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Cortex cérébelleux et filtre adaptatif

2. Cervelet et cortex cérébelleux

2.3. Cortex cérébelleux et filtre adaptatif

2.3.1. Le modèle interne : théorisation du fonctionnement

sensori-moteur

La réalisation d’un mouvement induit des ambiguïtés sur la source des entrées sensorielles. Un nouveau-né est incapable de déterminer si celles qu’il reçoit sont dues à des changements de l’environnement ou à ses propres mouvements. Cette observation amène à la publication en 1950 de deux articles indépendants sur la relation entre la commande motrice et le retour sensoriel. Dans le premier, Von Holtz et Mittelstaedt proposent une explication théorique en différenciant deux types d’entrées sensorielles : ceux dus à l’environnement, qu’ils appellent l’exafférence, et ceux qui résultent des propres mouvements de l’animal nommés réafférence. Bien que d’origine différente, ces deux types d’informations activent de façon identique les récepteurs sensoriels. Ils proposent alors qu’ «un signal de copie efférente», correspondant à une copie de la commande motrice, soit envoyé aux voies sensorielles. En indiquant dans quelle mesure le mouvement effectué peut influencer la perception, ce signal permettrait de résoudre la confusion de la nature des entrées sensorielles (Von Holst and Mittelstaedt, 1950). Dans le second article, Sperry discute d’un signal moteur qui influencerait le processus sensoriel, qu’il désigne sous le terme de « décharge corollaire ». Cette conception est bien moins spécifique que celle proposée par Von Holst et Mittelstaedt , car elle ne pré-suppose pas du niveau du processus moteur auquel ce signal doit être envoyé et quels sont les effecteurs sensoriels qui le reçoivent (Sperry, 1950).

Ainsi, ces deux propositions théoriques semblables soulignent la nécessité de dynamiques neuronales permettant d’établir des représentations sensorielles élaborées à partir d’informations motrices.

Les systèmes moteur et sensoriel interagissent constamment avec le monde physique et permettent les transformations nécessaires à l’adaptation. Dans le cas du corps humain, qui contient plus de 600 muscles pouvant être contractés ou relâchés, ce seul problème mécanique génère un nombre impressionnant de configurations d’activation motrice (Lebon

et al., 2013). L’interprétation des retours sensoriels pour ajuster le contrôle du mouvement devient alors difficilement envisageable pour le système nerveux central d’autant qu’une simple boucle de rétrocontrôle est trop lente pour un gain trop faible (Wolpert et al., 1998). Ce dernier devrait alors élaborer un « modèle interne » afin d’établir des représentations du corps, du monde extérieur et de leurs interactions (Ito, 2008) via la représentation neuronale de ce système dynamique (Wolpert et al., 1995).

La conceptualisation de ce modèle interne provient de la robotique et requiert un élément indispensable au circuit : le filtre adaptatif. Dans un premier temps, il assure l’analyse des entrées sensorielles et les transforme d’après un répertoire de filtres. Il réalise par la suite la synthèse de ces informations modifiées grâce à la pondération de chacune d’entre elles ; le résultat de cette recombinaison constituant la sortie du filtre. Celui-ci est dit adaptatif car le poids associé à chaque information transformée n’est pas précalculé, mais change au cours de l’opération afin d’assurer la sortie la plus adéquate. La variation de la pondération de chaque entrée sensorielle est permise par l’adaptation du filtre via un apprentissage souvent médié par un « message d’erreur » (Porrill et al., 2013).

Il existe plusieurs formes de modèles internes, mais deux sont plus particulièrement évoqués en lien avec le cervelet : le modèle direct et le modèle inverse, qui ne diffèrent que par la connexion de leur filtre adaptatif dans les circuits neuronaux extérieurs et par leur fonction biologique.

Le modèle direct également appelé modèle forward permet d’établir un lien causal entre une action et ses conséquences (sensorielle et dynamique) afin de prédire l’effet de l’action à partir de l’état actuel du système et de la commande. Dans le cas du système moteur par exemple, le modèle interne direct tente de prédire les conséquences du mouvement, qu’elles soient sensorielles ou cinématiques à partir d’une copie de la commande motrice. Cette estimation est ensuite comparée au retour sensoriel induit par la réalisation du mouvement. Dans le cas où une différence est détectée, celle-ci constitue un « message d’erreur sensoriel» assurant l’apprentissage du filtre adaptif.

Le modèle inverse, quant à lui, permet de fournir la commande motrice adaptée à la réalisation de l’action désirée à partir d’une connaissance de l’état courant du système :

schématiquement, ce modèle utilise une représentation sensorielle pour prédire la commande motrice nécessaire à la réalisation du mouvement.

2.3.2. Cytoarchitecture du cortex-cérébelleux et filtre adaptatif

Dès la description du microcircuit cérébelleux par Eccles, Ito et Szentágothai en 1967, un « algorithme cérébelleux » est envisagé en raison de son organisation histologique uniforme sur l’ensemble du cortex cérébelleux (Ito, 2006). En effet, les divergences et convergences que permettent les cellules en grain et les cellules de Purkinje ainsi que la présence de la fibre grimpante contrôlant la plasticité synaptique, suggèrent les processus nécessaires à un filtre adaptatif : « l’analyse », « la synthèse » et « l’adaptation » des informations sensorielles (Porrill et al., 2013).

La première étape, « l’analyse », est assurée par la synapse entre les fibres moussues et les cellules en grain. Avec seulement quatre à cinq dendrites (Chadderton et al., 2004), chaque cellule en grain permet la convergence des entrées sensorielles provenant de modalités différentes (Chabrol et al., 2015; Huang et al., 2013; Ishikawa et al., 2015; Kotchabhakdi and Walberg, 1978). Par ailleurs, du fait qu’elles constituent la plus grande population neuronale (Herculano-Houzel, 2010), elles assurent l’encodage d’un contexte sensoriel tout à fait particulier. Ce phénomène est d’autant plus exacerbé qu’une même fibre moussue peut réaliser des synapses avec plus de 400 cellules en grain, éventuellement réparties entre plusieurs folia (Ito, 2006). Ainsi, une même information sensorielle est transmise à des cellules en grain très diverses, accentuant la spécificité de l’information transmise aux cellules de Purkinje.

La « synthèse » constitue la seconde étape d’un filtre adaptatif et sélectionne les informations pertinentes grâce à l’adjonction d’un poids à chacune d’entre elles. Elle s’effectue au niveau des 150 000 synapses formées entre chaque cellule de Purkinje et les fibres parallèles qu’elle contacte (Hirano, 2018; Napper and Harvey, 1988; Pichitpornchai et al., 1994). Afin d’obtenir la sortie de l’information la plus pertinente, il est nécessaire de pouvoir pondérer chaque information positivement ou négativement. Bien que les synapses entre les fibres parallèles et les cellules de Purkinje ne soient qu’excitatrices, cette pondération négative est possible

grâce aux interneurones de la couche moléculaire (Häusser and Clark, 1997; Sotelo, 2015) et aux synapses silencieuses existantes entre les fibres parallèles et les cellules de Purkinje (Isope and Barbour, 2002).

La dernière étape, « l’adaptation », requiert qu’à chaque nouvelle entrée sensorielle, le poids qui lui est attribué puisse être modifié grâce à une adaptation du filtre. Cette plasticité assurée par les mécanismes d’apprentissage de potentiation à long terme (LTP), est contrôlée par la fibre grimpante qui convoie le « message d’erreur » à la cellule de Purkinje. Sa décharge entraine alors une augmentation massive de calcium dans toute l’arborisation dendritique de la cellule de Purkinje, jusque dans ses dendrites secondaires et tertiaires (Miyakawa et al., 1992) et la formation d’un potentiel d’action complexe. Toutefois, pour obtenir une dépression synaptique, la décharge de la fibre grimpante doit intervenir dans un laps de temps très précis après l’activation de la fibre parallèle (Safo and Regehr, 2008). A l’opposé, en l’absence de « message d’erreur », la potentiation peut être provoquée et inverser un mécanisme de dépression mis en place à une synapse, par l’activation répétée de la fibre parallèle (Jörntell and Hansel, 2006). Cependant, cette potentiation requiert une entrée de calcium moins importante que celle nécessaire à la dépression (Coesmans et al., 2004).

2.3.3. Le cervelet, les ambiguïtés inertielles et le filtre adaptatif

Le cortex cérébelleux semble être un candidat idéal pour l’intégration de l’information inertielle et la résolution des ambiguïtés inhérentes aux afférences vestibulaires par les modèles internes qu’il peut construire.

2.3.3.1. Estimation de la gravité

La première difficulté à laquelle le système est confronté est l’estimation de la gravité afin de maintenir, notamment, la posture. Or l’accélération linéaire encodée par les organes otolithiques contient à la fois l’accélération gravitationnelle et l’accélération translationnelle. Ainsi, des enregistrements effectués chez le singe soumis à des mouvements passifs de translation et d’inclinaison de la tête, ont permis de mettre en évidence des neurones sensibles sélectivement à la translation mais pas à l’accélération totale dans la partie rostrale

du noyau fastigial et dans les noyaux vestibulaires (Angelaki et al., 2004) mais également dans les lobules IX et X du vermis (Yakusheva et al., 2007). Ces résultats indiquent qu’une intégration du signal otolithique est réalisée au niveau central et nécessiterait le signal encodé par les canaux semi-circulaires. En effet, leur inactivation entraîne la disparition du phénotype cellulaire précédemment observé ; les cellules n’encodent plus la translation mais l’accélération totale de façon similaire aux afférences vestibulaires et ce, dans le nodulus et l’uvula, le noyau fastigial rostral ou dans les noyaux vestibulaires (Shaikh et al., 2005; Yakusheva et al., 2007). Ainsi, un modèle interne d’intégration des signaux otolithique et canalaire pour l’estimation de la gravité a pu être élaboré. Dans un premier temps un modèle inverse de la dynamique des canaux semi-circulaires permet de construire une prédiction de la vitesse de rotation et de l’intégrer au cours du temps. Dans un second temps, le résultat de ce modèle inverse est utilisé dans un second modèle interne afin d’estimer la gravité à partir de l’accélération totale enregistrée par les organes otolithiques (Laurens and Angelaki, 2011).

2.3.3.2. Perception des mouvements : actif versus passif

La seconde difficulté est liée à la perception des mouvements, la sensibilité des senseurs vestibulaires ne renseignant pas sur les conditions de leurs réalisations. En effet, qu’ils soient auto-générés ou subis, les mouvements de la tête sont détectés de façon similaire par les organes otolithiques et les canaux semi-circulaires. Cependant, leur distinction est nécessaire puisque, dans un cas ils doivent être compensés par l’activation d’arcs réflexes, qui requièrent d’être inhibés dans l’autre. Cette interprétation du signal n’est pas effectuée directement par l’oreille interne (voir section 1.3.3). Par ailleurs, une sous-population des neurones des noyaux vestibulaires, les « vestibular-only » (VO) insensible aux entrées visuelles (Cullen and McCrea, 1993), présente une réponse fortement atténuée en condition active mais pas en condition passive (McCrea et al., 1999). La question se pose alors de savoir d’où vient cette annulation des entrées vestibulaires en condition active. Que les récepteurs proprioceptifs du cou soient activés par des rotations passives de la tête ou que l’animal réalise des mouvements de rotation autonomes, les neurones des noyaux vestibulaires ne modifient pas leur sensibilité et répondent toujours au mouvement. Ainsi, tant le retour proprioceptif qu’une décharge corollaire des noyaux cervicaux ne sont pas suffisants pour annuler l’entrée vestibulaire lors de mouvements actifs.

Ces deux cas illustrent les difficultés que présente l’intégration du signal vestibulaire et suggèrent que le cortex cérébelleux pourrait être impliqué dans leur résolution. En effet, il reçoit des afférences vestibulaires primaires, son cortex cérébelleux présente une cytoarchitecture favorable à la mise en place d’un filtre adaptatif et il affiche des connections réciproques fortes avec les noyaux vestibulaires reconnus pour leur rôle d’intégrateur multisensoriel. Toutefois, son organisation anatomo-fonctionnelle est particulière et plus singulière que celle du reste du cervelet.

3. Le circuit vestibulo-cérébelleux