• Aucun résultat trouvé

2.1. Charles Renouvier : l’anachorète du kantisme français

2.1.1. « …c’est des gens qu’on ne lit plus »

« Ce n’est pas sans regret que je meurs. Je regrette de ne pouvoir en aucune façon pré- voir ce que deviendront mes idées. C’est une faiblesse, et qui ne va pas sans souffrance : quel est le sort que les hommes réservent au Personnalisme ? Et je m’en vais avant d’avoir dit mon dernier mot. On s’en va toujours avant d’avoir terminé sa tâche. C’est la plus triste des tris- tesses de la vie ».1 Ainsi Charles Renouvier (1815-1903) confiait son état d’âme à son ami et élève Louis Prat le 28 août 1903, quatre jours avant de mourir. L’angoisse qui transpire de ces lignes paraît être celle d’un homme d’âge moyen navré de laisser à la postérité un œuvre ina- chevée. Néanmoins, lorsque Renouvier partage ses doutes sur l’avenir de sa doctrine, il est un vieux maître de la philosophie française, âgé de quatre-vingt-huit ans, qui a publié de son vi- vant une vingtaine d’ouvrages et qui a exercé son influence à travers deux revues parmi les plus importantes et influentes du siècle, à savoir L’Année philosophique (1867-1869) et La

Critique philosophique (1872-1890).2 Son nom est aussi associé à un roman philosophique, paru en 1876 et ayant comme titre un néologisme destiné à devenir célèbre, Uchronie.3

Il est presque impossible de restituer un portrait complet et exhaustif de la pensée riche et stratifiée que Renouvier a élaborée pendant plus d’un demi-siècle. Ce n’est d’ailleurs pas le but que nous nous proposons.4 Il est plutôt question de montrer l’importance capitale du rôle joué par la figure extraordinaire de Renouvier dans l’acclimatation française de Kant. Dans un sens, Renouvier avait raison de craindre pour la destinée de la doctrine qu’il avait formulée dans le dernier segment de sa vie, le personnalisme, doctrine exposée dans un ouvrage publiée

1 C. Renouvier, Les derniers entretiens, recueillis par Louis Prat, Vrin Paris 1930, p. 3.

2 Sur la Critique philosophique et les enjeux politiques de sa fondation, voir L. Fedi, « Philosopher et républica-

niser : la Critique philosophique de Renouvier et Pillon, 1872-1889, » Romantisme 32, 115 (2002), p. 65-82.

3

Voir C. Renouvier, Uchronie. Utopie dans l'Histoire : esquisse historique apocryphe du développement de la

civilisation européenne tel qu'il n'a pas été, tel qu'il aurait pu être, Bureau de la Critique philosophique, Paris

1876.

4 Sur le « dernier » Renouvier, dont nous n’allons pas traiter, voir A. Deregibus, L’ultimo Renouvier. Persona e

51 l’année de sa mort.5

En effet, ce n’est pas cette doctrine qui a suscité l’intérêt principal pour son inventeur, en tout cas pour la majorité des historiens de la philosophie. Si le personna- lisme figure parmi les grands courants philosophiques de la première moitié XXe siècle, c’est seulement dans la variante communautaire formulée dans les années 1930 par Emmanuel Maunier autour de la revue Esprit (fondée en 1932), dans un contexte marqué par une crise autant économique que culturelle ou spirituelle.

Le nom même de Renouvier, comme d’ailleurs une grande partie du XIXe siècle fran- çais, à l’exception de Bergson, semble avoir été oublié par presque tous les philosophes du siècle suivant, et, s’il est rappelé, c’est seulement à titre anecdotique. Par exemple, dans la séance du 24 mai 1983 de son cours sur le cinéma, Deleuze, en bon ex-historien de la philo- sophie (bien que sui generis), mentionne en passant la figure de Renouvier à ses étudiants :

Et puis au XIXe siècle, il y a un courant français, qui avait une très grande importance au XIXe siècle, et qui aujourd’hui est tout à fait tombé depuis longtemps, est tombé complè- tement dans l’oubli, sauf les noms, sauf un nom – mais c’est des gens qu’on ne lit plus. C’est la justice du sort vous savez ! On ne lit plus, il y en a qu’on lit encore, qui sont moins bien... Il y a une école très bizarre dont le fondateur, était et s’appelait Renouvier. Il a énormément écrit, il a agité son époque parce que c’était un philosophe d’à côté, c’était un philosophe non-universitaire.6

Tout en étant très générique et nébuleux, ce témoignage est précieux parce qu’il repré- sente l’un des rares hommages qu’un philosophe français du XXe

siècle a rendu à un philo- sophe du XIXe, en lui reconnaissant une certaine grandeur spéculative (voir la référence obs- cure, presque un clin d’œil, aux philosophes « qu’on lit encore », mais « qui sont moins bien »). Des nombreux écrits de Renouvier – jugé comme « quelqu’un de très très curieux

5 Voir C. Renouvier, Le Personnalisme, suivi d'une étude Sur la perception externe et sur la force, Alcan, Paris

1903.

6 G. Deleuze, Cours sur le cinéma, séance du 24/05/1984. Disponible en ligne à l’adresse suivant :

http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=244. Voir aussi G. Deleuze, Cinéma 1. L’image-

mouvement, Minuit, Paris 1983, p. 163n. Cela soulève la question de savoir si Deleuze ait été influencé en

quelque manière par Renouvier, un philosophe qu’il ne cite jamais sauf dans ce cas. Laurent Fedi a écrit à cet égard qu’avec «[l]a séparation de l’individu et du sujet, la relativisation du premier et la liquidation du second, la pensée du rôle constitutif de la relation, la critique de la substance, […] Renouvier inaugure […] une lignée de penseurs qui va de William James à Gilles Deleuze, et dont l’histoire des filiations resterait à écrire » (L. Fedi,

Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier, L’Harmattan, Paris 1998, p. 415-6).

Il faudrait toutefois éviter d’établir des connexions purement analogiques. Il est probable que Deleuze connais- sait Renouvier par la médiation de Williams James, qui admirait énormément le philosophe français (il dit que c’était Renouvier qui l’avait libéré du monisme et converti à la croyance dans le libre arbitre). Sur Renouvier et James, voir J. Dunham, « Idealism, Pragmatism, and the Will to Believe : Charles Renouvier and William James », British Journal for the History of Philosophy 23, 4 (2015), p. 756-778 ; D. W. Viney, « William James on Free Will : The French Connections », History of Philosophy Quarterly 14, 1 (1997), p. 29-52.

52

[…], très intéressant » –et de la doctrine non écrite de son ami et maître Jules Lequier (1814- 1862),7 ce que Deleuze retient c’est principalement un thème, qu’ils partageraient avec tout ce « courant français » oublié aujourd’hui, à savoir « le thème d’un choix, le thème d’une liberté- choix ».8

Qui qu’il en soit, ce souvenir ne dit pas grand-chose sur l’importance de Renouvier pour la philosophie française du XIXe siècle. Afin de la comprendre, il est opportun de procéder par étapes. Nous avons dit tout à l’heure de l’importance de Renouvier en tant que premier vé- ritable lecteur et disciple indirecte de Kant. En effet, c’est surtout comme philosophie kantien ou néokantien (mais ce terme n’est employé que rarement à l’époque) qu’il se fait connaitre au milieu du siècle. Dans son Rapport du 1867, Ravaisson présente Renouvier comme celui qui « s’est proposé de continuer l’entreprise du célèbre auteur de la Critique de la raison

pure »,9 avant de procéder à une exposition très synthétique, bien que claire et fidèle, de sa doctrine. La perspective de Renouvier est évidemment très éloignée de celle de Ravaisson, raison pour laquelle les lignes que celui-ci lui dédie ont l’air très impersonnelles et détachées. Un élève de Renouvier, Dauriac, soulignera la froide objectivité de l’analyse de Ravaisson, frappé par cette démonstration d’une « estime très distante ». Ravaisson et Renouvier, en ef- fet, avaient été condisciples au collège Rollin du professeur Hector Poret, un helléniste,10 et, partant, écrit Dauriac, « je m’étonnais que […] Félix Ravaisson eût pris le ton d’un juge, comme s’il se fût agi d’un étranger ayant affaire à un étranger ». En outre, un jour Ravaisson confessa à Dauriac avoir eu beaucoup de mal à lire la prose « de logicien » de Renouvier et d’avoir donc reculé devant son style. Néanmoins, malgré ces aspects négatifs de la présenta- tion de Ravaisson, « Renouvier […] n’avait pas à se plaindre, puisqu’il recevait ses grandes

7 Sur Jules Lequier, voir la notice biographique que Renouvier mit en tête de son édition posthume des écrits de

l’ami, publiée en 120 exemplaires en 1865 : C. Renouvier, « Préface », dans J. Lequier, La Recherche d’une

première vérité : fragments posthumes recueillis par Charles Renouvier, Armand Colin, Paris 1924, p. 59-68.

Sur sa « dette morale » envers l’ami et maître pour ce qui concerne la conception de la liberté et le rapporte de celle-ci avec la notion de certitude, voir Essais de critique générale. Deuxième Essai. Traité de psychologie ra-

tionnelle d’après les principes du criticisme, Armand Colin, Paris 1912, vol. I, p. 369-374. Sur la pensée de Le-

quier, voir A. Clair, Métaphysique et existence : essai sur la philosophie de Jules Lequier, Vrin, Paris 2000. De- leuze rappelle que Lequier a servi comme modèle pour un personnage d’un roman de Louis Guilloux, un profes- seur de philosophie grotesque, nommé « Cripure » (d’après la Critique de la raison pure de Kant) et atteint par acromégalie, qui n’arrive jamais à écrire son chef d’œuvre. Le roman auquel Deleuze se réfère est Le Sang noir, publié en 1935 chez Gallimard et republié en 1955 avec une préface d’André Malraux.

8 G. Deleuze, Cours sur le cinéma, séance du 24/05/1984, cit. 9 F. Ravaisson, La philosophie en France au XIXe siècle, cit., p. 156..

10

Sur Renouvier et Poret, voir L. Foucher, La jeunesse de Renouvier et sa première philosophie (1815-1854), Vrin, Paris 1927, p. 15-18. Poret est probablement responsable d’avoir orienté ses disciples vers l’étude de la philosophie ancienne et en particulier d’Aristote, en commence une tradition d’études aristotéliciennes qui tra- versera la philosophie française du XIXe siècle jusqu’à Brunschvicg, même si selon des modalités très diffé- rentes.

53 entrées dans l’histoire de la pensée contemporaine ».11

Gaston Milhaud a souligné également l’importance cruciale de l’inclusion de Renouvier dans le tableau de Ravaisson : « C’est là une date dans l’histoire du néocriticisme ; elle marque le moment où il commence à compter décidément pour les professeurs de l’Université. La génération des jeunes philosophes qui, aux environs de cette époque, se préparaient à l’agrégation, s’en est trouvée plus ou moins imprégnée ».12 Un article paru dans la Revue philosophique en 1877 présentait l’œuvre criti- ciste de Renouvier comme « l’une des plus considérables et des plus originales qui aient été produites en France dans notre siècle »,13 en faisant suite à un compte rendu des Essais publié l’année précédente dans Le Temps, où Paul Janet célébrait Renouvier en disant qu’il était « un des philosophes dont notre pays a le plus droit de s’honorer devant la philosophie étran- gère ».14

Mais si Renouvier, à la fin des années 1860, était perçu essentiellement comme un criti- ciste, la suite de sa philosophie aurait obligé ses lecteurs à un bouleversement de perspective. En effet, au fil des années il développera de plus en plus les thèmes personnalistes déjà pré- sents dans son néocriticisme en se ralliant à une nouvelle conception monadologique (donc leibnizienne) de la nature, ce qui portera à une prise de distance progressivement plus forte des limites qu’il croyait apercevoir dans la doctrine de Kant.

Si, en général, les successeurs de Renouvier s’accordent à déclarer la cohérence de sa spéculation, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de déterminer la continuité interne à sa pensée. Selon certains, celle-ci serait caractérisée, déduction faite de l’inévitable mutation d’intérêts et de démarches, par une unité substantielle15

; d’autres, par contre, remarquent l’écart qui sépare Renouvier le personnaliste, ses préoccupations morales concernant le mal, la destinée de l’homme, etc., sa métaphysique religieuse, du Renouvier criticiste.16

Quoi qu’il en soit, il n’est pas question ici de résoudre ce débat. Celui-ci ne devrait nous servir qu’à prendre conscience du fait que, malgré sa profession de foi kantienne, la philosophie de Re-

11 L. Dauriac, Contingence et rationalisme : pages d’histoire et de doctrine, Vrin, Paris 1924, p. 32-3. 12

G. Milhaud, La philosophie de Charles Renouvier, Vrin, Paris 1927, p. 15.

13 A. Beurier, « Philosophes contemporains : M. Renouvier et le criticisme français (1) », Revue philosophique

de la France et de l’étranger 3 (1877), p. 322.

14

P. Janet, « Le mouvement philosophique », Le Temps (8 mars 1876).

15 Voir L. Dauriac, « Les moments de la philosophie de Ch. Renouvier », Bulletin de la Société française de phi-

losophie, 2 (1904) ; F. Pillon, « Un ouvrage récent sur la philosophie de Renouvier », L’Année philosophique,

XVI (1905), p. 95-147 ; F. Pillon, « Comment s’est formée et développée la doctrine néo-criticiste de Renou- vier », L’Année philosophique, XXIV (1913), p. 89-114 ; O. Hamelin, Le Système de Renouvier, Vrin, Paris 1927, p. 1-39, 403-414 ; L. Prat, Charles Renouvier, philosophe. Sa doctrine, sa vie, Hachette, Paris 1937 ; A. Deregibus, L’ultimo Renouvier. Persona e storia nella filosofia della libertà di Charles Renouvier, cit., p. 17-21.

16 Voir G. Séailles, La Philosophie de Charles Renouvier. Introduction à l’étude du néocriticisme, Alcan, Paris

1905 ; L. Foucher, « Le sens de la dernière philosophie de Renouvier », Revue philosophique, 4 (1944), p. 317- 28.

54

nouvier, la seule qu’on puisse appeler véritablement néocriticiste, n’est pas exempte de varia- tions et de tournages qui l’éloignent de sa vocation première. En effet, la complexité des réfé- rences philosophiques des auteurs du XIXe siècle est attestée par la variété des interprétations et des efforts de classification que l’historiographie a produite. Renouvier n’échappe pas à cette destinée, malgré son néocriticisme déclaré. Certains historiens, comme Copleston, voient d’une manière négative – ou plutôt, ce qui serait plus approprié, critique – le dialogue de Renouvier avec Kant. Selon Copleston, en effet, il ne faut pas se laisser tromper par les dé- clarations de l’auteur, y compris celles contenues dans les Derniers entretiens, lorsque Re- nouvier maintient que l’étude des catégories kantiennes est « la clé de tout »,17 c’est-à-dire de l’expérience humaine aussi bien que de ses recherches ; au contraire, ce qui fait l’intérêt que Renouvier porte à Kant réside principalement dans les éléments personnalistes cachés dans sa doctrine.18 Il s’agit cependant d’une lecture rétrospective de l’œuvre de Renouvier, qui né- glige son évolution diachronique. Ce qui nous intéresse ici est premièrement la manière par laquelle la pensée de Kant a façonné celle de Renouvier, comment l’inspiration criticiste a été prolongée et revitalisée par le philosophe français, ce qui entraîne la production d’une vision globale et plus complète des continuités et des ruptures théorétiques. Certes, il se peut, comme le soutient Copleston, que l’affirmation selon laquelle la reformulation de la table kantienne des catégories est « la clé de tout » ne soit qu’une exagération trompeuse ; mais ce que Co- pleston oublie de prendre en considération c’est la suite de cette déclaration, où Renouvier met en valeur son attachement à la question des catégories : « Je l’ai étudié, pour ainsi dire, pendant toute ma vie ; je ne l’ai pas assez étudié encore ».19

Il faut donc pénétrer d’une manière plus systématique dans la référence à Kant, ne se- rait-ce que pour mieux comprendre la raison à la base du passage tardif à une perspective leibnizienne chargée d’implications anti-kantiennes. Néanmoins, avant cela, la nécessité s’impose se situer l’instauration de la référence renouverienne à Kant dans son contexte histo- rique.

17 « Le point de départ serait une étude sur les catégories. C’est le problème le plus ardu qui se puisse présenter à

un philosophe. C’est la clé de tout » (C. Renouvier, Les derniers entretiens, cit., p. 9).

18

Voir F. C. Copleston, A History of Philosophy. Vol. 9: Maine de Biran to Sartre. Part 1: The Revolution to

Henri Bergson, Bantam Doubleday Dell, New York 1977, p. 145. En termes généraux, dans son History of Phi-

losophy, Copleston souligne principalement les prises de distance de Renouvier par rapport à Kant, au détriment

des éléments de continuité, qui sont quand même présents, comme nous allons le voir.

19

55 2.1.2. Lire Kant au temps de l’Empire

La vie de Renouvier a été très longue et entièrement vouée à la philosophie. Comme le dit Milhaud, « sa vie ne saurait avoir d’autre histoire que celle de sa pensée ».20 Le premier problème qui se pose est alors celui de la continuité, de la cohérence interne de cette pensée qui a évolué pendant soixante ans. Les commentateurs ont longuement débattu du sujet. Mil- haud lui-même a suggéré de partager la vie et la pensée de Renouvier en quatre moments.21 Le premier correspond à la formation intellectuelle, avec ses « tâtonnements », et coïncide plus ou moins avec la période allant de sa sortie de l’École Polytechnique, où il avait étudié les mathématiques et s’était rapproché des idéaux du saint-simonisme et de la philosophie de son professeur Auguste Comte,22 à la fin des années 1840. Pendant ces années, il participe à l’Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux et de Jean Reynaud, saint-simoniens et anti- cousiniens acharnés, et écrit plusieurs manuels d’histoire de la philosophie, outre le célèbre

Manuel républicain de l’homme et du citoyen (1848),23

qui, de par sa vocation socialiste, sa justification de la violence nécessaire contre la tyrannie et son appel à une liberté radicale de la pensée et de l’expression publique, donnera à la majorité réactionnaire et antirépublicaine le prétexte pour se débarrasser du ministre de l’instruction publique Hippolyte Carnot, qui l’avait commissionné.

Cette phase de la « philosophie des manuels », comme l’appelait Pillon, termine avec le coup d’État du 2 décembre 1851, l’effondrement de l’expérience de la Deuxième République et l’avènement de l’empire de Louis-Napoléon. Pour le « socialiste libéral »24

Renouvier, le choix de ce qu’il appellera vingt ans plus tard « césarisme »25

est un échec difficile sur le plan personnel et politique. Depuis ce moment, il s’enfonce plus que jamais dans la méditation phi- losophique, convaincu qu’il faut donner une solution tout d’abord théorétique à la crise qu’il est en train de traverser. Cette deuxième phase est la plus féconde de sa vie, marquée par la

20 G. Milhaud, La Philosophie de Charles Renouvier, cit., p. 11.

21 Voir ivi, p. 12-4. Pour cette partition, voir aussi L. Dauriac, « Les moments de la philosophie de Ch. Renou-

vier », cit., p. 23-5.

22 Renouvier fréquenta l’École Polytechnique du 1834 au 1836. Comte y fut suppléant en 1836. En plus, les fa-

milles de Comte e de Renouvier, qui venaient toutes les deux de Montpellier, se connaissaient (voir le mémento écrit par Renouvier à la fin de sa vie et inclus dans Sur le peuple, l’église et la république. Articles de 1850-

1851, éd. par L. Fedi et R. Huard, suivi du Mémento retrouvé, éd. par R. Andréani, L. Fedi et J.-C. Richard,

L’Harmattan, Paris 2002, p. 270-1. Ce recueil d’écrits de Renouvier est une introduction très précieuse à ses premières orientations politiques).

23 Voir C. Renouvier, Manuel républicain de l’homme et du citoyen, Pagnerre, Paris 1848. 24

Sur la pensée politique de Renouvier, qui est indissociable de sa réflexion sur la connaissance, mais que nous ne pouvons pas traiter ici, voir l’excellent livre de Marie-Claude Blais, Au principe de la République : le cas de

Renouvier, cit.

25 Voir C. Renouvier, « Le dilemme : césarisme ou république », La Critique philosophique, politique, scienti-

56

publication des quatre Essais de Critique générale (1854-1864) et de la grande synthèse juri- dico-morale de la Science de la Morale (1869), c’est-à-dire des textes dans lesquels tout son système se trouve exposé d’une façon analytique et presque définitive. Avec la défaite de Se- dan et la naissance de la Troisième République, Renouvier se dédie à la diffusion et à la dé- fense des idées du néocriticisme, principalement à travers la Critique philosophique, qu’il pu- blie avec son fidèle collaborateur Pillon. L’enjeu de cette troisième période n’est pas simple- ment de présenter au monde intellectuel sa doctrine, mais de la mettre à l’épreuve au contact des problèmes qui troublent la société, choquée par la débâcle – qui, comme on a déjà eu l’occasion de noter, était perçue non seulement comme une catastrophe politique ou militaire,

Documents relatifs