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Chapitre 3 : Cadre analytique et problématique

3.3 Critique des recherches sur la pole-fitness

Les travaux d’Attwood et Holland (2009), Hamilton (2009) et Holland (2010) nous apparaissent problématiques dans la mesure où elles présentent cet effet libérateur de la pole- fitness sur les femmes de façon homogène, c’est-à-dire sans explorer les différences dans les possibilités de résistance à l’ordonnance de passivité sexuelle selon les positions identitaires des femmes en termes de race, de classe sociale et de sexualités. De plus, l’« empowerment »

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qui est décrit dans leur recherche nous apparaît identique à la définition post-féministe du pouvoir des femmes comme uniquement centré sur le corps sexualisé. Nous remarquons donc dans ces études une absence de critiques par rapport à cette forme de « féminisme » dépolitisée.

3.3.1 Homogénéité des effets de la recherche de « sexiness »

Premièrement, nous constatons que dans leurs travaux, Attwood et Holland (2009), Hamilton (2009) et Holland (2010), n’ont nullement pris en considération le clivage entre pole-dancing et pole-fitness qui se base sur cette marque des classes supérieures qu’est le contrôle. Elles reprennent les discours de leurs participantes et utilisent les mêmes stratégies discursives présentées par Gomez-Ramirez (2007) au premier chapitre pour légitimer la vulgarité attachée aux danseuses nues et présenter les participantes à leur étude comme des femmes respectables. Par conséquent, elles reproduisent la démarcation normative qui est créée par les adeptes de pole-fitness et participent au processus de stigmatisation des travailleuses et travailleurs du sexe. De plus, la classe sociale n’est pas le seul élément à prendre en compte dans les évaluations du « sexiness » respectable. En effet, pour Arthurs (2004), cette permissivité dans la sexualité est une liberté qui ne concerne que les femmes blanches hétérosexuelles des classes supérieures. Elle indique que cette réalité est due à l’accent qui avait été mis sur la liberté sexuelle dans le féminisme de deuxième vague, un mouvement politique dominé par cette catégorie de femmes et dont l’homogénéité a été fortement contestée par les féministes minoritaires de ce courant (les femmes noires, de classe populaire, lesbiennes) (Arthurs 2004, p. 125).

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Dans leurs recherches respectives, Attwood et Holland (2009), Hamilton (2009) et Holland (2010) énoncent le fait que l’inscription à des cours de pole-fitness est onéreuse. Hamilton (2009, p. 69) et Holland (2010, p. 95) déclarent que toutes les participantes à leur étude ont répondu « non » à la question à savoir si elles faisaient partie d’une minorité visible et ont toutes choisi « hétérosexuelle » à celle qui leur demandait de spécifier leur orientation sexuelle. Or, ces auteures ne se sont pas servies de ces données et concluent que la pole-fitness habilite sexuellement toutes les catégories de femmes. Cette généralisation des effets libérateurs de la pole-fitness, et plus largement de la recherche de « sexiness », pour toutes les femmes n’est pas valable. Il est hautement problématique d’analyser des pratiques associées au nouveau sujet féminin sans examiner les éléments qui configurent leur respectabilité et les mettre en lien avec les catégories de race, de classe sociale, de sexualité, d’hétéronormativité et de genre (Evans 2010, Gill 2009a; 2009b). Le nouveau sujet féminin est constitué par l’effet spontané de ces axes identitaires et dépend de ces configurations pour établir sa forme légitime (Attwood 2006, Gill 2008; 2009a; 2009b, McRobbie 2009).

3.3.2 « Empowerment » individuel par le corps sexualisé

Cette absence de réflexion quant aux limitations structurelles du potentiel libérateur de la recherche de « sexiness » rejoint les critiques qui ont été adressées aux auteures qui interrogent le nouveau sujet féminin selon une logique post-féministe. En effet, la vision de l’« empowerment » des femmes par des pratiques d’esthétisation de soi qui portent sur le « sexiness » a été l’objet de nombreuses objections puisque le corps, l’apparence physique et la sexualité sont présentés comme les seuls lieux d’habilitation des femmes (Arthurs 2004, Attwood 2005, Braum 2009, Evans 2010, Gill 2006; 2007; 2008; 2009a; 2009b; 2010,

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Lazar 2006, McRobbie 2004a; 2004b; 2009, Munford 2009, Whelehan 1995; 2000, Whitehead et Kurz 2009). Cette rhétorique de l’habilitation dans le post-féminisme ne parle que d’une forme de pouvoir : le pouvoir sexuel que les femmes peuvent avoir sur les hommes. Ainsi, les auteures qui ont analysé la pole-fitness comme pratique de résistance au patriarcat soutiennent cette logique post-féministe. À l’exception de Gomez-Ramirez (2007), Attwood et Holland (2009), Hamilton (2009) et Holland (2010) ont toutes conclu à une libération sexuelle des femmes dans une pratique sexualisée basée sur l’exposition du corps féminin qui serait réappropriée comme source de pouvoir par les femmes. Cela rejoint toutes les définitions qui ont été données du post-féminisme par des auteures critiques de cette articulation de la pensée féministe qui se base sur l’« empowerment » individuel plutôt que sur la force politique d’un mouvement collectif (Lazar 2006). Holland (2010) le nomme explicitement dans son ethnographie : « La pratique de la pole-fitness est principalement sexualisée, même par des féministes, car il s’agit d’une activité enseignée par et pour les femmes qui n’est pas axée sur l’activisme politique collectif. » (p. 43, traduction libre) Il est surprenant qu’Holland (2010) propose que la pole-fitness soit sexualisée uniquement parce qu’il s’agit d’une activité féminine après une recherche-terrain de plus d’un an qui l’a menée à identifier les liens entre pole-fitness et pole-dancing. Selon nous, ce sont les éléments similaires entre les deux pratiques qui produisent la définition de la pole-fitness comme activité « sexy », comme nous le verrons dans l’analyse des résultats. Par ailleurs, il est problématique qu’Holland (2010) établisse cette séparation propre au post-féminisme entre autodétermination des femmes sur un plan individuel et possibilités de transformation des conditions d’autodétermination des femmes sur un plan collectif. Le dernier point symbolise l’essence politique du féminisme où les luttes cherchent à rendre toutes les identités féminines socialement valables et pas

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uniquement une forme restreinte où l’autodétermination ne consiste qu’à choisir ou non de développer son « sexiness ».

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