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La première région que nous pouvons appeler «région posté- rieure», se situe à l’abri des regards indiscret. C’est l’espace des coulisses au théâtre, là où le rôle est répété, où la posture est corrigée, où l’acteur se repose et se prépare à jouer ou à re- jouer. Au-delà d’un espace, c’est un temps prospectif, un mo- ment de questionnement et d’un certain abandon. Dans les lieux de drague les coulisses peuvent occuper un temps très long, elles sont l’émergence des tabous et des préoccupations dans des mécanismes de réflexion personnelle. C’est parfois une remise en question de sa place dans le lieu. C’est un mo- ment de flottement avant le passage à l’acte.

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A ce moment de pause de la représentation, le rituel occupe une grande place en raison de sa qualité rassurante. Les hommes m’expliquent à plusieurs reprises l’importance de cette répétition. Ils prennent souvent la même route pour ve- nir, ils mettent en place tout un protocole de sécurité et des habitudes de sélection... C’est également le temps de construction du désir, notamment par la pratique de la pro- jection, qui trouve dans ce temps de repos tout le substrat pour prendre racine, nous y reviendrons sur la partie consa- crée au fantasme mais nous pouvons déjà établir l’hypothèse que les coulisses, en plus d’être le temps et l’espace de la pause de la représentation, sont également le temps et l’espace de la construction du fantasme.

Les coulisses dépassent les lieux de drague. L’ensemble des «rites de préparation» font partie de cette construction en amont de la représentation. Par exemple, le mensonge à sa fa- mille pour justifier sa présence, l’aménagement de son temps de travail pour être présent à la bonne heure sur les lieux de drague, le choix des vêtements... sont autant d’éléments ré- pétitifs de préparation de la représentation. Un procédé qui peut commencer bien en amont, par la répétition du rôle, par une organisation quelconque. On peut d’ailleurs, sur les sites qui répertorient les lieux de drague, trouver des pro- positions de scénarios établis par des pratiquants. Tout un imaginaire hors du lieu, un temps de préparation, où ils se racontent des histoires.

Sur le lieu de drague, on peut voir des hommes partir à l’abri des regards, se retourner pour voir s’ils ne sont pas suivis, puis ils relâchent la pression, marchant différemment. Les coulisses peuvent également incarner un espace de re- présentation à part entière. Un jeu plus souple mais tout aus- si contrôlé, ou une certaine aisance, une certaine simplicité semble être exposée.

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Ce sont souvent des moments plus intimes, à l’écart de l’ac- tivité fourmillante. Souvent quand deux ou trois hommes se croisent au milieu des bosquets les comportements sont plus détendus par un effet de surprise mais aussi par une situation plus propice à la consommation d’un acte sexuel. J’ai souvent assisté à ce type de rencontres, où deux hommes marchent dans un bosquet, sans visibilité apparente. Chacun semble être dans ses pensées, il n’y a pas de figuration particulière, par de jeu, pas d’exposition de soi. Au moment où une autre personne dans la même situation est croisée, l’effet de sur- prise pousse parfois les deux protagonistes à (sur)jouer cette rencontre, à adopter une face de surprise, qui finalement n’en n’ai pas vraiment une car aucune promenade en lieu de drague n’est innocente de toute volonté.

Les coulisses, avant d’être des espaces sont donc des temps. Des moments de prospection, de réflexion personnelle. Il est possible de les raccorder à un territoire, à un espace mais il faut faire attention de ne pas tirer de conclusion hâtive quant à une spatialisation des régions postérieures contrairement aux théories de Goffman. Dans la partie consacrée à la mise en espace nous tenterons de raccorder certains espaces à ces graduations de la représentation.

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LA SCÈNE

Alors que les coulisses discréditent la représentation en pu- blic, la scène elle, joue le rôle d’espace et de temps de la re- présentation. C’est la «région antérieure». Son organisation respecte deux règles fondamentales. La première d’entre elle étant la politesse. La question de politesse peut paraître inadaptée aux lieux de drague et pourtant, le mot «respect» ressort à de nombreuses reprises dans les rencontres. C’est la condition du jeu qui a lieu. Peu importe la pratique, qu’elle soit qualifiée de «hard» ou de «soft» (par ces noms, les prati- quants distinguent deux extrêmes de pratiques dans lesquels toute une graduation permet de classer leurs pratiques. Les pratiques softs relevant d’activités sexuelles liées à la ten- dresse, à la caresse, alors que les pratiques hards abordent des jeux liés au repoussement de limites physiques, par la douleur, par des formes d’humiliation et de soumissions ex- trême) le respect est toujours au centre des attentions, c’est ce qui assure l’aspect «fictionnel» des choses dans la mesure ou ils jouent, où ils ne cherchent pas à atteindre réellement l’intégrité physique et morale des personnes présentes. Dans le cas de pratiques softs, il y a une certaine égalité entre les protagonistes, le corps est écouté, sublimé, extasié.

Dans les pratiques hards, une certaine recherche de «pousser à l’extrême» ne peut être opérée que si le respect est garant de la sûreté de la situation. Perdre le respect, c’est sortir du jeu et atteindre l’intégrité sans plaisir partagé. L’autre règle fondamentale c’est la bienséance. Elle regroupe le respect des normes morales locales mais aussi la norme instrumen- tale. Ces normes sont celles qui ont été présentées dans la partie «chasse». C’est le jeu du désir, d’entretien de la libido, par l’application des multiples règles communes, partagées et connues de tous. C’est ce qui assure chaque protagoniste dejouer un rôle dans l’équipe et de démasquer les menteurs.

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