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II. Un goût pour l’Orient qui se diffuse grâce aux importations et aux récits de voyages :

2. Correspondance visuelle avec les objets d’importations

Une étude menée sur la date d’enregistrement de divers meubles dans les différents inventaires des meubles de la couronne a permis de mettre en lumière la chronologie du goût pour la Chine parmi l’élite de l’aristocratie française1. Il en ressort que le goût pour la

production manufacturée d’Extrême-Orient a débuté au temps de Mazarin mais ne devint à la mode que dans les années 1670 et culmine avec la première campagne de l’Amphitrite entre 1700 et 17032 avant de s’épanouir dans la société française du XVIIIe siècle. Les Compagnies

des Indes Orientales importent tout au long du règne les produits fabriqués aux Indes pour l’exportation qu’elles revendent ensuite à grand prix sur le marché français. On trouve au sein de ces vastes cargaisons bon nombre de tissus et étoffes de toutes sortes, imprimés, brodés ou peints ; des laques et de la porcelaine. Ces objets venus d’Orient comptent bientôt parmi les richesses des collections aristocratiques et se font ainsi connaître. La variation des niveaux de prix, et la présence de pièces bon marché notamment, indique une véritable demande populaire pour ces produits exotiques3. Il est donc logique de retrouver ces pièces dans une

tenture qui cherche à décrire le quotidien de la cour de Pékin, centre de leur royaume d’origine.

1 Hélène Belevitch-Stankevitch, op. cit., p. 81 – 144. 2 Ibid., p. 144.

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La porcelaine principalement fait l’objet d’une attention particulière dans les compositions de la manufacture de Beauvais. Technique de terre cuite particulière, propre à l’Orient, la porcelaine fait l’objet de la curiosité et de l’admiration occidentale depuis des temps anciens1

et dès la réouverture de la route commerciale entre la Chine et l’Europe son importation est en constante hausse2. Réputée magique, la porcelaine bleue et blanche qui est importée

directement de Chine au XVIIe siècle est bien souvent expressément produite à destination du marché européen3. Les différentes typologies de vases, tasses, boites ou jarres chinoises

sont présentes à travers les différentes scènes bien que parfois quelque peu déformées. Ainsi le service en porcelaine qu’utilise l’impératrice et ses servantes dans Le Thé de l’Impératrice nous montre une tasse, un vase poire et un vase guanyin tous deux fermés par des cabochons, dans un plateau tressé. La Collation offre pour sa part à contempler des vases guanyin à pied étroit avec leurs couvercles, un curieux pot aux bords évasés qui évoque un pot à pinceau, le tout en porcelaine bleue et blanche. Enfin les scènes de l’Audience de l’Empereur et du Retour

de la chasse présentent également des services de porcelaine où l’on distingue plusieurs jarres

ovoïdes ainsi que des tasses. Seul le service de porcelaine présent sur le quai de l’Embarquement de l’Empereur n’est pas en porcelaine bleue et blanche. En effet les vases qui s’y trouvent sont en porcelaine verte plus riche en couleurs que les autres. Le décor de ces objets également à fait l’objet d’une simplification qui laisse la part belle aux vides par rapports aux pleins. Les motifs sont essentiellement géométriques, décoratifs, avec parfois l’évocation schématique de fleurs contrairement à la richesse réelle d’un décor chinois. D’autres objets également sont influencés par ce qui a pu être importé en provenance de la Chine ou des Indes. Ainsi si l’on observe la musicienne présente dans La Collation il est possible de relier son instrument à un luth particulièrement allongé dont le cordier aurait été placé dans le prolongement du manche contrairement à l’usage. Cependant il faut souligner une ressemblance entre l’instrument de la tapisserie et l’instrument à cordes pincées chinois nommé pipa. Cet instrument ancien fait partie de la même famille que le luth à la différence que la table d’harmonie n’est pas percée. La curieuse forme de cet instrument, et particulièrement cette incongruité au niveau du cordier, pourrait correspondre à la fusion de deux instruments en un seul.

1 Ibid., p. 36. 2 Ibid., p. 37. 3 Ibid.

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Objets d’exportation européenne cette fois-ci les instruments d’astronomie, de mathématiques et de géographie présents dans la tapisserie des Astronomes font partie des échanges sino-européens que décrivent la tenture de l’Histoire de l’Empereur de Chine. Bien que ces instruments soient déjà connus des chinois, comme en témoigne l’ouvrage relatant les faits du père Mattéo Ricci1, les instruments européens n’en étaient pas moins appréciés

des chinois et importés par le biais des missionnaires scientifiques envoyés à la cour de Pékin. Ainsi le père Tachard dans son ouvrage rend compte des instruments remis aux jésuites par ces messieurs de l’Académie royale : « Ils nous firent aussi présent de plusieurs grands verres

de Lunettes d’approche […] dont nous en devons laisser quelques’uns à l’Observatoire de Péquin. »2 plus loin dans le même ouvrage il évoque le détails des instruments fabriqués

exprès pour leur voyage : « deux Quarts de nonante […] ; trois grandes Pendules à secondes,

un instrument pour trouver en même-tems l’Ascension droite & la déclinaison des Estoiles, un Quadran Equinoctial […] Tous ces instrumens devoient servir aux Observations Astronomiques. »3 Les différentes longues vues s’observent aisément dans le décor des

Astronomes et leur emploi est illustré par le personnage en bleu qui en braque un exemplaire

vers le ciel. Si l’on examine attentivement le père von Bell dans la scène complète de l’Empereur en voyage il est possible de remarquer la curieuse demi-sphère bleue et or accrochée à son bras et qui fait penser au cadran évoqué par le père Tachard. On retrouve en outre une reproduction des instruments de l’Observatoire de Pékin dans une gravure de Melchior Haffner, illustrant un traité d’astronomie de Ferdinand Verbiest paru en 16874. La

sphère armillaire et le globe céleste visible sur cette gravure ressemblent de très près aux instruments utilisés par les astronomes de la tapisserie à ceci près que les pieds des sphères armillaire et équinoxiale ont été interchangés. Là encore les artistes cartonniers de la tenture ont su rendre une réalité matérielle qu’ils devaient connaitre et avoir observé par eux-mêmes ou par le biais d’ouvrages.

1 Nicolas Trigault, Histoire de l’expedition chrestienne au royaume de la Chine, Lille, Pierre de Rache, 1617, p.

309.

2 Guy Tachard, op. cit., p. 8. 3 Guy Tachard, op. cit., p. 9 – 10. 4 Edith A. Standen, op.cit., p. 108.

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3. Sources écrites : morceaux choisis d’ouvrages sur la Chine de Mattéo Ricci