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Si le critère de Kaldor Hicks est retenu comme un critère pertinent, il pourrait justifier l’utilisation de l’analyse coûts-bénéfices (voire entraîner une quasi assimilation entre les deux termes)748

745 Richard Zerbe montre que ce genre de situation n’arrive que si nous comparons des situations correspondant à des optima de second rang et si nous restons à l’idée de compensation potentielle (et non réelle). La démonstration du problème est pour nous moins intéressante que sa solution, nous ne reviendrons donc pas sur la technicité de son argumentation (même si nous aurons l’occasion de revenir sur certains des points soulevés par l’auteur : Richard Zerbe, Efficiency in Law and Economics, op cit, pp 54-63, spécialement p 63).

746 Richard Zerbe, Efficiency in Law and Economics, op cit, p 55

747 Tibor Scitovsky, A Note on Welfare Propositions in Economics, op cit, pp 86-87

748 Richard Posner note ainsi que « The term cost benefit analysis has a variety of meaning and uses. At the highest level of generality […] it is virtually synonymous with welfare economics […]. At the other end of the scale of generality, the term denotes the use of the Kaldor Hicks […] concept of efficiency to evaluate government projects ». Richard Posner, Cost benefit Analysis: Definition, Justification and Comment on Conference Papers, in Matthew Alder et Eric Posner (Eds), Cost Benefit Analysis, Legal, Economic and Philosophical Perspectives, op cit, pp 317-341, p 317

Certains auteurs font d’ailleurs remarquer que beaucoup considèrent l’analyse coûts-bénéfices

comme une mise en œuvre particulière du critère de Kaldor Hicks

749

. L’analyse coûts-bénéfices,

assez intuitive dans son principe, diffère de ce critère dans la mesure où elle réduit l’idée de gains

et de pertes d’utilité à des considérations purement monétaires (au risque de réduire l’utilité à de

la monnaie) alors que le critère de Kaldor Hicks utilise une approche plus large

750

en n’évoquant

que l’idée « vague » de compensation qui touche, elle, des niveaux d’utilité

751

. L’analyse

coûts-bénéfices rend plus malléable le critère de Kaldor Hicks puisque le test est réalisé grâce à une

évaluation monétaire des préférences (ce qui n’est pas sans poser de difficultés en raison de

l’impossible comparaisons interpersonnelles d’utilité) : « In simple terms, CBA is a device for converting

the utility losses and gains from a project or regulation into dollar values and aggregation »

752

. Finalement tous

les problèmes sont réduits à des considérations monétaires ou « monétisables ».

Il suffit que les bénéfices d’une réglementation (ou d’une action) dépassent ses coûts pour qu’il

soit possible de considérer que la mesure est une mesure améliorant le « bien-être ». Cette

justification se réalise sur les mêmes bases que la justification du critère de Kaldor Hicks, à savoir

l’existence d’une situation potentiellement Pareto supérieure, ou, plus exceptionnellement, sur la

valeur « intrinsèque » du critère de Kaldor Hicks.

Afin de pouvoir réaliser une analyse coûts-bénéfices, on utilise en principe les « compensating

variations »

753

(ou CV). Celles-ci correspondent à « the amount that would make her as well off as she

would be in the status quo – based on her actual preferences »

754

; autrement dit au montant que les

individus sont prêts à payer (ce montant pouvant être négatif) pour que le changement d’état se

produise (on suppose donc, implicitement au moins, un droit au statu quo)

755

. Si par exemple un

individu gagne 100 dans l’état A et 200 dans l’état B, sa CV correspond à « +100 » dans la mesure

où il est possible de prendre 100 à l’individu dans l’état B sans que son bien-être ne soit réduit par

rapport à l’état A. En revanche, si une personne gagne 50 dans l’état A et 40 dans l’état B, sa CV

correspond à « -10 » puisqu’il faudrait donner de l’argent à l’individu dans l’état B pour qu’il soit

749 Matthew Alder et Eric Posner, New Foundations of Cost-Benefit Analysis, op cit, p 25 précise que cette défense est la défense traditionnelle… ce qui ne signifie pas qu’elle soit parfaitement pertinente ; voir aussi Matthew Alder et Eric Posner, Implementing Cost-Benefit Analysis When Preferences are Distorted, op cit, pp 272-280

750 Par exemple, Matthew Alder et Eric Posner, New Foundations of Cost-Benefit Analysis, op cit, p 21 751 Ce saut est fondamental pour analyser la signification normative d’une telle règle.

752 Matthew Alder et Eric Posner, New Foundations of Cost-Benefit Analysis, op cit, p 13

753 Les notions de compensating variations et de equivalent variations ont été développées par John Hicks, Value and Capital, op cit 754 Matthew Alder et Eric Posner, New Foundations of Cost-Benefit Analysis, op cit, p 13

190

aussi bien que dans l’état A. Si la somme des CV est positive, la situation est considérée comme

Kaldor Hicks supérieure (en fait, techniquement, elle passe le test de Kaldor

756

) puisqu’il est

possible, hypothétiquement, de compenser financièrement les perdants. La seule utilisation des

CV n’est pas sans entraîner des difficultés et potentiellement des situations du type du paradoxe

de Scitovsky. Comme le fait remarquer Boadway : « The analysis of this paper has shown that this

rationale for ignoring distributional effects is not generally valid. That is, obtaining a positive change in aggregate

consumers' and producers' surplus is neither a necessary nor a sufficient condition for the satisfaction of a

compensation test which involves the hypothetical payment of monetary compensation from the gainers to the

losers »

757

. Finalement, l’analyse coûts-bénéfices peut s’avérer encore plus incertaine que l’approche

de Kaldor Hicks car des inconsistances peuvent apparaître alors même qu’elles n’auraient pas pu

survenir avec l’ancienne méthode. Il n’est pas suffisant que la somme des CV soit positive pour

être certain d’être en présence d’une situation potentiellement Pareto supérieure

758

.

On retrouve aussi, plus rarement, les mesures en termes de « equivalent variations » (ou EV). Elles

visent le montant (ce montant pouvant être négatif) que les individus sont prêts à payer pour que

le changement d’état ne se produise pas. Si la somme des EV est positive, le changement ne sera

pas désirable.

Comme le fait remarquer Zerbe « Hicks adopted these measures to make welfare change measurable and to

furnish measures to use in KH tests »

759

. Nous retrouvons le lien entre le test de Kaldor Hicks et

l’analyse coûts-bénéfices (qui n’apparaît alors que comme une forme de Kaldor Hicks monétisé)

puisque ces mesures sont utilisées dans l’analyse coûts-bénéfices (et notamment la CV).

Les CV et les EV se rapprochent de l’idée de « willingness to pay (WTP)» (combien les individus

sont-ils prêts à payer pour obtenir quelque chose ?) et de « willingness to accept (WTA) » (combien

un individu qui possède quelque chose est-il prêt à accepter pour se séparer de cette chose ?).

Nous avons pu remarquer, qu’expérimentalement, ces deux mesures ne coïncident pas puisque

756 En fait, pour que le test soit effectivement valable, il faudrait que l’utilité marginale puisse changer avec les variations de prix et non avec les variations de revenus. Richard Zerbe, Efficiency in Law and Economics, op cit, p 10

757 Robin Boadway, The Welfare Foundations of Cost Benefit Analysis, 1974, The Economic Journal, vol 84, pp 926-939, p 938; Plus généralement, Boadway montre que des problèmes de réversibilité peuvent apparaitre lorsque les états sont Pareto efficients (non uniquement lorsqu’il s’agit de situations non optimales comme dans le paradoxe de Scitovsky).

758 Plus généralement, sur les problèmes liés à l’utilisation de la somme des CV afin d’évaluer la désirabilité d’un état, voir, Charles Blackorby et David Donaldson, A Review Article: The Case Against the Use of the Sum Compensating Variations in Cost Benefit Analysis, 1990, The Canadian Journal of Economics, vol 23, pp 471-494. Ces problèmes sont rarement présentés en analyse économique du droit dans la mesure où certains problèmes identifiés peuvent apparaître plus techniques que réels. Néanmoins, afin d’évaluer la réelle valeur de ce type d’analyse, il est fondamental de connaître l’existence de tels problèmes.

les individus ont tendance à évaluer différemment les biens de leur patrimoine et les biens qui n’y

sont pas (autrement dit la WTA est en générale supérieure à la WTP)

760

. Ceci n’est évidemment

pas sans effet sur les résultats des calculs

761

et peut être à l’origine d’une réversibilité dans le

classement des états du monde du même type que le paradoxe de Scitovsky. Plus globalement ces

mesures ne sont pas exemptes de l’influence des biais cognitifs et du modèle de rationalité

adopté. Les CV correspondent à la somme des WTP pour les changements positifs plus la

somme des WTA pour les changements négatifs. Les EV correspondent à la somme des WTA

pour les changements positifs plus la somme des WTP pour les changements négatifs

762

. En

analyse coûts-bénéfices, l’accent est mis sur les CV et non sur les EV puisqu’on considère qu’il

faut une justification pour changer d’état et non une justification pour ne pas le faire.

Une fois de plus, l’efficience résulte de la conséquence de l’action et seule semble compter cette

dernière. Cette approche est donc, comme le critère de Kaldor Hicks ou le critère de Pareto,

conséquentialiste et repose, en partie, sur l’hypothèse de rationalité économique des agents. Par

ailleurs, comme le fait remarquer Sen, il impose une explicitation des valeurs retenues lors des

choix. Cette insistance serait liée à l’accent mis par l’analyse économique et l’analyse économique

du droit sur les procédures rationnelles ou rationalistes

763

. Ces valeurs sont censées pouvoir être

agrégées. Nous retrouvons l’idée « d’aplatissement » du monde ou d’unidimensionnalité : seule

compte la mesure économique et les coûts et les bénéfices peuvent se compenser quelle que soit leur nature.

L’analyse coûts-bénéfices constitue plus une approche qu’une méthode

764

, car elle conduit, avant

tout, à un principe de solution. Les éléments à faire entrer dans le calcul ne sont pas fournis : il

s’agit à la fois d’une approche permettant (1) d’aborder le problème en identifiant des paramètres

et (2) de solutionner le problème en utilisant les paramètres fournis. Nous ne reviendrons pas ici

sur les difficultés techniques liées à la mise en œuvre de ce type d’analyse comme, par exemple, le

problème de l’incommensurabilité ou encore les questions éthiques sous tendant l’analyse.

760 voir notre point sur le endowment effect.

761 voir par exemple, Richard Zerbe, Efficiency in Law and Economics, op cit, pp 41-46 762 Richard Zerbe, Efficiency in Law and Economics, op cit, p 7

763 Amartya Sen, The Discipline of Cost Benefit Analysis, in Matthew Alder et Eric Posner (Eds), Cost Benefit Analysis, Legal, Economic and Philosophical Perspectives, op cit, pp 95-116, p 99. Nous ne critiquerons pas ici les différentes suppositions d’une analyse coûts-bénéfices. Cette analyse sera réalisée essentiellement dans la seconde partie de notre thèse. Notons cependant que chaque supposition n’est pas exempte de problèmes. De même, l’analyse rationnelle ne peut expliquer sa rationalité, elle ne fait que la poser ou la définir.