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CHAPITRE 5 DISCUSSION GÉNÉRALE

5.5. D YNAMIQUE DE LA POPULATION

5.5.1. Croissance

Des éléments de la croissance de S. boreas, dans des conditions sauvages ou en captivité ont déjà été rapportés par Ingram (1979), Birkely et Gulliksen (2003a), Sainte- Marie et al. (2006) et Kilada et al. (2012). Dans la présente étude, le modèle de von Bertalanffy a servi pour la première fois à modéliser la croissance chez cette espèce. Ce modèle a permis d’établir des taux de croissance nettement plus élevés chez les mâles que chez les femelles. En effet, les mâles atteignent des longueurs maximales plus rapidement que les femelles et, à âge égal, ils sont beaucoup plus petits que celles-ci. La croissance différentielle est commune chez les Crangonidés et ces résultats se comparent avec ceux d’études antérieures sur S. boreas et sur C. septemspinosa (Price, 1962 ; Haefner, 1972 ; Ingram, 1979 ; Sainte-Marie et al., 2006 ). L’écart de croissance entre mâles et femelles C. septemspinosa est sensible à partir de un an seulement tandis que chez S. boreas, il ne devient sensible qu’à partir de deux ans. Cependant, les coefficients du modèle, couvrant une seule période d’échantillonnage, ne doivent pas être considérés comme des valeurs absolues, mais plutôt comme une tendance de la croissance chez cette espèce dans le nord du golfe du Saint-Laurent.

Les raisons des divergences de croissance observées entre les sexes ne sont pas encore établies. Certains auteurs pensent qu’elles sont reliées à la disparition des mâles par un effet marqué de prédation (Birkely et Gulliksen, 2003a ; Bluhm et Brey, 2001 ; Sainte- Marie et al., 2006). Dans notre étude, et si on tient compte de la fiabilité des paramètres de croissance, les mâles sont les plus confrontés à la mortalité naturelle (voir ci-dessous). D’autres auteurs ont suggéré que ces divergences peuvent provenir d’une instabilité dans les coûts énergétiques ou dans la qualité de l’environnement. Birkely et Gulliksen (2003a) ont suggéré que les mâles S. boreas sont probablement matures à des tailles plus petites que les femelles et le fait que les femelles ont besoin de plus de temps pour accumuler l'énergie

requise pour la reproduction, elles atteignent de plus grandes tailles et des âges plus élevés que les mâles. Chez C. franciscorum, on pense également que la maturité des mâles est acquise à des tailles plus petites que les femelles et après l’accouplement, les mâles doivent émigrer ou mourir tandis que les femelles accouplées ont davantage d'énergie pour poursuivre la croissance et la reproduction pour atteindre des tailles plus marquées que les mâles (voir les références dans Gavio et al., 2006). La température et l'approvisionnement alimentaires ont également leur importance sur la croissance (Hartnoll, 1982). Sainte-Marie et al. (2006) ont trouvé que les crevettes mâles et femelles S. boreas élevées en laboratoire sont plus petites et plus âgées que des crevettes naturelles. Les conditions d'alimentation sous-optimales en laboratoire ont été attribuées pour expliquer une telle divergence dans la croissance. En effet, un approvisionnement alimentaire peut perturber le cycle de mues chez plusieurs espèces. Il réduit nettement l'accroissement de la mue tandis que la période d’inter-mue est prolongée (Hufnagl et Temming, 2011 ; Hartnoll, 2001). Birkely et Gulliksen (2003b) ont également suggéré que la longévité des mâles peut être corrélée à la profondeur de l'eau qui est le reflet de la disponibilité en nourriture.

Selon les régions de notre étude, les mâles S. boreas peuvent vivre jusqu’à 4-5 ans et les femelles jusqu’à 6-7 ans. Cette espérance de vie est très similaire à celle observée par Sainte-Marie et al. (2006) dans le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent. Les crevettes profondes N. antarcticus et Pandalus borealis peuvent vivre jusqu’à 8-10 ans (Shumway et al., 1985 ; Savard et Parsons, 1990 ; Blhum et Brey , 2001 ; Yamaguchi et al., 2014). Comparée à des Crangonidés vivant dans les eaux peu profondes, S. boreas semble atteindre une grande longévité ce qui fait d’elle probablement une exception. En effet, l’âge maximum atteint par C. crangon et C. septemspinosa est estimé à 2-3 ans (Price, 1962 ; Schumacher et Tiew, 1979 ; Oh et al., 1999 ; Savard et Nozères, 2012).

Il est admis que de faibles températures ont un effet marqué sur la croissance. En effet, les populations vivant à des latitudes plus élevées peuvent atteindre des tailles corporelles et des espérances de vie relativement importantes par rapport aux espèces apparentées dans les régions tropicales (Angilletta et al., 2004). C’est probablement ce qui

expliquerait les faibles taux de croissance observés chez les mâles de la région de HSP. En effet, les températures moyennes dans cette région sont faibles comparés à la région de BSM (Dutil et al., 2012). Toutefois, les taux de croissance sont identiques pour les femelles des deux régions. Il est donc possible que d’autres facteurs que la température puissent intervenir.

Sur une échelle locale ou latitudinale, des observations faites sur les caridés ont constaté que les variables de croissance sont affectées par une variation de la température. La croissance et la maturation de P. borealis sont accélérées dans les eaux chaudes du golfe du Maine (5 et 9°C) tandis que la croissance a tendance à être plus lente dans les eaux froides de Terre-Neuve et du Labrador (2 et 4°C) (Savard et al., 1994). La longévité de cette espèce est ainsi plus élevée dans le nord (8 ans) que dans le sud (5 ans). Des variations température sous l’influence de l'eau froide polaire et les eaux alternées atlantique et polaire induisent également à des variations dans les longueurs de P. borealis dans les eaux du Svalbard (Hansen et Aschan, 2000). Dans cette région, les crevettes montrent une croissance plus lente et un âge plus élevé à la transition sexuelle qui correspond à la maturité des femelles (Hansen et Aschan, 2000).

Les variations régionales de croissance observées chez les Crangonidés, C. septemspinosa et A. dentata sont également sous l’influence de la température (Price, 1962 ; Wilcox et Jeffries, 1973 ; Butler, 1980 ; Squires, 1990 ; Komai, 1997).