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Critique de Kant à l’égard du « bon sens » clinique

3. METHODE D’ETUDE DE LA BOITE NOIRE

3.2.1. Critique de Kant à l’égard du « bon sens » clinique

La psychologie cognitive s’inscrit au sein des sciences humaines. Pour étudier les fonctions cognitives, la méthode expérimentale s’avère insuffisante. Cette limite stigmatisée par les béhavioristes ouvre pourtant de nouvelles perspectives. Dès la fin du XIXème siècle, le philosophe allemand, Emmanuel Kant (1724-1804), entreprenait un grand projet : une Critique du savoir pour ne plus « se laisser bercer plus longtemps par une apparence du savoir ». Les connaissances qui nécessitent le recours à l’expérience sont des connaissances a posteriori. L’objet d’étude du scientifique est d’ordre factuel, empirique. Cependant, un scientifique met en place un protocole expérimental pour répondre à une question : il ne se laisse pas abusé par ses sens mais soumet son expérience à la Critique.

E. Kant applique sa Critique à « la Raison pure », c’est-à-dire au pouvoir de la raison en général, indépendamment de toute expérience : « Toute la question que je soulève ici est simplement de savoir jusqu’à quel point je puis espérer arriver à quelque chose avec la raison, si me sont enlevés toute matière et tout concours venant de l’expérience » (Kant, 2004). Il veut établir les limites du raisonnable et délimiter un véritable cadre aux connaissances, c’est- à-dire établir les bases de la Métaphysique5.

5La Métaphysique est la Critique des connaissances. « Meta – physique » signifie littéralement « ce qui englobe

les connaissances». Le métaphysicien va jusqu’aux limites du raisonnable. N’oublions pas que Kant était géographe : «il s’est aventuré intellectuellement jusqu’au bord du gouffre pour en revenir dès qu’il a eu le vertige ». La Métaphysique distingue ce que l’on peut connaître de manière raisonnable et ce que l’on ne peut pas. Par exemple, la théorie du Big-Bang montre ses limites. Les scientifiques remontent jusqu’aux origines du monde sans jamais l’atteindre.

A l’instar de N. Copernic6(1473-1543) qui ne se laissa pas abuser par ses sens et une apparente évidence, E. Kant va renverser la perspective pour pouvoir fonder les piliers de la connaissance.

« Jusqu’ici on admettait que toute notre connaissance devait se régler sur les objets mais, dans cette hypothèse, tous les efforts tentés pour établir sur eux quelque jugement a priori par concepts, ce qui aurait accru notre connaissance, n’aboutissaient à rien. Que l’on essaie donc enfin de voir si nous ne serons pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique en supposant que les objets doivent se régler sur notre connaissance, ce qui s’accorde déjà mieux avec la possibilité désirée d’une connaissance a priori de ces objets qui établisse quelque chose à leur égard avant qu’ils nous soient donnés. Il en est précisément ici comme de la première idée de Copernic ; voyant qu’il ne pouvait pas réussir à expliquer les mouvements du ciel, en admettant que toute l’armée des étoiles évoluait autour du spectateur, il chercha s’il n’aurait pas plus de succès en faisant tourner l’observateur lui-même autour des astres immobiles. (…) Pour ce qui regarde les objets en tant qu’ils sont simplement conçus par la raison – et cela, il est vrai nécessairement mais sans pouvoir (du moins tels que la raison les conçoit) être donnés dans l’expérience – toutes les tentatives de les penser (car il faut pourtant qu’on puisse les penser) doivent, par conséquent, fournir une excellent pierre de touche de ce que nous regardons comme un changement de méthode dans la façon de penser, c’est que nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons de nous-mêmes » (Kant, 2004).

Cette « révolution copernicienne» a des répercussions sur la démarche clinique (figure 1.7).

Le bon sens impose une approche centrée sur le problème. Par exemple, un vétérinaire observe un bovin à distance ; il examine les profils, l’état corporel en se plaçant derrière l’animal ; enfin, il effectue son examen clinique orienté par le motif principal de consultation. Un examen rigoureux dans des conditions de temps optimales permettrait d’observer les anomalies pertinentes. Concrètement, « le clinicien fait le tour du problème ».

6Nicolas Copernic est l’auteur célèbre de la théorie selon laquelle le Soleil se trouve au centre de l’Univers

Cette approche objective et ne rend pas compte des difficultés de raisonnement à cause :

o de ressources limitées en temps et en moyen ; o du manque d’expérience du novice.

La décision du clinicien est guidée par sa représentation du problème et non par le problème en soi. Chaque clinicien aura une représentation différente du problème. Même les scientifiques ne font pas confiance à leur sens : ils emploient la méthode expérimentale pour soumettre leurs résultats expérimentaux à la Critique. Le clinicien ne possède pas un tel garde-fou. Il interprète le problème qui lui est présenté. Le recueil des données et l’interrogatoire modifient sa représentation du problème : le clinicien est actif et interprète les données au fur et à mesure.

Figure 1.7 : Approche centrée sur le problème Vs. Représentation du problème par le clinicien. Problème

Clinicien

Approche centrée sur le problème Représentation du problème par le clinicien

Problème Clinicien

« Le clinicien observe, recueille les données : il fait le tour du problème. »

« Le clinicien se représente le problème et observe une facette du problème qui lui est présentée.

La « face cachée de la Lune » est un bel exemple de différence entre le problème en soi et la représentation du problème. La Lune nous montre toujours le même hémisphère. La « face cachée de la Lune », non visible depuis la Terre, n’a été cartographiée pour la 1èrefois qu’en 1959 par la sonde soviétique Luna 3 (NSSDC, 2009).

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