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gnement”

Notre enquête a mis en évidence l’importance de la « culture scolaire » dans l’appropriation des méthodologies du baccalauréat. Dans la littérature, ce sont plutôt les termes de « culture éducative », de « culture d’enseignement » et de « culture d’apprentissage » qui sont référen- cés. Dans son ouvrage de 2010, cité par (Carette et al., 2011 :22), Puren énonce la définition suivante : la culture éducative est « l’ensemble des conceptions concernant l’action d’enseigner (culture d’enseignement), l’action d’apprendre (culture d’apprentissage) et la mise en relation de l’activité d’enseignement et des activités d’apprentissages (culture didactique) » .

En somme, la culture éducative rassemble plusieurs points de vue : celui de l’enseignant, ce- lui de l’apprenant, celui de l’institution qui les met en relation. Ces distinctions sont importantes car elles sont le noeud de relations parfois conflictuelles : « En effet, les traditions académiques, la ”culture d’enseignement” à la française se trouvent en confrontation avec la ” culture d’ap- prentissage” (Cortier, 2005 :479) des nouveaux arrivants, laquelle est nécessairement une résul- tante de la ou des cultures d’enseignement auxquelles ils ont été exposés (qui leur ont donné des habitudes d’apprentissage) mais aussi des stratégies d’apprentissage qu’ils ont pu individuelle- ment développer. » Ces discordances peuvent donc expliquer un certain nombre de difficultés des élèves allophones pour s’adapter au système scolaire français. Berchoud (1996) citée par (Cortier, 2005 :486-487) invite donc les enseignants à « rendre explicite la culture d’apprentis- sage qui est implicite » et à s’intéresser « aux textes officiels et programmes de la culture des apprenants [...] sources de renseignements très riches qu’il convient évidemment d’aborder sans tomber ni dans la naïveté ni dans l’idéologie ».

La difficulté réside dans le fait que les enseignants perçoivent comme naturel ce qui relève en réalité d’une construction culturelle. Ainsi, un enseignant peut reprocher à un étudiant japonais de manquer de logique parce que l’argumentation japonaise procède par retours et répétitions pour appuyer une thèse alors que « le caractère linéaire de l’argumentation en français où l’ordre prémisses - arguments - conclusion reste sinon la norme, du moins le modèle le plus fréquent4. » Certains chercheurs (Abdallah-Pretceille, De Pietro, Dabène cités dans (Cortier, 2005) ou 4. (Disson, 2005 : 184)

plus récemment (Muni Toke, 2012 : 21)5) mettent cependant en garde contre une approche com- paratiste des cultures qui cristalliserait les différences en obstacles culturels et dans laquelle la « survalorisation du paramètre culturel » (Abdallah-Preteceille in (Cortier, 2005 :477)) condui- rait à une réduction de l’individu à sa culture et donnerait même une vision faussée de ladite culture, « comme si celle-ci était un tout homogène et objectivable6».

S’il convient de se garder de tout déterminisme, je me rangerais plutôt à l’avis de Marie Ber- choud en concluant que la connaissance de la culture des apprenants est nécessaire au professeur, ne serait-ce parce que bien souvent, ce dernier est passé du lycée à l’université pour retourner au lycée, cette fois afin d’y enseigner. Par conséquent, il ne peut saisir et expliciter les spécificités de sa propre culture d’enseignement-apprentissage à moins d’en avoir pris conscience à travers l’expérience de l’altérité.

6.2.2

Une culture éducative modelée selon les exigences des examens

Cette culture éducative, intériorisée et digérée par les enseignants, est également largement influencée par les examens auxquels ils préparent les élèves (Takagaki, 2008 : 91). D’un pays à l’autre, le format des examens de fin de secondaire ou d’entrée à l’université peut être très différent. En France, par exemple, la composition française, sous forme de dissertation ou de commentaire, oblige à un ”recul réflexif” (Charolles, 1990 : 10) et à une rédaction élaborée où la structuration est primordiale. C’est loin d’être le cas partout : au Japon, par exemple, les exa- mens d’entrée à l’université prennent la forme de questions à choix multiples. Le but est donc de savoir répondre le plus rapidement possible à un plus grand nombre de questions possibles. Le format de l’examen ne conditionne donc pas les jeunes Japonais à rédiger ni même à argu- menter, les premiers exercices de ce genre n’étant abordés qu’à l’université, sous la forme du

sakubun(Suzuki, 2005 : 217). On pourrait évoquer également, plus près de nous, la Turquie,

dont l’examen de langue et de littérature turque consiste en une quarantaine de questions à ré- ponse courte et ne nécessite pas de rédaction longue.”Les curriculums élaborés par l’Éducation nationale turque et destinés à l’école primaire et secondaire soit douze ans de scolarité, ne font aucune mention de l’argumentation”(Kiran, 2016 :1). On peut donc imaginer le désarroi de ces apprenants confrontés à un exercice qui n’a jamais été pratiqué même dans leur langue mater- 5. « Penser la spécificité identitaire de l’autre est à la fois une marque de respect et une catégorisation à priori, qui prend le risque d’enfermer l’interaction dans des cadres niant la possibilité d’émergence d’une identité autre que celle que l’on a fantasmée au départ, en s’enfermant dans une illusion finalement culturaliste »

nelle.

6.2.3

Une culture éducative modelée selon les conventions d’écriture propres

à chaque langue

Au delà des exigences des examens, notre appréciation de ce que doit être un texte argumen- tatif est largement influencée par des conventions propres à chaque langue-culture. La variation des genres argumentatifs en fonction de la culture éducative a fait l’objet de nombreuses études. Le précurseur en est Kaplan (Kaplan, 1966), qui dans son ouvrage de 1966, explique les pro- blèmes de cohésion ou d’organisation dans les copies de ses étudiants d’anglais langue étrangère par l’influence des conventions d’écriture acquises en langue maternelle. C’est la naissance de la rhétorique contrastive, qui s’attache à comparer les genres textuels de différentes cultures selon les critères suivants (Hidden, 2013) :

- la linéarité : lien entre l’idée principale et les idées secondaire, présence ou non de digres- sions

- le plan du texte

- les enchaînements (procédés de cohésion textuelle)

- l’implication de l’auteur dans son texte (effacement ou non du scripteur) - le style : utilisation des figures de style

A partir des différents travaux sur le sujet, M.-O. Hidden recense un certain nombre de conventions rhétoriques propres à la France, caractérisées par :

- « des textes moins spontanés et moins personnels », en d’autres termes, l’effacement du scripteur pour mettre en avant les idées

- « l’importance du plan », de la structuration du texte

- « le guidage important du lecteur par le scripteur au moyen d’enchaînements explicites (organisateurs textuels et connecteurs argumentatifs.) »

A titre d’exemple, nous citons le travail mené par Nadia Zeltzer7dans son mémoire de mas- ter. Cette dernière a analysé les différences entre le genre de la dissertation dialectique française et un genre argumentatif voisin dans la culture éducative allemande, l’Erörterung. Elle a cher- ché à savoir si cette dernière faisait l’objet d’un transfert positif dans le cadre de la dissertation dialectique à la française dans les productions d’étudiants germanophones en classe de FLE. Il en résulte que le transfert de cette pratique donnait de bons résultats au niveau de l’emploi des

organisateurs du discours et des connecteurs logiques (Zeltzer, 2010 :37) mais s’avérait négatif au niveau de la présentation et de la disposition (en paragraphes), de l’ordre dans lequel étaient avancés les arguments (les étudiants alternaient les arguments pro et contra au lieu de regrouper les arguments pro d’une part et les arguments contra d’autre part) et de la modalité énoncia- tive (les étudiants employaient le pronom ”je” plutôt que les tournures impersonnelles.) Ces transferts énonciatifs se produisent lorsque la charge cognitive est élevée et que les étudiants ac- cordent, lors de la production écrite, une grande importance aux opérations de bas niveau. Dans ce cas, ils éprouvent des difficultés à dépasser « les superstructures textuelles argumentatives, reflet d’un style intellectuel de la culture d’origine » (Zeltzer, 2010 :51)

En d’autres termes, pour reprendre la typologie utilisée par M.-O. Hidden (cf.supra), pour ces étudiants allemands, ce n’était pas le guidage du lecteur par le scripteur au moyen d’en- chaînements explicites qui posait problème, mais la structuration du texte et l’effacement du scripteur. D’après Nadia Zeltzer, les cultures allemande et française sont encore relativement proches en raison de leur héritage commun, qui puise dans la rhétorique latine8; mais que se

passe-t-il lorsque l’apprenant ne connaît pas même d’équivalent dans sa culture d’apprentis- sage ? Ces difficultés pourraient encore être de nature très différente pour des apprenants issus d’une autre culture : c’est pourquoi un travail de compilation d’analyses contrastives pourrait être intéressant pour les enseignants d’UPE2A qui comptent dans leurs classes de nombreuses nationalités différentes.

6.2.4

Une culture éducative modelée selon les usages socio-culturels

Enfin, traditions scolaires ou académiques mises à part, il apparaît en outre que les usages socio-pragmatiques inhérents aux langues-cultures peuvent rendre difficile l’abord de la disser- tation et plus largement, de l’argumentation. Ainsi, comme le souligne Suzuki9, l’usage culturel consistant à ne jamais s’opposer directement à son interlocuteur mais à ménager sa face ne pré- dispose pas vraiment les locuteurs et scripteurs japonais à l’argumentation, ni même à affirmer leurs prises de position. On peut même aller plus loin : sans doute le régime politique sous lequel un enfant grandit le forme-t-il à exprimer son avis ou au contraire à faire preuve de réserve. Ainsi Cortier et Bouchard (Cortier, 2005 :478) avancent-ils que « les modes d’organisations sociaux

8. (Zeltzer, 2010 :9)

9. (Suzuki, 2005 :216) - « Le psychanalyste japonais Takeo Doï s’exprime sur ce point dans cet ouvrage : ”Au Japon, on accorde une telle importance à l’harmonie avec autrui qu’il est difficile d’avoir l’esprit critique. Par conséquent, les techniques de débat ne se sont pas développées.”

et politiques sont déterminants aussi bien sur la nature de la relation pédagogique que sur les finalités de l’éducation. [...] L’histoire, les traditions, les religions, les valeurs patrimoniales et sociales sont largement présentes dans les cultures éducatives aussi bien dans le contenu des programmes, que la culture d’établissement que plus largement les représentations des rôles de l’enseignant et de l’élève. »

On mesure donc la complexité que peut représenter, pour les enseignants d’UPE2A, le fait de prendre en compte chaque culture d’apprentissage dans ses spécificités. Cela conduit les professeurs à deux attitudes opposées : soit maintenir une tension, soit établir un continuum entre deux pôles :

- « enseigner, imposer des méthodologies instituées

- connaître respecter les types d’apprenants et les habitudes d’apprentissage10»