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Crowdsourcing et design urbain : perspectives pour des méthodes d’aménagement collectives

Ce mémoire a été l’occasion non seulement de tester un outil interactif de crowdsourcing dans le cadre d’un processus de design urbain et d’aménagement participatif, mais aussi d’explorer et d’expérimenter avec des méthodes participatives, encore peu connues à Québec, qui contribuent à recomposer les approches de participation publique, autant pour les citoyens, que pour les aménagistes et les décideurs. Depuis le début de ce mémoire à l’automne 2012, le paysage de la scène participative en ligne à Québec s’est transformé. Il y a eu une multiplication des blogues de quartiers (monlimoilou.com, monsaitroch.com, monsaitsauveur.com,

monmontcalm.com) et, récemment en octobre 2014, le lancement de la plateforme Web votepour.ca78 qui

propose entres autres de recueillir et de soumettre au vote, un peu à la manière du crowdsourcing, des idées de développements urbains et des suggestions pour de nouveaux commerces. À la lumière de ces initiatives et des résultats obtenus, il semble évident que les citoyens de Québec et de la CMQ sont enclins à vouloir participer en ligne pour donner leur opinion sur des questions d’aménagement concernant leur ville ou leurs quartiers. Cependant, les résultats de la recherche ne permettent pas de conclure de manière décisive sur la stratégie ou l’outil le plus efficace pour réellement engager et impliquer les participants via le Web

En effet, il en ressort qu’il n’y a pas un outil, une méthode ou une stratégie d’interaction qui est plus susceptible de contribuer à la collaboration des acteurs en ligne sur des questions d’aménagement et de design urbain. Cependant, la complémentarité des deux stratégies interactives (face à face versus à distance) à chacune des étapes (information, mobilisation et collaboration) s’est révélée importante et leur intégration à un processus d’aménagement participatif en sera d’autant plus efficace si les orchestrateurs sont conscients de leurs forces respectives et si elles sont appliquées aux bons groupes de participants (citoyens vs experts, échelle locale vs grand public). De plus, tel que mentionné dans la discussion du chapitre 5, il ressort que les différents outils et stratégies (à distance ou face à face) sont plus ou moins adéquats selon les objectifs que se fixe l’équipe orchestratrice, autant en termes d’échelle spatiale à couvrir, que d’échelle sociale et de types de participants à viser pour une collaboration optimale. En ce sens, il est difficile d’émettre des recommandations claires et définitives pour la pratique sur les outils et stratégies à prioriser lors des différentes phases du processus d’aménagement participatif. Par contre, les résultats du mémoire tendent à corroborer les croisements réalisés à la lumière de la revue de la littérature du chapitre 2 entre étapes, échelles de participation et outils ou stratégies à privilégier (Tableau 3).

78 Votepour.ca fondé en 2014 par Marc Jeannote et Léon Talbot se décrit comme « un organisme de participation citoyenne, de consultation publique

Par exemple, lors de la phase d’information, pour assurer une bonne compréhension des enjeux de l’adaptation des environnements urbains aux changements climatiques et le bon fonctionnement de la plateforme Crowdbrite, la transmission d’informations personnalisées en face à face lors de rencontres ou de manière virtuelle via messagerie vidéo, est nécessaire. Parallèlement, des outils comme le site Web ou les vidéos d’instructions peuvent amener un complément d’information pour les participants, voire même agir comme média de mobilisation lorsque combinés avec l’utilisation de médias sociaux. En ce sens, la complémentarité des principaux moyens de mobilisation (bouche-à-oreille, médias sociaux, courriels) a permis de joindre durant la phase-application de la consultation Web des types de participants variés, allant des étudiants et des jeunes professionnels du domaine de l’aménagement par le bouche-à-oreille et les médias sociaux, aux professionnels de domaines variés par les courriels. Enfin, alors que la combinaison simultanée des stratégies d’interaction Web et face à face s’est révélée un échec pour la collaboration durant les phases- tests, les deux méthodes participatives testées séparément (groupes de discussions augmentées et consultation en ligne asynchrone) ont permis d’impliquer dans le processus de validation experts et citoyens. Ces derniers ont fourni différents types de commentaires, qu’ils soient la résultante d’une discussion concertée ou d’une opinion individuelle, et de perspectives d’analyse différentes qui ont informé la conception des scénarios et mesures d’adaptations, ainsi que leur faisabilité et leur acceptabilité sociale.

Ces observations mènent à conclure que les différents contextes (traditionnel versus numérique) offrent des expériences variées aux participants. Sans que l’une ne soit meilleure que l’autre, les deux permettent de contribuer de manière différente, mais de façon tout aussi importante, à une participation « saine » des citoyens. Face aux enjeux complexes de la ville contemporaine, cette adéquation, quoique difficile à réaliser, permet de réfléchir différemment à la nature de la collaboration en aménagement et d’impliquer différents types de participants pour la résolution d’enjeux communs.

L’aspect innovant de la recherche effectuée dans ce mémoire est l’expérimentation avec des stratégies Web et traditionnelles dans le but de réaliser une collaboration durable entre citoyens s’effectuant en ligne. Cependant, il a été observé que l’aspect même de cette collaboration en ligne, ainsi que de la plateforme, peu conviviale et peu connue des participants, utilisée pour la mettre en oeuvre, a créé des barrières à la participation citoyenne à distance. En effet, le temps nécessaire pour participer en ligne, les multiples étapes préliminaires, la surcharge d’informations, les problèmes de navigation sur Crowdbrite, le manque d’interaction entre les participants et l’équipe orchestratrice et, enfin, le sujet complexe des changements climatiques ont contribué à poser des barrières à la collaboration et ont découragé plusieurs participants. Les interactions entre participants et chercheurs et entre participants eux-mêmes sont alors apparues comme un élément primordial pour favoriser une participation durable et efficace, qu’elle s’effectue en ligne ou en face à face.

Cependant, il est essentiel de considérer le fait que nous nous trouvons en pleine phase de transition en ce qui a trait à l’utilisation d’outils numériques en aménagement collaboratif. Il est donc nécessaire de se donner du temps, collectivement, avant d’atteindre une certaine aisance avec les outils Web qui, lorsqu’accomplie, contribuera à l’intégration durable de participants en ligne.

De plus, les activités participatives mises en places lors des phases d’application étaient somme toute compliquées, autant durant les groupes de discussion que de la consultation à distance : saisir l’enjeu des changements climatiques, se projeter dans un environnement de référence, comprendre les scénarios d’adaptation illustrés et enfin formuler une opinion sur ceux-ci, le tout dans un laps de temps relativement court, n’est pas tâche facile pour des personnes qui ne sont pas du domaine de l’aménagement. Par ailleurs, le sujet difficile qu’est l’adaptation d’environnements urbains aux changements climatiques n’est pas un aspect à négliger. Bien que ce facteur n’aie pas été mesuré, les observations lors des différentes activités suggèrent qu’il demeure un sujet complexe à aborder, autant en face à face qu’en ligne, et qui peut toucher aux opinions non objectives, voire émotives, des participants : « je pense que le réchauffement climatique est une vaste

fraude pour soutirer le maximum d'argent au moyen de différentes taxes »79. En ce sens, la même méthode,

appliquée à un sujet différent ou encore à un sujet d’aménagement qui touche personnellement les citoyens, aurait sans doute donné des résultats différents en termes de mobilisation et de nombre de commentaires recueillis, par exemple. Cependant, la phase d’information demeure une phase critique pour une participation en ligne éclairée touchant à des enjeux d’aménagement. En ce sens, il serait intéressant, dans une éventuelle expérience ultérieure, d’appliquer le même cadre méthodologique pour traiter d’un autre sujet histoire d’évaluer, justement, la portée et l’impact du sujet sur la participation à distance.

La recherche réalisée dans le cadre de ce mémoire a eu tout de même plusieurs retombées positives. Les scénarios d’adaptation et les feuillets de mesures d’adaptation créés en soutien aux discussions sont des résultats tangibles et durables. Par ailleurs, en plus d’informer les participants experts et citoyens sur les méthodes d’adaptation des environnements urbains aux changements climatiques, les différents exercices participatifs orchestrés à l’aide de Crowdbrite ont aussi permis de sensibiliser les participants et de susciter des réflexions sur de nouvelles manières de faire de l’aménagement collaboratif. Plusieurs des experts présents aux phases-tests se sont dits curieux et intéressés par ces moyens émergents de faire de la collaboration autrement, sans nécessairement avoir à toujours se déplacer. Dans les conférences réalisées pour diffuser les résultats de ce mémoire au printemps 2014, il a été observé que l’utilisation du crowdsourcing en aménagement est un domaine de pointe en plein développement, mais dont l’usage ne se fait souvent encore qu’aux phases préliminaires du projet d’aménagement pour recueillir les connaissances des citoyens

sur un site en particulier, par exemple. De la même manière, des plateformes en ligne de type crowdsourcing telles que Community Plan It (https://communityplanit.org) ou Popularise (https://popularise.com/home)

gagnent en popularité auprès des gouvernements municipaux afin d’obtenir une impression de ce que les citoyens veulent afin d’orienter la prise de décision. Ces cas se distinguent de ce qui a tenté d’être réalisé dans le cadre du mémoire alors qu’ils cherchent à obtenir des citoyens une grande quantité d’information sous la forme d’informations soumises par les participants. Ils se distinguent également, de par le bailleur qui en commande l’initiative, des études et projets recensés qui sont pour la plupart issus de projets de recherche ou d’opération non gouvernementales : le participants ne réagissent pas de la même manière lorsque c’est l’administration publique qui demande leur opinion. Cette dernière a à la foi le double défi de répondre aux attentes des participants (DeCindio & Peraboni, 2012 ; Mandarano et al., 2010), et de stimuler des réactions constructives dans un contexte où les citoyens sont plus cyniques, et parfois moins enclins, à collaborer avec des responsables publics qu’avec des chercheurs (Senbel & Church, 2010).

Cependant, alors qu’initialement le processus collaboratif en ligne voulait mousser une réelle collaboration à distance où les participants interagissent entre eux et collaborent à la conception et au design des scénarios d’adaptation, il a fini par prendre plutôt la forme d’une consultation en ligne réalisée de manière itérative entre les phases de conception. Par ailleurs, bien que la plateforme employée vise à favoriser les interactions entre les participants par le biais du vote et des sous-commentaires, la résultante est majoritairement des commentaires individuels, un phénomène souvent observé en participation en ligne (Hall et al., 2010; De Cindio & Peraboni, 2012). Ce qui en résulte, à la manière des initiatives mentionnées plus tôt, est du « collected design » (Paulini et al., 2013) qui réfère à un processus de design où les idées individuelles des participants non hiérarchisés sont colligées et doivent ensuite être analysées traitées et réinterprétées par le designer urbain. Cela traduit la difficulté technique, qui dépasse souvent les connaissances des designers urbains et des urbanistes, pour orchestrer une réelle collaboration en ligne qui est à la fois conviviale, durable et effective.

Dans le but de résoudre cette difficulté, les tendances plus récentes en recherche participative en ligne se dirigent vers des concepts comme le « co-design » et le « collective design » où l’entièreté du processus de conception se réalise en ligne, est ouvert à tous et n’importe quels acteurs motivés peut y prendre part. Cependant, une revue sommaire de la littérature et des types de projets semble indiquer que les initiatives de conception collective (où les participants collaborent vers une solution qui est la synthèse de plusieurs contributions) sont plus adaptées pour des projets de design à petite échelle avec des objectifs et enjeux précis (Paulini et al., 2013), mais peut-être moins pour des projets d’aménagement plus complexes. Par ailleurs, ce type de processus inclusif et parfois « grassroot » laissent aux participants le contrôle de la forme

et de la durée que prendra leur implication, sans structure apparente (DeCindio & Peraboni, 2012; Paulini et

al., 2013; Slotterback, 2011). Le concept de communication rationnelle d’Habermas est basé sur

l’intersubjectivité qui émerge des différents types de savoirs détenus par les citoyens, les experts et les designers (Després et al., 2004). Cependant, lorsqu’on doit traiter avec des enjeux complexes d’aménagement urbain impliquant plusieurs acteurs, comment la valeur relative des solutions émergeant d’un processus collectif peut-elle être mesurée, ou même comparée à celle d’experts clés ou encore à celle des designers urbains? Qui devrait utiliser les solutions et informations récoltées durant un processus de design collectif? Comment les actions individuelles ou collectives sont-elles alors légitimées? Par le fait même, la résultante d’une approche de design collectif est-elle nécessairement plus légitime qu’une approche collaborative avec de plus petits groupes de citoyens et d’experts, par exemple, à cause de sa transparence, la quantité de participants qu’il permet de rejoindre ou encore du nombre de commentaires et votes qu’ils obtiennent?

Et plus encore, que devient le rôle de l’urbaniste et du designer urbain? En effet, même si les initiatives comme le design collectif ont le potentiel de multiplier les capacités des professionnels de l’aménagement, des décideurs et des citoyens à interagir et à partager des informations et des connaissances, ils transforment aussi tout processus participatif en un système complexe de communication et de gestion de l’information qui demande beaucoup de temps et d’énergie, ainsi que d’autres types de connaissance et de compétences que celles détenues par les professionnels de l’aménagement. Ce type de démarche collective élargit et complique le rôle de l’orchestrateur du projet participatif, qu’il soit urbaniste ou du designer urbain, pour le faire passer de concepteur à celui de coordonnateur, voire de médiateur, entre les participants hétérogènes, mais également entre les idées et les connaissances qui sont générées. Ces questionnements qui émergent de la recherche actuelle dans des domaines aussi variés que les sciences politiques, la géomatique, l’éducation et l’aménagement peuvent peindre un portrait pessimiste de ce qui attend les futures approches en aménagement participatif, mais elles sont en réalité représentatives d’un domaine de recherche et de pratique en grande transformation.

À la lumière des réflexions suscitées par le mémoire, l’hypothèse de départ semble tout aussi pertinente. Les processus collaboratifs en aménagement devraient prendre en compte et étudier davantage des manières efficaces pour impliquer durablement les acteurs et les citoyens en se détachant d’initiatives isolées et viser des processus plus larges à l’échelle du grand public informés par des concepts tels que Network Action

Research (Foth, 2006; 2010), Network Thinking (Van Djik, 2012), et Collective Design (Paulini et al., 2013),

mais devraient également être interreliés à des approches personnalisées implantées dans les communautés à l’échelle locale. Face aux enjeux complexes de la ville contemporaine, il y a une nécessité de penser

différemment les processus participatifs de manière intégrée à l’intérieur d’un cadre itératif impliquant des approches de co-design, de recherche-action et de recherche fondamentale, impliquant des échelles d’aménagement locales et régionales, et impliquant des réseaux d’intelligence collective, des groupes d’intérêts et des communautés locales.

Ce type d’approche suggère une structure à la participation citoyenne pour lier de manière durable un réseau de collaboration en ligne et des approches participatives locales. Cependant, bien que de nouvelles initiatives pour lier participation en ligne et implication citoyenne émergent de plus en plus dans la ville de Québec, il manque une structure intégratrice pour que cela puisse se faire avec de réelles retombées. La gestion par une institution locale (municipalité, conseil de quartier, etc.) des plateformes Web servant à colliger les commentaires des participants a un impact tangible et direct sur la qualité de la contribution citoyenne de l’espace de discussion Web et des services offerts (DeCindio & Paulini, 2012). Par ailleurs, tant que la participation en ligne sur des questions d’aménagement demeurera embryonnaire, elle pourra difficilement agir comme complément réel à la participation en face à face lors de séances de consultation de PPU, par exemple. Pour s’implanter, un réseau de participation citoyenne en ligne devrait se faire de concert avec la Ville de Québec dans le but de créer une communauté de citoyens en ligne forte et prête à répondre à des questions d’aménagement lorsque nécessaire. Ainsi, la création d’une entité de participation citoyenne à Québec, qui irait plus loin que la politique sur la consultation publique actuellement à place, à la manière de l’Office de Consultation Publique de Montréal (OCPM), permettrait de mettre en lumière les enjeux urbains de Québec, informer les citoyens sur ces derniers et promouvoir une implication durable des citoyens en alliant crowdsourcing et design urbain.

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