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Crise économique et crise sociale du modèle néolibéral postrévolutionnaire

PANDÉMIE DU COVID-19 : IMPACTS ET GESTION DE LA CRISE

Les 3 mesures dont les entreprises déclarent avoir le plus besoin sont : les exonérations/ réductions d’impôt, les injections directes de liquidité, et les reports d’impôts

I- Analyse sociologique du modèle économique de la transition démocratique

2- Crise économique et crise sociale du modèle néolibéral postrévolutionnaire

La période post-révolution est marquée par l’absence des problèmes économiques dans les débats publics.

Après la révolution, les questions identitaires ont prédominé dans les débats publics, occultant les problèmes relatifs à l’économie et au développement. Le dernier président a été élu sans programme économique et dans ses interventions sporadiques, il évoque rarement l’économie à l’instar des autres leaders politiques qui mettent en avant l’identité culturelle ou nationale ou les polémiques relatives à la modernité et à la tradition. Il est rarement question d’une transformation du modèle néolibéral hérité ou d’une recherche d’alternatives. Au cours de la transition démocratique, la Tunisie a gardé le même modèle néolibéral dont les défaillances structurelles n’ont cessé de s’aggraver et de s’amplifier, à savoir :

la corruption, le secteur informel et la contrebande, la connivence élargie entre pouvoir économique et pouvoir politique, la détérioration des services publics (santé, éducation, transport), les inégalités sociales et régionales, la hausse de la pauvreté en milieu rural et urbain et l’appauvrissement de la classe moyenne, le blocage de l’investissement et la

sclérose du marché de l’emploi, l’augmentation du chômage surtout parmi les diplômés, l’inflation et la chute du pouvoir d’achat, la détérioration de la valeur du dinars, la faiblesse de la valeur ajouté des produits exportés et de la productivité globale, l’évasion fiscale et les créances bancaires toxiques.

Le terrorisme a mis à terre le secteur touristique et obligé l’État à choisir une orientation budgétaire axée sur la sécurité nationale aux dépens de la santé ou encore de l’éducation.

Les gouvernements successifs recrutent à tour de bras dans le secteur public, procède à des dédommagements de prisonniers politiques créant des surplus d’effectif et grevant le budget d’une énorme masse salariale, sans respecter pour autant le critère de la productivité.

En contrepartie de la paix sociale, les gouvernements ont dû créer des sociétés d’environnement de jardinage offrant des emplois fictifs à de jeunes chômeurs pour éviter de bloquer les unités de production. De plus, la loi 38, promulguée récemment, enjoint l’État de recruter 10000 diplômés au chômage depuis au moins 10 ans, sans toutefois prévoir les sources de financement nécessaires.

2-1- Les mouvements sociaux dans le contexte postrévolutionnaire

Après la révolution, les mouvements sociaux se sont multipliés paralysant les activités industrielles du Sud de la Tunisie : la production du pétrole (Kamour), phosphate (Gafsa), gaz (Gabès) pétrole (Doulab, Kasserine), pétrole (Skhira) eau (Hamma). Un groupe de jeunes chômeurs, appelées tansiquita, se sont organisés pour former un comité de coordination et exprimer leurs revendications en campent dans le lieu de production et en l’empêchant de fonctionner. Ces jeunes bénéficient du soutien de leur tribu ou du village. Les sit-in peuvent aboutir à des grèves générales, avec parfois l’appui de la centrale syndicale. Ces mouvements de revendication peuvent être manipulés par des partis politiques qui cherchent à s’accaparer du pouvoir.

Afin de préserver ses ressources le gouvernement est obligé de négocier et d’accorder des emplois fictifs, à travers des sociétés de développement régional, alourdissant son budget et augmentant sa dette publique. Ces emplois non productifs ne font qu’alourdir la dette de l’État, en l’absence de compensation par la création de richesse. L’Algérie, qui a pratiqué cette politique salariale pour pré-emploi et de distributions de crédits non remboursables aux jeunes en s’appuyant sur la rente pétrolière, a dû y renoncer à la suite de la chute du cours du pétrole. Ce qui a provoqué le mouvement social du harak.

Le contexte révolutionnaire a aussi bénéficié à la centrale syndicale qui est devenu un acteur dominant la scène et imposant des augmentations de salaires à différentes catégories professionnelles surtout dans le secteur public. Ces augmentations répétées et excessives, sans être compensées par une meilleure productivité, ont enfermé le pays dans le cercle vicieux inflationniste et aggravé le poids de la masse salariale. Le pouvoir judiciaire subit lui aussi les conséquences des revendications salariales. En témoigne la grève qui a duré plus de semaine mettant en danger l’équilibre des pouvoirs et le système politique du pays dans son ensemble.

On assiste aussi à la revendication corporative des professions libérales comme les avocats ou les médecins qui manifestent contre toute augmentation de taxation menaçant leurs revenus et finissent par obtenir satisfaction.

L’ensemble des revendications salariales et corporatives ne sont pas de nature à consolider l’équilibre des finances publiques.

Le rôle politique de l’UGTT prend de l’importance et entre en conflit avec une nouvelle force politique, le parti Ennahdha, qui bien que dominante n’est pas hégémonique, et cela grâce à la centrale syndicale. Celle-ci reste un facteur d’équilibre, jouant depuis toujours un rôle positif dans la résolution des crises politiques de par son autonomie.

Jusqu’ici, la centrale syndicale a résisté au phénomène la corruption. En témoigne la décision récente de geler son secrétaire régional de Tataouine suspecté de monnayer l’arrêt des grèves auprès d’une compagnie pétrolière locale qui l’aurait piégé. Une mesure qui prouve la volonté du syndicat de préserver sa réputation. Mais cela révèle aussi le risque des manipulations politiques et vénales visant à instrumentaliser les mouvements sociaux

D’un autre côté, la centrale syndicale suit sa propre orientation idéologique refusant de moderniser l’économie nationale et de privatiser les entreprises publiques non stratégiques. Des entreprises qui souffrent de sureffectif et dont les pertes chroniques sont renflouées par l’État. Cette crispation idéologique empêche d’envisager un débat constructif sur le rôle de ce dernier dans une économie moderne.

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2-2- Secteur informel et corruption

Le contexte postrévolutionnaire voit émerger un important secteur informel sous le contrôle de contrebandiers qu’on appelle « barons » et qui sont connus du pouvoir, profitant de leurs connexions dans le système politique et administratif. L’excédent commercial avec la Turquie et la Chine bénéficient à des importateurs qui n’ont cure du déficit de la balance des paiements. Aucun gouvernement n’a réussi à déclencher la clause de sauvegarde auprès de l’OMC et à freiner les importations de biens non essentiels.

L’affaire des déchets toxiques importés d’Italie, dans laquelle sont impliqués des fonctionnaires du ministère de l’environnement, de la douane et de la poste, en complicité avec la camora de Napoli spécialisée dans les déchets toxiques, atteste de l’activité de réseaux mafieux qui infiltrent l’édifice administratif national, italien et tunisien. Elle est le signe éclatant de la perversion du modèle néolibéral qui menace les citoyens, jusqu’à leur santé.

2-3- Désarticulation de l’économie et échec de la planification

Si la corruption, la contrebande, l’informel s’amplifient, l’investissement productif public et privé faiblit, à cause de la morosité du climat des affaires et une perception négative de la qualité de vie en Tunisie. Des grands projets structurants tardent à voir le jour comme l’open sky ou le port de transbordement d’Enfidha.

Les gouvernements successifs ont pourtant élaboré au moins trois plans de développement afin d’accroître la croissance et stimuler l’emploi. Mais ces efforts n’ont pas porté leur fruit à cause de l’instabilité du système politique et l’archaïsme de l’administration.

Un plan de développement réalisable et profitable aux citoyens requiert un pouvoir central fort relayé par une gouvernance locale efficace. Il nécessite à la fois une décentralisation et une déconcentration, de même qu’un gouvernement fiable engagé auprès du peuple par un contrat-objectifs sur une durée temporelle définie. Or ce relais local est inexistant et ni le conseil du gouvernorat, ni le conseil régional ne sont opérationnels, en ce qui concerne leur connexion avec la planification centrale. Ainsi, les crédits débloqués ne sauraient suffire pour réaliser les projets de développement envisagés. Par exemple, une partie du financement accordé par la Banque Mondiale n’a toujours pas été utilisée à cause de la lenteur de l’administration. La plupart des projets planifiés par le gouvernement n’ont jamais vu le jour.

Les oppositions observées dans la période prérévolutionnaire lors de notre analyse du modèle néolibéral sont exacerbées, opposition entre offshore et on shore et entre rural et urbain, ce qui aggrave les disparités régionales, sociales, culturelles et favorise la radicalisation des mouvements sociaux.

Le modèle néolibéral prérévolutionnaire est entretenu par certaines familles dont les de groupes prédominent dans plusieurs secteurs économiques qu’ils contrôlent et monopolisent empêchant l’accès de ces marchés aux jeunes innovateurs. Des parts du marché se transforment en chasse gardée grâce à des appuis puissants dans le cercle du pouvoir. Ce phénomène rend compte d’une autre forme de la connivence entre le pouvoir économique et le pouvoir politique en dissonance avec la version classique du modèle néolibéral.

2-4- Exacerbation des revendications politiques

Quelle légitimité peut avoir la classe politique si elle ne tient pas la promesse qu’elle a faite aux jeunes qui se sont révolté contre le despotisme ? Au bout de dix ans d’attente vaine, la jeunesse risque de se révolter contre la classe politique et l’institution parlementaire incapables de répondre aux revendications de la révolution. Les jeunes demandent le droit de travailler et d’entreprendre mais se heurtent à un système politico-économique verrouillé et condamné. Marginalisés, déscolarisés, chaque année plus de cent mille adolescents, en proie au désespoir, se tournent vers l’émigration clandestine ou le terrorisme. Les jeunes diplômés sont tout aussi touchés d’où l’exode massif des cerveaux vers l’Europe qui accueille en grand nombre les compétences en médecine ou en informatique pour ne citer que ces secteurs.

Au début de la décennie le slogan des mouvements de protestation était « le peuple veut la chute du régime ». À la fin de la décennie le même slogan se transforme en « le peuple veut la dissolution du parlement » qui devient l’institution démocratique qui cristallise les contradictions politiques, économiques, sociales et culturelles qui se sont accumulées tout au long de la décennie.

Dix ans après la révolution, le peuple qui réclamait l’instauration d’un parlement constitutionnel exige aujourd’hui sa dissolution et la révision de la constitution.

Sommes-nous à la veille d’un deuxième séisme révolutionnaire? L’Histoire ne se répète pas toujours de la même façon. Mais il est certain que l’effondrement du modèle politique a entrainé la chute du modèle économique et les forces sociales de la nation cherchent actuellement des alternatives. Cette désagrégation de l’ancien système politico-économique pourrait cependant devenir une opportunité pour le transformer et l’améliorer.