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Chapitre I : Aperçu sur le Rwanda et son histoire avant la famine Ruzagayura

1.2. Les crises alimentaires d’avant 1940

Pays de savane, le Rwanda précolonial aurait connu de manière régulière, des disettes et des famines. Celles-ci auraient été fréquentes au pays en raison notamment de sécheresses périodiques :

« Le pays était au régime habituel de disette, nous a-t-on assuré…Et encore, à certaines époques, les populations étaient-elles décimées par des famines, à la suite de sécheresses périodiques qui les privaient de pluies saisonnières. »1

L’une des famines connues de cette période est notamment la famine Rukungugu, survenue au tout début du règne du Mwami Yuhi IV Gahindiro, vers le début du XIXe siècle2. Selon Alexis Kagame, la famine Rukungugu aurait été entraînée par une sécheresse prolongée et la cour royale aurait alors accompli, en réaction, le rite de la Voie de la Sécheresse (Inzira ya Rukungugu), applicable en pareilles circonstances3 :

« À l’avènement de Yuhi IV Gahindiro, ce ne fut pas une disette, ni une famine ordinaire, mais un fléau. La complication vint du fait que l’intronisation coïncida avec une sécheresse prolongée, qui mérita à cette famine l’appellation de Rukungugu = amas de poussières. La Cour exécuta la célébration du Code ésotérique (Voie de la Sécheresse), destiné à conjurer le fléau. »4

La famine Rukungugu aurait pris fin au bout d’un an lorsque les pluies se seraient notamment mises à tomber en abondance5.

Durant la période coloniale allemande, le Rwanda connaît deux grandes famines, à savoir la famine Ruyaga et la famine Rwakabaga ou Kimwaramwara.

La famine Ruyaga dure de 1897 à 19036. Elle est causée par une invasion de sauterelles, survenue pendant les mois de juin et de juillet 18977. Elle sévit intensément au Nord-ouest, à l’Est, au centre et au Sud-ouest du pays8. Elle aurait entraîné par son intensité d’importantes mortalités et émigrations9.

La famine Rwakabaga ou Kimwaramwara s’étend de 1906 à 190810. Elle résulte d’une sécheresse intense au Nord, au Centre et à l’Est du pays1.

1 KAGAME Alexis, Un abrégé de l’ethno-histoire du Rwanda, Tome I, Butare, Éditions de l’Université nationale du Rwanda, 1972, p. 198

2 Idem, p. 174

3 MUZUNGU Bernardin, « Ubwiru comme philosophie politique du Rwanda précolonial », in Cahiers Lumière

et Société, n° 40, (2008), p. 15

4 KAGAME Alexis, Un abrégé de l’ethno-histoire…Op.cit, p. 174

5 Idem, p. 175

6 BOTTE Roger, « Rwanda and Burundi, 1889-1930: Chronology of a Slow Assassination», Part 1, in The International Journal of African Historical Studies, 18, 1, (1985), p. 77; p. 81

7 Idem, p. 77

8 Idem, p. 77 ; p. 79 ; p. 81

9 Idem, p. 79-80 ; p. 81

10 Idem, p. 88

Par ailleurs, le Rwanda connaît, lors de la période du mandat belge, quatre grandes famines : la famine Rumanura, la famine Gakwege, la famine Rwakayihura ainsi que la famine Ruzagayura.

La famine Rumanura ou Rumanurimbaba débute en 1916 et se termine en 19182. Elle apparaît, tour à tour, comme le résultat de la réquisition des vivres et des hommes, du pillage et de la destruction des champs, de l’arrêt des travaux agricoles suite à la fuite de la population devant les combats, de l’invasion de chenilles et de sauterelles au Gisaka, etc3. Dans certaines régions du pays, le Nord-ouest notamment, cette famine aurait entraîné un nombre important de décès, comme le rapporte Jean Rumiya :

« Il est difficile de décompter les victimes de cette famine. Le Père Oomen, supérieur de la mission de Nyundo s’y risqua pourtant. En novembre 1916, il estimait que vingt à vingt-cinq mille personnes avaient péri, sur une population totale d’environ cent mille habitants. Cette estimation n’est pas excessive, les témoignages concordent pour dépeindre la désolation du Bugoyi. »4

Durant la famine Rumanura, les Pères Blancs de Nyundo et de Rwaza auraient distribué des vivres aux affamés et organisé les travaux d’ensemencement pour la reprise5. Les Sœurs Blanches auraient aussi organisé des soupes populaires pour nourrir la population affamée6. La famine Gakwege ou Ntunyanjweho sévit, quant à elle, au Centre et au Sud-est du pays entre 1924 et 19267. Elle est provoquée par une sécheresse8. Elle empire lorsque les affamés se déplacent de régions en régions à la recherche de vivres9.

La famine Rwakayihura, survient en 1928 et subsiste au pays jusqu’en 193010. Elle découle d’une sécheresse s’étalant de mai 1927 à octobre 192811. Dans certaines parties du pays comme à Rwaza, au Bugoyi, à Kabgayi, au Buganza et dans le Gisaka, la famine est intense

1 BOTTE Roger, « Rwanda and Burundi, 1889-1930: Chronology of a Slow Assassination», Part 1, in The International Journal…Op.cit , p. 87

2 BOTTE Roger, « Rwanda and Burundi, 1889-1930: Chronology of a Slow Assassination», Part 2, in The International Journal of African Historical Studies, 18, 2, (1985), p. 301. On pourrait lire sur cette famine:

LUGAN Bernard, «Causes et effets de la famine Rumanura au Rwanda, 1916-1917 », in Revue Canadienne des études africaines, X, n°2, (1976), p. 347-356

3 BOTTE Roger, « Rwanda and Burundi, 1889-1930: Chronology of a Slow Assassination», Part 2, in The International Journal of African Historical Studies, 18, 2, (1985), p. 301 ; RUMIYA Jean, Le Rwanda sous le régime du mandat belge…Op.cit, p. 71-72 ; LUGAN Bernard, « Famines et disette au Rwanda », in Cahiers d’Outre-mer…Op.cit, p. 158 ; p. 160-161

4 RUMIYA Jean, Le Rwanda sous le régime du mandat belge…Op.cit, p. 72

5 Idem, p. 73

6 Ibidem

7 BOTTE Roger, « Rwanda and Burundi, 1889-1930: Chronology of a Slow Assassination», Part 2, in The International Journal of African Historical Studies, 18, 2, (1985), p. 310

8BUREGEYA Silas, Les paysans du Bumbogo face aux autorités traditionnelles et coloniales (1900-1956), Mémoire de licence en Histoire, inédit, UNR, Butare, 1996, p. 111

9 Ibidem

10 Idem, p. 313

11 CORNET Anne, Histoire d’une famine : Rwanda 1927-1930. Crise alimentaire entre tradition et modernité,

Louvain-la-Neuve, Centre d’Histoire de l’Afrique, 1996, p. 37

suite à l’éclatement de la dysenterie, du paludisme et de la grippe1. Elle aurait, selon Ian Linden, entraîné le décès de 35000 personnes et l’émigration de 70000 autres personnes vers l’Ouganda2.

En réponse à cette famine, l’administration coloniale belge aurait distribué, via les missionnaires chrétiens, des vivres, des semences et des boutures à la population3. Elle aurait également constitué des stocks de semences et mobilisé la population pour les cultures vivrières4.

Suite à ces catastrophes et à leur récurrence au pays, l’administration coloniale belge instaure et rend obligatoire la plantation du manioc, de la patate douce et de la pomme de terre5. Elle appelle aussi la population aux travaux de reboisement6.

Par le règlement n° 89 du 17 août 1931, chaque homme adulte valide est aussi appelé à cultiver un champ de 35 ares réserves aux cultures vivrières saisonnières ainsi qu’un champ de cultures vivrières non saisonnières de 15 ares dont 10 ares doivent être consacrés soit au manioc, aux patates douces ou aux pommes de terre7.

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À l’issue de cette partie, il apparaît que certaines des famines de la période précoloniale et coloniale sont, pour la plupart, causées par des facteurs naturels tels que la sécheresse et l’invasion de sauterelles et que peu auraient été entraînées par d’autres facteurs humains à l’instar d’une guerre.

Les autorités rwandaises et coloniales ont essayé de faire face, en leur temps et à leur façon, à ces catastrophes. Durant la période précoloniale, la cour royale accomplit des rites du Code ésotérique pour faire tomber la pluie. Au moment du mandat belge, les autorités coloniales encouragent la population à planter des cultures vivrières comme le manioc, la patate douce et la pomme de terre. Ces mesures auraient entraîné, en 1937, certaines personnes à

« considérer le danger de famine comme écarté. »8

Cependant, comme pour les contredire, la famine Ruzagayura éclatait, quelques temps après, durant la Deuxième Guerre mondiale.

1 BOTTE Roger, « Rwanda and Burundi, 1889-1930: Chronology of a Slow Assassination», Part 2, in The International Journal of African Historical Studies, 18, 2, (1985), p. 314; CORNET Anne, Histoire d’une famine…Op.cit, p. 38

2 LINDEN Ian, Christianisme et pouvoirs au Rwanda…Op.cit, p. 229-230

3 CORNET Anne, Histoire d’une famine…Op.cit, p. 80-86

4 Idem, p. 80-81 ; p. 84

5 HABIMANA Bonaventure et HARROY Jean-Paul, « Instauration et abrogation des cultures vivrières obligatoires au Rwanda », in Civilisations, 30 (1980), 3-4, p. 199

6 Ibidem

7 Article 1 du Règlement n° 89 du Résident du Ruanda, in Bulletin Officiel du Ruanda-Urundi, 1931

8 En l’occurrence le directeur général du Ministère des Colonies, Michel Halewyck de Heusch qui aurait déclaré

à la Commission des Mandats, en conclusion de ses explications sur les mesures prises : « D’une manière générale, on peut considérer le danger de famine comme écarté. » (Société des Nations. Commission Permanente des Mandats, Procès-verbal de la Trente-troisième Session tenue à Genève du 08 au 19 novembre 1937 comprenant le Rapport de la Commission au Conseil, Genève, 1937, p. 95)