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CHAPITRE II Réparer ou ‘réacter’ ? L’influence causale de la culpabilité sur la

Expérience 3 culpabilité et comportement pro-environnemental graduellement contraignant

Cette expérience visait à répliquer les résultats obtenus dans l’Expérience 2 en mesurant une autre variable comportementale pro-environnementale. L’opérationnalisation de cette variable s’est inspirée d’une étude menée par Dumont, Yzerbyt, Wigboldus et Gordijn (2003). Dans cette expérience destinée à mesurer les effets de la catégorisation sociale suite aux attentats du 11 septembre 2001, les auteurs ont utilisé comme variable comportementale une série de trois « demandes » de plus en plus contraignantes pour les participants. Une première question demandait aux participants s’ils désiraient laisser leur numéro de téléphone ou adresse e-mail afin de recevoir des informations détaillées sur le terrorisme. Une deuxième demande leur proposait de laisser leurs coordonnées pour, ensuite, aider concrètement les victimes d’attentats. Enfin, la troisième proposition consistait à s’engager à soutenir les actions de l’OTAN (via une signature de forme pétition). Ces demandes progressivement contraignantes permettent d’une part de proposer un véritable comportement (les participants pensent signer et s’engager dans de véritables actions), d’autre part de diminuer les risques d’effets « plancher » ou « plafond » en proposant des comportements plus ou moins engageants. Ce type de mesures a été adapté ici en formulant des demandes pro-environnementales.

17 Cette expérience a été menée par une étudiante de Master 1 en Psychologie à l’Université de Bordeaux, Émilie Gonzalez, dans le cadre d’un co-encadrement avec le directeur de thèse.

Méthode Participants

Quatre-vingt-six étudiants de l’Université de Bordeaux ont participé à cette expérience (74 femmes, Mage = 20.87, ET = 2.27). Ils ont été recrutés sur base volontaire dans les groupes de travaux dirigés et dans les espaces extérieurs de l’Université de Bordeaux. Trois participants ont été exclus avant analyse pour non-respect des instructions de rappel manuscrit ainsi qu’évalué par deux codeurs indépendants18. Les 83 participants

restants ont été assignés aléatoirement dans les conditions d’un plan inter-sujets 2 (Culpabilité vs. contrôle) X 2 (Consigne subtile vs. consigne explicite).

Procédure

Les participants étaient accueillis par l’expérimentatrice puis conduits dans un box expérimental pour participer à deux études présentées comme indépendantes. Ils signaient un formulaire de consentement puis étaient informés par oral du déroulé de l’expérience. De nouveau, l’émotion a été induite par rappel autobiographique (cf. Expériences 1 et 2) avec deux conditions : culpabilité (i.e., description d’un souvenir de culpabilité) vs. contrôle (i.e., récit d’une journée typique de sa vie). Les participants remplissaient ensuite un questionnaire d’état émotionnel identique à ceux utilisés précédemment puis remettaient l’ensemble (le texte manuscrit et le questionnaire) dans une enveloppe. Après cette première partie d’une durée d’environ 10-15 minutes (pas de limite de temps imposée), l’expérimentatrice retrouvait les participants dans le box. Elle remettait une grande enveloppe contenant des documents pour la « deuxième étude », portant sur l’écologie. Il

18 Les participants exclus l’ont été en cas d’absence d’unanimité entre les deux codeurs sur la bonne induction émotionnelle.

était précisé que l’ensemble des instructions serait présenté à l’intérieur de l’enveloppe. L’expérimentatrice laissait ensuite les participants seuls pour ouvrir l’enveloppe, lire les consignes et répondre aux questions, sans limite de temps.

La première page des documents placés à l’intérieur de l’enveloppe était présentée comme une « enquête sur la perception des étudiants concernant l’instauration d’une politique environnementale à l’Université de Bordeaux » (voir annexes 10 et 11). Il était ensuite demandé de lire attentivement un texte présentant un projet de mise en place de tri sélectif à l’Université de Bordeaux. Dans une condition expérimentale de consigne « explicite », le texte était suivi de la phrase suivante, en gras : « Il faut se mobiliser afin de préserver la planète ! ». Dans la condition consigne « subtile », aucune phrase n’était ajoutée après le texte initial.

Les participants devaient ensuite indiquer leur degré d’accord (de « 0 », pas du tout d’accord, à « 6 », tout à fait d’accord) sur une série de six propositions portant sur les attitudes pro-environnementales (voir annexe 12). Trois étaient spécifiques à la thématique du tri des déchets : « Je pense qu’il faut faire très attention à ne pas jeter de verre à la poubelle », « À l’avenir, je serai plus vigilant(e) quant au tri des déchets » et « Je trouve normal de payer une amende si l’on jette à la poubelle des déchets recyclables ».

Trois propositions portaient sur les attitudes pro-environnementales en général : « Nous sommes responsables de la dégradation de notre planète et nous devons nous mobiliser pour que cela cesse », « Ces derniers temps, le gouvernement a accordé trop d’importance à la question de l’écologie » (item inversé), « Il est primordial de modifier nos habitudes (de vie, de consommation) afin de préserver la planète ».

Après avoir répondu à ces questions d’attitude, les participants devaient choisir de s’engager ou pas (réponses dichotomiques « oui » ou « non ») dans quatre comportements

proposés (voir annexe 13) : le premier comportement proposait aux participants la possibilité de recevoir chez soi un guide de gestes simples pour effectuer le tri des déchets. Le second comportement présentait la possibilité d’acheter un porte-clés (3 euros) dont les bénéfices serviraient à financer des recherches sur l’environnement19. Le troisième

comportement consistait à proposer aux participants de s’inscrire pour participer à des ateliers de sensibilisation au tri des déchets dans les écoles primaires. Enfin, une pétition pouvait être signée par les étudiants demandant au Président de l’université de Bordeaux d’installer des bacs à tri de déchets (quatrième comportement). La pétition était présentée avec plusieurs « fausses » signatures déjà remplies afin de renforcer la crédibilité du document. Il était enfin demandé aux participants de dire si le texte initial « incitait chacun à agir pour protéger l’environnement » (de 0, « pas du tout » à 6, « tout à fait », échelle en 7 points de contrôle de manipulation des consignes forte et faible). Les participants indiquaient leur âge, leur sexe, retrouvaient l’expérimentatrice puis étaient finalement débriefés et remerciés pour leur participation à l’étude.

Résultats Induction émotionnelle

Les participants en condition « culpabilité » ont rapporté davantage de culpabilité (M = 3.80, ET = 1.95) que les participants du groupe contrôle (M = 0.88, ET = 1.40), F(1, 81) = 61.7, p < .001, ηp² = .43. Les participants du groupe culpabilité ont aussi rapporté plus

de culpabilité que les autres émotions mesurées, ts(40) > 2.24, ps <.03, ηps² > .11. Perception du message sur le tri

19 Pour ce deuxième comportement, il était précisé que si les participants répondaient « oui », l’argent leur serait demandé en fin d’expérience en échange du porte- clés.

Le texte contenant la consigne « forte » (avec la phrase supplémentaire) a été tendanciellement évalué comme incitant davantage à protéger l’environnement (M = 4.17,

ET = 1.23) que le texte consigne « faible » (M = 3.70, ET = 1.19), F (1, 79) = 3.28, p =.07,

ηp² = .04.

Attitude pro-environnementale

Les 6 items constituant le questionnaire d’attitude pro-environnementale ont été soumis à une analyse factorielle « maximum de vraisemblance » avec rotation Varimax. Un premier facteur est ressorti représentant 27% de variance expliquée. Un item20 a été exclu

en raison d’une saturation trop faible, < .11. Un score composite regroupant les cinq items restants a été créé (α = .71) et soumis à une ANOVA 2 (Émotion : culpabilité vs. contrôle) X 2 (Consigne : forte vs. faible). Les résultats n’indiquent aucun effet significatif, Fs < .21.

Comportement pro-environnemental

Comme cela était attendu, les quatre comportements proposés ont provoqué des degrés d’engagement variables. Soixante-treize pourcents des participants ont répondu « oui » au premier comportement (laisser son e-mail pour recevoir des informations sur le tri des déchets), 38.6% se sont déclarés d’accord pour acheter un porte-clés (deuxième comportement), 16.9% ont ensuite répondu favorablement à la demande de s’inscrire aux ateliers de sensibilisation en école primaire. Enfin, le quatrième comportement (signature de la pétition) a été le plus suivi avec 81% de participants signant la pétition. Ce comportement était peut-être effectivement moins contraignant que les autres, indépendamment des demandes antérieures. Il est aussi possible que les demandes précédentes, et notamment la troisième, fortement contraignante (plus de 83% de réponses

négatives), aient influencé le choix des participants pour cette dernière requête. Les participants ont pu trouver par l’intermédiaire du quatrième comportement une façon de se conformer à moindre coût à la demande de l’expérimentatrice21. Pour plausibles qu’elles

soient, ces explications demeurent formulées a posteriori et n’ont pas été directement testées dans l’Expérience 3. Ainsi, bien que la contrainte graduelle n’ait pas été strictement respectée (la 4e mesure est moins contraignante), les réponses aux quatre comportements

ont été codées (1 = oui, 0 = non) et additionnées pour constituer un score de comportement pro-environnemental. Ce score a été soumis à une ANOVA 2 (Émotion : culpabilité vs. contrôle) X 2 (Consigne : forte vs. faible). Les résultats font ressortir une interaction globale tendanciellement significative, F (1,79) = 3.28, p = .074, ηp² = .04. Lorsqu’ils ont été

confrontés une consigne subtile, les participants du groupe culpabilité ont présenté des scores de comportement pro-environnemental tendanciellement plus élevés (M = 2.24, ET = 0.94) que ceux du groupe contrôle (M = 1.75, ET = 0.96), F (1,79) = 2.70, p = .10, ηp² =

.03. Comme pour l’Expérience 2, le pattern de résultat est inversé, mais de manière non significative, pour les participants confrontés à une consigne explicite : ceux de la condition « culpabilité » obtiennent un score pro-environnemental plus faible (M = 2.05, ET = 1.10) que ceux du groupe contrôle (M = 2.32, ET = 0.78), F = 0.83 (voir Figure 4).

21 Les mécanismes en jeu ici peuvent être de type « porte au nez » : une requête initiale coûteuse permet la réalisation d’une requête cible perçue alors comme plus facilement exécutable (Cialdini, Vincent, Lewis, Catalan, Wheeler, & Darby, 1975).

Figure 4. Score de comportement pro-environnemental moyen (avec barre d’erreur

standard) en fonction de l’état émotionnel et du type de demande (Expérience 3).

Corrélations entre culpabilité, attitude et comportement pro-environnementaux

Des analyses de corrélations ont été effectuées entre les niveaux de culpabilité déclarés et les scores d’attitude et de comportement pro-environnementaux, selon le type de consigne (échantillon scindé entre consigne explicite et consigne subtile). Les résultats ne montrent aucune corrélation significative entre le niveau de culpabilité et les différents scores, quel que soit le type de consigne, rs < .18, ps > .25. Il apparaît donc que le niveau de culpabilité rapporté n’est pas prédictif du score pro-environnemental (attitude et comportement) pour cette expérience.

Méta-analyse des résultats des Expériences 2 et 3

Les Expériences 2 et 3 présentent des résultats et des patterns de réponse comparables (voir Figures 3 et 4) tendant à montrer l’existence d’une interaction entre l’état émotionnel (Culpabilité vs. contrôle) et le type de message ou d’instructions présentés

1 1,2 1,4 1,6 1,8 2 2,2 2,4 2,6

Consigne "Forte" Consigne "Faible" Culpabilité Contrôle

(Consignes réparatrices / fortes vs. consignes normales / faibles). Pour renforcer la confiance en ces résultats et diminuer les biais liés à la puissance moyenne des expériences, des méta-analyses à petite échelle (voir Cumming, 201222) ont été conduites sur les

Expériences 2 et 3, portant à la fois sur les effets d’interaction et les effets simples.

Effet d’interaction moyen

Pour effectuer une méta-analyse portant sur les effets d’interaction des Expériences 2 et 3, un indicateur commun standardisé de taille d’effet a été choisi. Il s’agissait du g de Hedge, une version corrigée du d de Cohen tenant compte des tailles d’échantillon. Le d de Cohen pour les interactions se calcule en effectuant la différence des différences de moyennes (numérateur) divisé par l’écart type commun aux deux expériences (voir Borenstein, 2009, pour la formule de calcul du g de Hedge à partir du d et du N). Les résultats de la méta-analyse révèlent pour l’Expérience 2 un score g =1.66 et pour l’Expérience 3 un score g = 0.79. La taille d’effet d’interaction moyenne pour ces deux études a été calculée à l’aide du logiciel ESCI©23 en utilisant une méthode dite « modèle

aléatoire ». Ce type de modèle s’oppose aux modèles dits « fixes », qui reposent sur une présomption d’homogénéité des variances des études méta-analysées. Cette hypothèse est relativement forte et contraignante, puisqu’elle suppose que les véritables effets (inconnus) d’interaction ne varient pas en fonction des conditions d’expérience et des études. Le modèle aléatoire, plus conservateur dans son traitement, tient compte d’une possibilité de variation du véritable effet entre chaque expérience (en raison, par exemple, de mesures

22 Selon Cumming (2012), la méta-analyse est ainsi une manière de renforcer la preuve de l’existence d’un effet, de réduire l’incertitude liée au manque de puissance ou encore de diminuer les intervalles de confiance d’effets obtenus.

23 Cumming, G. (2001-2011). ESCI, Exploratory Software for Confidence Intervals. Computer software, disponible à l’adresse suivante : http://www.latrobe.edu.au/psy/research/projects/esci

différentes, de dissimilitudes entre les échantillons etc.). Les deux expériences étant ici distinctes dans leur méthodologie, recueil de mesures etc., c’est ce modèle à effet aléatoire qui a été choisi. Il s’agit en outre du modèle de calcul recommandé par défaut (Cumming, 2012).

La méta-analyse des effets d’interaction des Expériences 2 et 3 indique un effet d’interaction moyen significatif, g = 1.25, z = 3.04, p = .002, 95 % CI [.44, 2.06].

Effets simples moyens

Selon la même méthodologie et en utilisant de nouveau le modèle à effet aléatoire, des méta-analyses ont été effectuées pour les effets simples des deux types d’instructions (explicites vs. faibles). Les d de Cohen ont été utilisés comme indicateurs standardisés communs. Lorsque les participants ont été confrontés à une consigne « explicite » (forte), la méta-analyse des effets simples (d = 0.96, Expérience 2; d = 0.27, Expérience 3) indique un effet moyen tendanciellement significatif, δ = 0.615, 95% CI [-0.066, 1.296], p = .076. Lorsque les participants ont été confrontés à une consigne « faible » (subtile), la méta- analyse des effets simples (d = 0.7, Expérience 2; d = 0.57, Expérience 3) montre l’existence d’un effet moyen significatif, δ = 0.637, 95% CI [0.204, 1.071], p = .004.

Discussion

Les résultats de cette expérience répliquent ceux obtenus dans l’Expérience 2, à savoir que la culpabilité favorise la persuasion pro-environnementale mesurée via un comportement spécifique (jeu de rôle dans l’Expérience 2, comportement graduel dans l’Expérience 3), et ce dans la mesure où les possibilités de réparation ne sont pas présentées de façon trop explicite (auquel cas un risque d’apparition de réactance survient). En outre, les différentes méta-analyses de petite échelle effectuées sur ces deux expériences tendent à confirmer la robustesse de cet effet d’interaction entre l’état émotionnel (culpabilité vs.

neutre) et le type d’instructions/consignes présenté (fortes vs. faibles), même si aucune conclusion définitive ne peut être tirée pour ce qui concerne l’effet simple de réactance à ce stade (résultats tendanciels).

Comme pour l’Expérience 2, aucun résultat significatif n’a été observé pour l’attitude pro-environnementale. Les explications proposées dans le cadre de la discussion de l’Expérience 2 restent ici concevables, à savoir que l’effet peut être faible en termes de puissance statistique, ou bien qu’il existerait une différence avec l’Expérience 1 liée à la spécificité des questions posées. Il semble en tout cas que l’effet de la culpabilité sur la persuasion de type pro-environnementale via une consigne de réparation subtile puisse influencer positivement le comportement sans la médiation d’un changement d’attitude. Cette observation paraît ainsi contraire aux théories reliant attitude et comportement (e.g., Ajzen, 1991).

Les résultats vont, comme ceux de l’expérience précédente, dans le sens d’une conception « motivationnelle » de la culpabilité. Le but de la culpabilité étant de favoriser la réparation, les possibilités de réparer présentes dans l’environnement seraient perçues comme des moyens d’atteindre ce but. Cela entraînerait une plus forte réparation avec des consignes et instructions « subtiles », puisque les participants « culpabilisés » les détecteraient davantage comme des possibilités de réparer que ceux n’éprouvant pas cette émotion (i.e., en condition émotionnelle « neutre »). Plusieurs questions restent toutefois en suspens. Ainsi, le sentiment de réactance (i.e., sensation de privation de liberté) possiblement provoqué par les instructions / consignes n’a jamais été mesuré directement dans ces expériences. En second lieu, dans les trois expériences précédentes, la source du sentiment de culpabilité était la même que celle qui proposait ensuite des possibilités de réparer (i.e., l’expérimentateur). Si les participants en condition culpabilité sont

effectivement plus attentifs à leur environnement et réceptifs aux possibilités de réparation, ils devraient être également plus sensibles à cette source de culpabilité. Les deux expériences suivantes (4a, 4b) ont eu pour objectif de clarifier le rôle joué d’une part par la consigne elle-même, d’autre part par la source de l’induction émotionnelle. Enfin, les scores de ressenti émotionnel ne sont, contrairement aux expériences précédentes, pas corrélés avec les scores d’attitude ou de comportement. Cette absence de lien pourrait être liée à une différence de nature entre le ressenti subjectif déclaré et l’induction émotionnelle expérimentale (rappel manuscrit), bien qu’aucune conclusion définitive ne puisse être tirée concernant ce défaut de corrélation significative.

Expérience 4a : perception de la consigne du jeu de dilemme pro-environnemental et réactance

Les Expériences 2 et 3 ont montré que, confrontés à une consigne de type « forte » (i.e., présentation insistante et explicite de possibilités de réparation pro-environnementale), les participants en condition « culpabilité » se comportaient de manière moins pro- environnementale que ceux de la condition contrôle (émotion neutre). Une interprétation de ce comportement a été proposée en se référant à la réactance. Mise en évidence par Brehm (1966), la réactance est un phénomène psychologique qui survient lorsqu’un individu cherche à rétablir sa liberté individuelle qu’il pense menacée. Ainsi, contraindre une personne à adopter un comportement particulier, ou l’inciter fortement en ce sens, peut conduire cette même personne à effectuer un comportement contraire à celui demandé (voir Chapitre I). L’une des difficultés des chercheurs face au phénomène de réactance réside en la difficulté de le mesurer efficacement. Cela suppose en effet d’évaluer le sentiment de privation de liberté avant l’adoption du comportement restaurateur de cette

liberté. Pour Brehm, la réactance se déduit ainsi de comportements observés davantage qu’elle ne se mesure directement. Des indicateurs explicites de ce sentiment supposeraient en effet que les individus aient conscience d’éprouver cette privation de liberté, ce qui est probablement loin d’être toujours le cas. Des travaux ultérieurs à ceux de Brehm ont toutefois tenté de mesurer la réactance. Une échelle de réactance « trait » a par exemple été développée (Hong & Page, 1989). L’échelle dite de « Hong » mesure ainsi la propension individuelle à éprouver de la réactance.

Notre objectif dans cette Expérience 4a était de vérifier dans quelle mesure le type de consigne proposée pouvait provoquer, indépendamment de l’état émotionnel induit, un sentiment de privation de liberté, caractéristique de la réactance. Nous nous sommes inspirés de l’échelle de Hong pour la formulation des items de cette expérience, bien qu’il ne s’agisse pas ici de mesures « trait » relatives aux participants.

Méthode Participants

Soixante-dix étudiants de l’Université de Bordeaux (60 femmes, Mage = 18.94, ET = 1.63) ont participé à cette expérience dont le recrutement et la passation ont été effectués en travaux dirigés (deux groupes de TD). Les 70 participants ont été aléatoirement assignés à deux conditions expérimentales (consigne réparation vs. consigne classique).

Méthode

En début d’heure de travaux dirigés, les étudiants ont été informés qu’ils pouvaient participer à une étude, facultative, relative à la « compréhension d’instructions écrites ». Aucun étudiant n’a refusé de participer à l’expérience. Il était ensuite précisé que les participants allaient prendre connaissance du contenu d’une consigne conçue pour un jeu sur ordinateur. Leur avis leur serait demandé sur la consigne de jeu (voir annexe 14). Les

participants étaient ensuite confrontés à un texte papier reprenant, mot pour mot, la consigne de jeu utilisée lors du jeu de ressources de l’Expérience 2. Il s’agissait soit de la consigne « pro-environnementale » (avec l’ajout de mots relatifs à la protection de l’environnement, voir Expérience 2), soit pour l’autre condition expérimentale, de la consigne « classique ».

Les participants devaient ensuite indiquer dans quelle mesure ils étaient d’accord avec une série d’affirmations, sur une échelle de 1 (« pas du tout d’accord ») à 7 (« tout à fait d’accord »). Deux questions portaient sur des contrôles de manipulation (bonne perception des deux consignes) : « Le but du jeu présenté est de pêcher davantage de poissons que l’adversaire, coûte que coûte » et « Ce jeu propose de réparer les dégâts causés par l’homme à l’environnement ». Cinq questions portaient sur la réactance, inspirées de l’échelle de Hong (1989) : « Je considère ce texte comme une intrusion dans ma vie privée », « Cette consigne de jeu me donne envie d’agir à l’inverse de ce qui est demandé », « La consigne ne propose que peu de marges de manœuvre », « Je me sens contraint par cette consigne de jeu », « Cette consigne de jeu m’irrite », et enfin « Je me sens forcé par cette consigne de jeu » ( de 0 « pas du tout », à 6 « totalement »).

Les participants devaient ensuite remplir un questionnaire d’état émotionnel, identique à celui des expériences précédentes, afin de mesurer si la lecture des consignes modifiait l’état émotionnel. En effet, la réactance est fréquemment reliée à la survenue concomitante d’émotions comme la colère ou l’irritation (Dillard & Shen, 2005). Il est ainsi envisageable que la lecture de la consigne « réparation » génère davantage de colère et d’irritation que la consigne « classique ». Les étudiants participant indiquaient ensuite leur âge, leur sexe et leur langue maternelle (aucun non francophone dans cette expérience). Une fois la passation

terminée (une vingtaine de minutes environ), les questionnaires étaient ramassés. Les participants étaient finalement collectivement remerciés et débriefés.

Résultats Perception de la consigne

La consigne « réparation » a bien été évaluée comme proposant davantage « de réparer les dégâts causés par l’homme à l’environnement » (M = 4.79, ET = 1.58) que la consigne « classique » (M = 3.95, ET = 1.56), F(1, 68) = 5.08, p <.03, ηp² = .07. De la même