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Croyances, causalités et principes thérapeutiques traditionnels marocains concernant les aphrodisiaques

Materiels et methodes

2) Croyances, causalités et principes thérapeutiques traditionnels marocains concernant les aphrodisiaques

Le chaud et le froid

D‘après l‘enquête, la principale cause des dysfonctions sexuelles dans le système traditionnel marocain, est le refroidissement, et c‘est ainsi qu‘elles sont désignées ; la « brūda » (le froid) ou étant « nafsī bārida » (ayant un souffle froid), « nafsī » dérive du mot « nafs » qui veut dire, le souffle, l‘âme, l‘essence, le principe vital ou le sang (Reig 1999). Il est également dit d‘une personne impuissante que son âme est morte « nafsuhû maīta ». Ce qui dévoile

l‘importance donnée à la puissance sexuelle. Selon Chebel, l‘impuissance chronique peut même aboutir à l‘annulation du mariage. [66]

Les remèdes qui sont censés traiter ces types de maladies sont appelés « Msakhen » qui est le participe présent de skhun qui signifie chaud et les msahen désignent les produits réchauffants aussi appelés fortifiants en français, servent à contrer les burūd ou refroidissements. Ce terme est assez central dans la société marocaine car il véhicule certaines valeurs fondamentales, mais il est aussi très présent dans la médecine populaire en raison du large spectre de pathologies qu‘il recouvre. Ainsi, un refroidissement peut désigner diverses affections telles que le rhume, les rhumatismes et tous les problèmes d‘articulations, le mal de dos, les problèmes de vessie, de stérilité féminine et d‘impuissance masculine. Cette conception serait issue de la médecine arabe classique et plus particulièrement de la vision hippocratique (Bellakhdar, 1995). [66]

Dans le système de santé arabo-musulmane, on classe les médicaments selon la théorie des tempéraments. Selon cette théorie, le tempérament d‘un individu se trouve entièrement défini par le rapport existant dans son organisme entre les quatre humeurs ; chaud, froid, sec et humide. Une bonne santé tient de ce que les humeurs sont entre elles dans un état d‘équilibre parfait, celui qui correspond exactement à l‘âge, la région, la saison, l‘individu considéré. Un trouble quelconque signifie la déviation de cet équilibre (inhiraf el mizaj) dans un sens ou dans un autre. Le traitement consistera donc, en application de cette théorie, à apporter des remèdes possédant, en raison de leur nature et de leur état, l‘activité appropriée.

Ainsi, les médicaments sont classés dans la matière médicale arabe selon neuf types d‘état : l‘état équilibré (mu‘tadil) ; les quatre états simples : chaud, froid, sec, humide ; et les quatre états composés : chaud-sec, chaud-humide, froid-sec, froid-humide. Intervient en plus, à l‘intérieur de chaque état, une hiérarchie rendant compte de la force avec laquelle ces produits agissent, un coefficient d‘activité en quelque sorte. Cette hiérarchie distingue quatre degrés. On dira par exemple d‘un produit qu‘il est chaud au premier degré, d‘un autre qu‘il est chaud au second degré ou chaud au troisième degré, ou encore chaud au quatrième degré. Ce qu‘il est intéressant pour nous de noter ici, c‘est que les médecins arabes appliquent cette classification aussi bien aux médicaments qu‘aux aliments et aux poisons. Pour eux, il y a intercommutabilité entre ces trois qualités selon l‘usage qui est fait, les modalités d‘emploi, les doses qu‘on utilise, le tempérament du receveur. Généralement, les fruits et légumes très juteux sont classés froids et humides, sauf cas particuliers ; le blé, l‘oignon, l‘ail, les légumes amers (olives, cardons, artichaut) sont considérés comme chauds et secs. Chaque aliment reçoit donc un attribut propre (el mizaj ou le tempérament). [17]

La santé est l‘équilibre parfait de ces 4 humeurs, la maladie est la rupture de cet équilibre, que le traitement doit rétablir. On soigne alors par les contraires, une maladie froide étant traitée par une plante chaude (Pelt, 2004). [15, 66]

Selon Marc Augé ces oppositions binaires chaud/froid, humide/sec etc. sont présentes dans de nombreux systèmes de pensée et relèvent de ce qu‘il appelle la « logique des différences ». Le burūd est en donc opposé au « skhun » auquel est rattaché l‘idée de « quelque chose qui sort », comme par exemple la fièvre ou un

aphte, issus d‘un « surplus de chaleur dans l‘estomac ». Les maladies microbiennes ou sexuellement transmissibles (syphilis) sont aussi dénommées « refroidissements », car le refroidissement vient de l‘extérieur, c‘est « quelque chose qui rentre ». La maladie sexuellement transmissible sera donc considérée comme un refroidissement du sexe, au même titre que l‘impuissance ou les faiblesses sexuelles.

En fait, un réchauffant quelconque est, par nature, aphrodisiaque. Ainsi, il est possible de consommer du « Ras Al-ḥanut » ou n‘importe quel autre produit réchauffant pour obtenir des effets aphrodisiaques

En ce qui concerne les étiologies de ces refroidissements ou burūd, une multitude de causes a été présentée par les médecins traditionnels dont on note ; le changement de style de vie comme la manière d‘habillement surtout pour les femmes qui se laissent attraper froid, la mauvaise hygiène surtout gynécologique (laver les parties génitales par de l‘eau froide à la place de l‘eau chaude donne la foideur), ainsi que la mauvaise alimentation ; auparavant, les marocains souffraient moins de refroidissements ou impuissances car leurs alimentations était riche en plantes, surtout les épices réputées chaudes, alors que aujourd‘hui, on mange peu de vrai nutriments, l‘alimentation devient de plus en plus industrialisée, additionnée de produits chimiques, dont les herboristes accusent d‘entraîner de la froideur, on note aussi la pollution, alors que l‘étiologie la plus privilégiée, est la magie et la sorcellerie, par des croyances ancrée dans la société marocaine du phénomène du « th‘qaf » qui veut dire : jeter un sort ou agir par des précèdes magiques pour rendre un homme impuissant, pour cette raison, plusieurs plantes sont utilisées pas pour les principes chimiques qu‘elles

mauvais génies « diables »…ces types de plantes sont employées en fumigations qui sont généralement nommées « tfûssiḫa » au Maroc.

Enfin, la recette Msakhan est très populaire au Maroc et rentre dans l‘alimentation quotidienne d‘un grand nombre de marocain, abondamment vendus sous diverses formes (thé, poudre, pâte mielleuse, plante entière, etc.). Un mélange de substances destinées à apporter un << plus >> d'ordre thérapeutique ou nutritionnel : toniques, réchauffants, compléments alimentaires, aphrodisiaques. L'exemple type de ces substances à visée plurielle est le Ras al-ḥanout marocain, sorte de toute-épice locale contenant parfois jusqu'à cinquante produits.

En fait, il s'agit d‘une véritable thériaque qu'on ajoute aux mets riches, et qui est perçue comme une « médecine ». Le ras al-ḥanout est d‘ailleurs souvent prescrit en tisane comme remède réchauffant, tonique, aphrodisiaque, anti-asthénique et stimulant de l‘activité intellectuelle. [17]

La traduction littérale de ras al-ḥanout est "la tête du magasin", c'est à dire, ce qu'il y a de meilleur dans la boutique. Cette recette au même titre que les autres recettes aphrodisiaques est très commune chez les herboristes et il est impossible de fréquenter cet univers sans en entendre parler.