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LA CRÉATION MONÉTAIRE, ŒUVRE DU DIABLE

Dans le document Concepts, monnaie et institutions. (Page 25-31)

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Jens Weidmann, président de la Bundesbank s’est opposé à la récente opération OMT de Mario Draghi,président de la BCE.

Dans un de ses discours, il cite le Faust II de Goethe, génie littéraire allemand né… à Francfort, siège de la BCE et de la BUBA. Et rappelle cette scène : l’Empereur est à court d’argent.

Il se lasse des propositions mesurées qui lui sont faites et proclame : « J’en ai assez de ces éternels « Mais » et « Si » ; Je manque d’argent, alors qu’on en crée donc ! » Et le Diable, Mephisto, d’abonder dans le sens du Souverain : « Je crée ce que vous voulez, et j’en fais même bien plus. » L’histoire finit évidemment mal.

Cette allusion pourrait passer pour une simple preuve de culture littéraire, si le Faust II n’était en fait présent sur les

murs de la Banque Centrale Allemande ! Impossible de rentrer dans ce temple moderne sans penser à Faust. Nous sommes là au cœur du dogmatisme.

En fait en pleine religion. Il est en effet bien connu, et enseigné dans tous les livres d’économie, que les banques secondaires créent de l’argent par un simple jeu d’écritures. Les « prêts » font les « dépôts », dit-on en résumé. Si la banque me prête 1000 euros, elle les inscrit ex nihilo sur mon compte bancaire, inscrit en contrepartie à son actif la créance qu’elle a sur moi.

Créance éteinte et monnaie détruite quand je rembourse ma dette. Tout cela, si l’on en croit Goethe et avec lui Jens Weidman, serait diabolique ?

La monnaie satanique si elle publique angélique si elle est privée ?

On pourrait presque le penser pour plusieurs raisons qui mettent en cause la création monétaire publique :

les Allemands ont connu l’hyperinflation en 1923 avec la crise de Weimar et les brouettes de billets

la puissance du troisième Reich a reposé en partie sur le financement des grands travaux par la création monétaire : les

« bons de travaux » ont permis au gouvernement allemand dès 1933 de payer des commandes et de remettre au travail 6 millions de chômeurs.

après la deuxième guerre mondiale l’Allemagne a connu un nouvel épisode inflationniste et n’a trouvé la stabilité monétaire que grâce au dispositif institutionnel actuel.

plus généralement l’histoire abonde d’épisodes hyper inflationnistes (des assignats révolutionnaires en France au

Zimbabwe au début de ce siècle en passant par la Yougoslavie en

1993 et le Brésil dans les années 60 puis 80) qui accréditent cette these.

Mais peut-on penser que la création monétaire privée serait, elle, à l’abri de Méphisto ?

Comment ne pas voir que la gigantesque crise financière actuelle est due fondamentalement au fait que les banques ont pu créer de la monnaie pour alimenter la machine à subprimes et plus généralement toutes les opérations spéculatives ?

Elles ont même mis au point la « titrisation » pour sortir de leurs bilans ces prêts et retrouver des droits à création monétaire, en contournant ainsi les dispositifs de régulation, qui visent à limiter ce pouvoir exorbitant.

Plus profondément la démesure faustienne est clairement au cœur du capitalisme financier : si dans les siècles passés la

« dématérialisation » de la monnaie n’avait pas été inventée, la croissance économique eût été impossible.

Comment des flux croissants de marchandise pourraient aujourd’hui être échangés avec des pièces métalliques en quantité limitée ? La disproportion entre la quantité d’échanges et l’or a obligé Nixon à déclarer le dollar inconvertible en or, en 1971. Cela n’a été possible parce que l’idée que la monnaie pouvait n’être qu’une simple convention s’est progressivement imposée.

En Europe aujourd’hui les pièces de monnaie ne représentent qu’une masse de 25 milliards d’euros pour une masse monétaire de 4500 Milliards. Les 10 000 tonnes d’or dans les caisses du SEBC ne valent que… 400 Milliards (au prix astronomique actuel du métal précieux) soit moins de 10 % de la valeur de la monnaie en circulation.

Bref Méphisto nous a inspiré les moyens d’une croissance sans limite. Goethe n’a pas été si mal inspiré en associant à la création monétaire l’image de l’incarnation de la démesure.

Lucifer, autre nom de Satan, représente celui qui veut s’élever au-dessus de se condition d’homme et refuse de se soumettre à Dieu. C’est l’image de la transgression, du dépassement des limites.

Pour autant, le dogme moderne se limite à considérer que seule la « planche à billets » (monnaie créée par la Banque Centrale) est inflationniste.

Il oublie de préciser que la création monétaire (de monnaie

scripturale) par les banques privées est à l’origine de l’inflation des actifs et des bulles financières. Dès lors quand Mario Draghi lance son OMT il subit les attaques de Jens Weidmann, qui ne les adresse pas à tous les banquiers de la planète.

Comment sortir de cette sorcellerie ?

Tout d’abord, comme on le sait, le prince des Ténèbres a peur de la lumière. La priorité est donc d’éclairer les mécanismes de création monétaire. La prolifération sur internet des thèses conspirationnistes, complotistes voire antisémites à ce sujet n’est que le symptôme d’un manque de culture généralisé.

Si la création monétaire est mal comprise c’est parce qu’elle est le résultat de mécanismes comptables qui sont difficilement compréhensibles, sans culture comptable minimale. Dès lors l’illusionnisme et son corollaire l’illusion peuvent prospérer. Et les banquiers peuvent passer a minima pour des magiciens, au pire pour des suppôts de Satan.

Le président de la Société Générale, Frédéric Oudéa ne vient-il pas de déclarer à la commission des affaires économiques :

« Nous ne pouvons créer de l’argent.

Il nous faut le collecter à travers les dépôts des particuliers et

des entreprises ainsi que par des émissions sur les marchés. » Pour paraphraser une célèbre phrase d’Arnaud Lagardère, est-ce une preuve d’incompétenest-ce ou la défense cynique de ses intérêts et de ceux de la communauté financière ? Une interprétation plus charitable serait qu’il a oublié ses cours d’économie et ne comprend pas les mécanismes macro financiers, qui ne sont en rien de sa responsabilité.

La pédagogie en matière monétaire est donc indispensable, mais elle ne suffira pas à l’évidence pour résoudre l’actuelle crise mondiale, ce qui nécessitera de tourner la page du modèle actuel. Le statu-quo n’est manifestement pas une option.

Vu de Sirius, il va falloir choisir entre quatre options :

• Première solution :

Partagée par tous ceux qui ne voient que diablerie dans la création monétaire, l’interdire tout net, aux banques privées, publiques et centrales.

C’est la dépression assurée. L’immense majorité de l’argent en circulation étant temporaire (elle est détruite quand les prêts sont remboursés), s’il n’était pas recréé ex nihilo il se mettrait à manquer dans toute l’économie. C’est ce qui se passe pendant les grands krachs économiques.

• Deuxième solution :

Qui ne voit diablerie que dans la création monétaire publique, la confier intégralement aux banques privées. C’est la voie promue par des ultralibéraux comme David Friedmann [5]. Qui semblent oublier les dérives et excès de la monnaie privée qui ont connu leur apogée en 2008.

• Troisième solution :

Symétrique de la précédente, la confier intégralement au secteur

public. C’est le 100% money plaidé par Irving Fisher au moment de la crise de 1929 et le (seul) prix Nobel français Maurice Allais qui n’hésite pas à traiter les banquiers de faux-monnayeurs.

Solution radicale, pas facile à mettre en œuvre aujourd’hui, au vu du pouvoir de la communauté bancaire.

• Quatrième solution :

Plus pragmatique. Redonner le pouvoir de création monétaire à la puissance publique, pour des opérations d’investissement d’avenir bien identifiées. Ce qui permettrait de relancer la machine économique, de limiter le risque d’inflation et de dérive financière et d’orienter l’économie vers l’avenir. A mes yeux, la priorité serait de flécher cette création monétaire vers la transition énergétique et écologique.

Dans le document Concepts, monnaie et institutions. (Page 25-31)

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