4. Projets scientifiques
4.1. Chimie organique complexe dans l’atmosphère de Titan
4.1.4. Couplage de la chimie des ions et de la chimie des neutres dans un modèle
Le travail de thèse de S. Plessis (Plessis, 2010), que nous avons co-encadré P. Pernot et
moi-même a permis de mettre en évidence l’importance d’une famille de processus dont la
description était négligée jusqu’à présent dans les modèles de chimie ionosphérique. Il
s’agit des processus de recombinaison dissociative (RD) des ions avec les électrons de
faible énergie de l’ionosphère. Ces processus sont très exothermiques et conduisent à la
formation de plusieurs neutres, souvent avec rupture d’une liaison avec un hydrogène
labile (processus dit à « perte de H »), mais également avec cassure de la chaîne
carbonée de l’ion.
Un exemple de fragmentation est développé sur la Figure 24. B1 et B3 correspondent aux
rapports de branchement entre les deux voies de fragmentation. B11 et B12 sont deux
sous-rapports de branchement de la voie B1. L’exemple développé Figure 24 illustre ainsi
le fait qu’au cours d’une expérience les produits peuvent être imparfaitement caractérisés,
conduisant à des scénarii de répartition plus ou moins connue entre les deux sous-voies
conduisant aux produits neutres P1 et P2.
Figure 24 : Exemple de la fragmentation d'un ion par recombinaison dissociative avec un électron.
Les composés formés sont des espèces neutres souvent instables, difficiles à récupérer,
identifier et quantifier en laboratoire. Les bases de données de ces recombinaisons
dissociatives s’arrêtent donc au-delà des hydrocarbures à 4 carbones et très peu d’ions
azotés ont été étudiés. La complexité des analyses expérimentales et leur incomplétude
est illustrée Figure 25 sur l’exemple de lion C
4H
9+.
Cette difficulté et cette méconnaissance expliquent que les modèles de chimie
ionosphérique de Titan ont jusqu’à présent ignoré cette source de production d’espèces
neutres dans l’ionosphère de Titan. Seuls des schémas « perte de H » ou légèrement
améliorés (implémentation spécifique de quelques réactions de recombinaison
dissociative pour expliquer des observations particulières) sont implémentés. C’est le cas
par exemple du travail de Yelle et al., 2010 pour expliquer la formation d’ammoniac, ou
encore de Wilson et Atreya, 2003 pour la formation de benzène, ces deux composés
ayant été détectés en concentrations importantes par l’INMS de Cassini sans que les
modèles de photochimie seuls puissent l’expliquer.
Figure 25 : Exemple du schéma de fragmentation de l'ion C4H9+ par recombinaison dissociative.
Plessis et al., 2010 répertorient ainsi de manière exhaustive toutes les données existantes
sur les rapports de branchement des DR pour lesquelles existent des déterminations
expérimentales plus ou moins complètes et propose une méthode probabiliste pour tenir
compte des incertitudes importantes sur ces rapports de branchement, tout en conservant
fidèlement la structure imbriquée des déterminations expérimentales. Le détail de cet
article est fourni en fin de document parmi les cinq publications les plus significatives de
ce travail.
Figure 26 :Spectre de masse des ions mesuré par l’instrument INMS au cours du survol diurne T19 à 1100 km d’altitude. La couleur des blocs indique l’état des connaissances sur les produits neutres
issus des recombinaisons dissociatives des ions identifiés.
Grâce à ce travail préliminaire, nous sommes capables de calculer pour l’atmosphère de
Titan les flux de production de neutres dans l’ionosphère de Titan (Équation 1), issus des
recombinaisons dissociatives des ions avec leurs concentrations effectivement mesurées
par INMS (exemple de spectre de masse INMS reporté Figure 26).
Équation 1 : Calcul du flux de production de l’espèce neutre M par la RD r. [M] est la concentration de l’espèce M,
α0 est la constante de vitesse à 300 K ,
β0 est paramètre puissance de la constante de vitesse en fonction de la température, [I+]r est la concentration de l’ion détruit par la RD r,
de est la concentration en électrons, bj
(r)
est le rapport de branchement de la voie j de r produisant M
ννννj,M est le coefficient stochiométrique de la voie j de r.
Nous les avons ensuite comparés aux flux des mêmes neutres issus du modèle
photochimique de M. Dobrijevic, LAB Bordeaux. La comparaison des flux de production
d’hydrocarbures est donnée Figure 27. Il montre que les flux issus RD des ions est
souvent du même ordre de grandeur, voire plus important que les flux de production
photochimiques (Plessis et al., 2011).
Figure 27 : Comparaison des vitesses de production de neutres à 1100 km. (Noir) Vitesse de production par le modèle photochimique ; (vert) vitesse de production par les recombinaisons dissociatives avec les densités ioniques mesurées par INMS au cours du survol T19 à 1100 km
d’altitude.