre ouverte de 12 magazines féminins à tous les députés du Parlement allemand »).

234 En ce sens, plusieurs féministes de l’Est voyaient, au début, le réseau des centres de consultation de

RFA comme un point positif, car c’était, selon elles, une preuve que l’État prenait les femmes au sérieux, en leur donnant la chance d’exprimer leurs sentiments. Elles déchantèrent cependant rapidement, car l’obligation pour la femme de consulter sous-entendait que celle-ci était incapable de prendre ses propres décisions. La possibilité d’avoir accès à des consultants indépendants restait cependant un point important pour les féministes de l’Est. Cf. Myra Marx, Ferree, « "The Time of Chaos was the best" », p. 613.

235 « [la] protection de la vie à naître » et « [un] rapport plus responsable en lien avec la loi sur

l’interruption volontaire de grossesse ». Renate, Bieritz-Harder, « Gesetz über den Schwangerschaftsabbruch bald passé? », Für dich, 4, 1990, p. 18.

chef de Für dich fut l’une des première à soulever ce point dès la première semaine de janvier 1990 : « Was ist beabsichtigt, wenn der Vorsitzende der CDU jene Abgeordneten lobt, die 1970 gegen die Möglichkeit eines Schwangerschaftsabbruches votierten? ».236 La première élection libre de l’histoire de RDA eut lieu quatre mois plus tard, soit le 18 mars 1990. Le magazine Für dich en profita pour poser six questions aux représentants des principaux partis, dont une concernant l’avortement, soit : « Wie stehen Sie zum Schwangerschaftsabbruch? ».237 Alors que les représentants de l’UFV, du SPD et du PDS écartaient clairement une modification de la présente loi sur l’avortement, celui du CDU répondit en des termes plus flous, mais assura ne pas vouloir annuler la loi (rückgängig machen) de 1972.238 Le CDU remporta cette élection. La Réunification se dessinait à l’horizon et avec elle le danger de voir resurgir le paragraphe 218.

À partir du moment où la Réunification allemande devint inévitable et que le paragraphe 218 fut bien présent dans la toile de fond politique, les deux mouvements féministes se mobilisèrent, car s’il y avait, au départ, un point sur lequel les féministes d’Est et d’Ouest s’entendaient, c’était bien celui de l’avortement.239 Ainsi, dès le moment où le spectre du paragraphe 218 se présenta au sein du processus de Réunification, la plupart des citoyens, acteurs politiques et féministes de l’Est dénoncèrent la criminalisation de l’avortement et revendiquèrent le droit sans contrainte aux interruptions volontaires de grossesse, ce qui firent aussi les féministes de l’Ouest. Plusieurs manifestations conjointes furent organisées, comme celle du 16 juin 1990, où

236 « Quelle est l’intention du président du CDU, lorsqu’il salue les députés qui ont voté en 1970, contre la

possibilité d’avoir recours aux interruptions volontaires de grossesse ? ». Frieda, Jetzschmann, « Nur nicht blauäugig sein », Für dich, 1, 1990, p. 2.

237 « Quelle est votre position par rapport aux interruptions volontaires de grossesse ? ». « Was tun Sie für

uns? », Für dich, 11, 1990, p. 13.

238 CDU : « […] wir wollen die vorhandenen gesetzlichen Regelungen nicht rückgängig machen, sondern

darauf hinwirken, daβ die verantwortliche Entscheidung einer schwangeren Frau weder durch soziale noch durch Karriereängste eingeengt wird. » UFV : « Die Unabhängige Frauenverband sieht im Recht auf unentgeltlichen Schwangerschaftsabbruch ein wesentliches Element der Selbstbestimmung der Frau und fordert, daβ dieses Recht nicht angetastet wird. » SPD : « Es wird in dieser Frage keine Gesetzeänderung uns geben. » PDS : « Kein sogennanter § 218 für uns ! » Cf. Ibid., p. 14, 15, 16, 19.

239 En effet, comme mentionné précédemment, le premier congrès féministe est-ouest, qui eut lieu le 27

avril 1990 releva les dissensions entre les deux groupes. Cependant, l’un des seuls points communs concernait l’avortement, soit contrer le paragraphe 218 à l’Est et l’abolir à l’Ouest. Comme une participante ouest-allemande le mentionne si bien : « The only area of common ground was Section 218, which was going to be extended to ex-GDR when the Unification Treaty came into force. Women from the west and the east were in complete agreement, and they fought against it. But there was no unanimity on any other point, and this first women’s congress ended up a real disaster (…). » Cité dans Pamela, Fisher, « Abortion in Post-communist Germany », p. 32.

plus de 10 000 personnes manifestèrent dans les rues de Bonn et où plusieurs femmes de RFA comme de RDA prirent la parole, pour dénoncer le paragraphe 218.240

Aussi, au cours du printemps et de l’été 1990, les membres de l’UFV, du DFD et d’autres organisations féministes multiplièrent actions et campagnes contre la possibilité d’un retour du paragraphe 218. Les membres de l’UFV mirent sur pied une campagne active pour garder, quoiqu’il advienne, le paragraphe 153 et déposèrent une pétition ayant pour titre « Ohne Fristenlösung keine Einheit » (Sans Fristenlösung, pas d’union) devant la Volkskammer.241 Elles voulaient avec ce geste obtenir la certification que la Réunification n’équivaudrait pas à un retour de la criminalisation de l’avortement et avaient récolté à cet effet plus de 17 260 signatures de citoyens est-allemands.242 Devant l’augmentation du nombre de lectrices inquiètes de voir la Fristenlösung disparaître avec la Réunification, le magazine Für dich, dans son numéro du début juin (23/1990), participa lui aussi à contrer la modification du paragraphe 153 et publia à cet effet une carte postale à l’adresse de la ministre de la famille Christa Schmidt, qui réitérait l’importance de combattre le paragraphe 218 en RDA. Ce sont plus de 30 000 lectrices qui participèrent à cette campagne en signant la carte postale.243 Für dich continua de défendre la Fristenlösung en publiant articles, reportages, témoignages ou lettres ouvertes dans chacun de ses numéros du printemps et de l’été 1990. Le 16 juin, plusieurs citoyens est-allemands bloquèrent deux postes frontaliers en affichant des pancartes, telles « Hier kommt der Paragraph nicht durch!! » (Le paragraphe ne passera pas ici!!).244 Plusieurs journalistes et citoyens est-allemands ne se gênèrent pas pour dénoncer les dirigeants de RFA qui, selon eux, avaient la prétention de se donner le droit de contrôler le corps des femmes, au nom de la protection du fœtus. Ils relevaient le paradoxe de cet État libéral, qui contrairement à la RDA, respectait les individus et leur droit à la liberté, mais qui, en même temps, ne semblait pas considérer les femmes enceintes comme des individus à part entière et qui acceptait que celles-ci se voient

240 Marion, Wagner, « Lila Randale », Für dich, 27, 1990, p. 10-11 ; Judith, Rauch, « § 218 – auf den

Müll! », Emma, 7, 1990, p. 11.

241 « Wie Pusteblumen », Der Spiegel, 27, 1990. <http://www.spiegel.de/spiegel/print/d-13499614.html>

(19 juin 2010)

242 Rosi Mieder et Barbara Leitner, « Abtreibung der Frauenfrage?! », Für dich, 28, 1990, p. 22. 243 Ibid.

imposer une limite à leur autonomie citoyenne.245 Aussi, les citoyens de RDA, qui, lors de la Réunification, étaient dans la quarantaine ou plus vieux, se rappelaient les effets positifs, en particulier ceux reliés à la santé et à la sécurité des femmes, qu’avait eus cette loi.246 C’est pourquoi la plupart d’entres eux étaient pour la sauvegarde du paragraphe 153.

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