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2. Phraséologie

2.3 Critères de la phraséologie

Cavalla (2009) décrit trois critères principaux dans les définitions de la phraséologie pour son étude dans un cadre d’enseignement des langues : combinatoire, association lexicale et relation sémantique ; mais elle admet en même temps que les éléments mentionnés dans les définitions de la phraséologie sont variés et complexes. En fait, depuis des années, les phraséologues cherchent à définir la phraséologie par les deux grandes approches suivantes (Granger & Paquot, 2008 ; Bolly, 2011 ; Legallois & Tutin, 2013 ; Edmond, 2013) : l’approche distributionnelle (statistique) et l’approche fonctionnelle (ou traditionnelle). La première est basée sur les deux principes suivants : le principe d’idiomaticité (idiom principle) et le principe de libre choix (open choice principle) (Erman & Warren, 2000). Le premier principe met l’accent sur le contexte pour le choix d’un mot, d’après Sinclair, « the choice of one word affects the choice of others in its vicinity52 » (1991a :

173), mais le deuxième principe insiste sur le libre choix pour la combinaison de mots. La fréquence est le critère principal dans la phraséologie statistique (Sinclair, 1991a ; 2000 ; Römer, 2009). Alors que l’approche fonctionnelle fait référence à d’autres critères, tels que les critères syntaxiques, les critères sémantiques et les critères pragmatiques (Edmonds, 2013). La sélection des critères s’effectue selon l’objectif didactique visé : la longueur des unités phraséologiques est retenue dans la typologie de Gläser (1988) ; le figement dans les typologies de G. Gross (1996), de Howarth (1996) et de Polguère (2016) ; le critère pragmatique dans la typologie de Mel’čuk (1993) et de Wray (2002) ; l’étymologie dans la typologie de Jernej (1992). Nous allons détailler les trois critères suivants qui nous semble prioritaires pour notre projet en FOS auprès des apprenants étrangers : fréquence, figement et critère pragmatique.

2.3.1 Fréquence

La fréquence de phrasèmes est un révélateur pour identifier les unités phraséologiques, car les phrasèmes ont souvent une fréquence significative. Williams le confirme dans ce sens : « les statistiques ne définissent pas les collocations mais sont un moyen d'évaluer leur seuil de signification. Ainsi, elles peuvent aider à leur extraction » (1999 : 69). Ce critère d’identification a été adopté dans des travaux de phraséologues, tels que Howarth (1996), Moon (1998), Granger (1998), Altenberg (1998), Lewis (2000) et Gledhill (2000). Sachant qu’une faible fréquence peut cacher une haute pertinence pour le domaine. Par exemple, dans sa quête des collocations à partir d’un corpus de textes du domaine des sciences et technologies de l’information, Curado Fuentes (2001 : 112) relève les unités suivantes comme ayant une fréquence très faible : first and foremost, diskette drive, ticket booth, etc. ; Gledhill (2000), à son tour, rencontre également cette faiblesse des études fondées exclusivement sur des analyses statistiques du corpus. Afin de surmonter le problème de négligence, les lexicologues ont l’habitude de réhabiliter les expressions de faible fréquence dans leurs listes d’étude en

choisissant d’autres critères nécessaires. Pour notre étude, nous choisissons également le figement et le critère pragmatique comme critères de classification.

2.3.2 Figement

Le figement est l’une des propriétés les plus souvent évoquée pour décrire les phrasèmes par rapport aux autres éléments lexicaux de la langue (Pecman, 2004 ; Mejri, 2005). Il est constitué d’« un ensemble de caractéristiques syntaxiques et sémantiques affectant une unité polylexicale » (Neveu, 2004 : 6), par exemple idée reçue est un groupe figé, mais idée stupide ne l’est pas.

Cavalla (2009) constate que le figement pose des problèmes aux apprenants étrangers. D’après Lamiroy & Klein, « le figement est un phénomène extrêmement complexe, polyfactoriel, ce qui explique pourquoi il échappe à toute tentative d'en fournir une définition simple et univoque » (2005 : 135). En effet, il n’existe pas de dichotomie entre « ne pas être figé » et « être figé ». Comme le confirme Neveu, « le figement peut n’être que partiel, ce qui suppose des degrés dans le processus » (2004 : 6). Outre le figement par lui-même, c’est également son degré qui pose problème aux apprenants étrangers : en effet, ces derniers ne sont pas capables de juger si le phrasème

crème fraîche est plus ou moins figé que le phrasème plat préféré. 2.3.3 Critère pragmatique

Le troisième critère qui nous semble intéressant en milieu professionnel est le critère pragmatique, parce que certaines expressions libres peuvent apporter une valeur pragmatique. Bossé-Andrieu et Mareschal (1998) prennent le mot « porte » comme exemple : en réalité, on ne peut que « ouvrir » ou « fermer » une porte. En fait, le critère pragmatique est abondamment pris en compte dans la classification de la phraséologie en français (pragmatèmes de Mel’čuk,

1998 ; énoncés liés de Fónagy, 1997 ; formules routières de González-Rey, 2007) et dans celle en anglais (routines linguistiques de Coulmas, 1979 ;

1992a, 1992b ; lexical phrases de Nattinger & DeCarrico, 1992 ; unités socio-interactionnelle d’Aijmer, 1996 ; unités interactionnelles de Wray, 2002 ; 2007 et expressions conventionnelles de Bardovi-Harlig, 2009). Pour identifier les expressions pragmatiques, mis à part les expériences accumulées en milieu culinaire, le critère pragmatique peut se manifester par la haute fréquence d’utilisation (Bossé-Andrieu & Mareschal, 1998 ; Grossmann, 2011).

Ces trois critères nous semblent pertinents pour l’identification ou la classification des phrasèmes du domaine professionnel pour les apprenants étrangers. En amont de la classification des phrasèmes retenus, l’extraction des phrasèmes doit être mise au premier plan. En fait, la modélisation est souvent présentée comme une méthode efficace pour accéder facilement au texte (Aussenac-Gilles & Condamines, 2001). Tutin souligne également que « le recours à un modèle linguistique plus fin (…) permet à la fois de systématiser les associations syntaxique et sémantique et de proposer un traitement informatique moins ad hoc, par classe de phénomènes » (2004 : 210).